Seule l’histoire collective a un sens | Enbata
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Rien n’est programmé à l’avance. C’est l’histoire qui trace le chemin. Notre seule référence a été le type d’#agriculture qu’on allait définir plus tard comme #agriculture_paysanne. Notre engagement à la FDSEA (#FNSEA) était naturel pour qui, dans le contexte de l’époque, voulait s’investir dans le milieu #paysan. Certes, on était critique par rapport à “notre maison commune” dans laquelle on s’investissait, mais on pensait qu’on pouvait y exprimer nos convictions et notre projet agricole pour le Pays Basque. Malheureusement cela n’a pas été possible. On s’est rendu compte que la FDSEA n’est pas le syndicat que les paysans d’un #territoire en font, mais qu’elle porte en elle un projet agricole en contradiction avec la réalité et les besoins de l’agriculture du Pays Basque. Ce n’était donc pas une question de personne mais d’orientation et de fonds. Il a fallu rompre pour créer un autre outil.
Quels ont été vos conflits internes au sein de cette fédération, notamment à la Chambre d’agriculture de Pau, et quelles en étaient les raisons profondes ?
Il y avait d’abord, le débat lié au type d’agriculture à défendre et promouvoir. Notre passage à la JAC nous avait donné des clés d’analyse essentielles. Pour nous, défendre l’agriculture, c’était défendre un type d’agriculture, c’était défendre prioritairement la catégorie de paysans qui pouvait être menacée par l’évolution des choses, c’était défendre un modèle agricole lié au sol et au territoire, c’était éviter à tout prix la soumission aux industries agroalimentaires et aux banques qui cherchaient à avoir une emprise sur l’agriculture et les paysans. Pour nous toutes les agricultures n’étaient pas les mêmes, tous les paysans n’avaient pas les mêmes intérêts.
Nous étions déjà convaincus que le type d’agriculture dont la société mais aussi les paysans avaient besoin était une agriculture avec des paysans nombreux. Le but d’un syndicat agricole et de la chambre d’agriculture ne devait donc pas être celui d’organiser le cannibalisme à l’intérieur du monde paysan où les gros boufferaient toujours les petits au nom d’une pseudo loi de la nature et d’une conception désastreuse de la compétitivité. Nous voulions que des choix soient faits en faveur des petits et moyens paysans et en faveur d’une agriculture liée au sol. Nous voulions peser sur les politiques agricoles pour qu’elles aillent dans ce sens.
Nous étions persuadés que les systèmes intensifs et industriels qui se dessinaient déjà n’étaient rentables que parce qu’elles bénéficiaient du soutien accru de la puissance publique. Notre engagement à la FDSEA d’abord, puis à la Chambre en tant que #ELB était basé sur cette analyse. Il s’est traduit par énormément de travail par rapport à l’agriculture de #montagne, à la filière lait de brebis ou lait de vache, sur une autre répartition des aides, etc. etc. toujours en lien avec l’agriculture que nous voulions pour le #Pays_Basque (qui était aussi, d’après nous, l’agriculture dont les autres territoires avaient besoin…). Chaque fois, la FDSEA et la chambre se sont opposées de toutes leurs forces en imposant leur diktat à l’administration.
En même temps, mais tout est lié, nous plaidions pour une organisation de la chambre qui prennent en compte le territoire Pays Basque. Mais, là aussi, c’était le niet ! En fait, si un jour ELB puis Euskal Herriko Laborantza Ganbara (#EHLG) ont été créés et dans les deux cas avec succès, les principaux artisans auront été ceux qui, durant près de trente ans ont écarté tous nos dossiers. C’est comme s’ils s’étaient acharnés à nous démontrer que le cadre départemental n’était pas le bon cadre pour le Pays Basque. Ils n’ont pas voulu voir comment le divorce entre le Pays Basque et Pau s’amplifiait tous les six ans, d’élection en élection à la chambre d’agriculture… Il ne nous restait plus qu’à tirer les conclusions et on ne peut pas nous dire qu’on les a tirées à la première occasion…
Quel a été le déclic qui vous a fait décider de créer Laborantza Ganbara ?
Le déclic, c’est la conjonction de plusieurs choses : le fait que la revendication de la chambre d’agriculture était à son maximum et que s’il n’y avait pas un débouché, la mobilisation allait inévitablement baisser en créant une frustration terrible qui pouvait déboucher peut-être sur des types d’actions que nous ne voulions pas voir.
Nous nous étions engagés à poursuivre le rapport de force, mais dans la non-violence, ce que le syndicat #ELA du PB Sud qui nous soutiendra fortement par la suite, appelait “la #confrontation_démocratique ” ; Il y avait aussi Batera, mouvement dans lequel on était impliqué, qui portait aussi notre revendication et qui appelait à la #désobéissance_civile pour faire avancer les causes. Enfin, il y a eu la visite de José Bové à l’occasion d’une fête de ELB, qui a donné comme exemple de lutte la construction de la bergerie de la Blaquière sur le terrain que l’armée voulait acquérir au #Larzac. Avec tous ces éléments, nous nous sommes dit qu’on avait l’obligation de trouver une sortie, et que la chambre qu’on devait construire n’était pas de pierres mais de contenu. Et on a travaillé cette option. Elle a été validée par une AG extraordinaire de ELB et annoncée publiquement quelques jours plus tard à l’AG de Batera.
Quel a été l’accueil de la société basque à la mise en place de cette Chambre d’agriculture spécifique au Pays Basque ?
L’accueil a été extraordinaire. C’était le fruit d’une campagne de 10 ans qui a permis d’expliquer l’importance d’une chambre d’agriculture avec le projet d’une agriculture paysanne pour les #paysans, les #consommateurs, les élus, pour la vie de nos villages. Il y avait un véritable #mouvement_social pluriel, citoyen, démocratique, plein d’énergie et d’audace. L’attitude stupide de l’Etat n’a fait que renforcer la détermination et l’obligation de réussir ! Des gens très différents se sont retrouvés pour soutenir Euskal Herriko Laborantza Ganbara. Certains pour créer de la proximité, d’autres pour le projet d’agriculture, d’autres pour doter le Pays Basque d’un premier cadre institutionnel, d’autres pour s’opposer à la bêtise de l’Etat, d’autres enfin pour mener un combat juste, voire juste un combat avec les paysans…
Pensez-vous que la série de procès et des offensives du préfet soient derrière nous ?
Je pense que oui, mais sait-on jamais ? Tout est possible, surtout dans le mauvais sens…
Quel avenir pour Laborantza Ganbara dans les dix prochaines années ?
Je ne sais pas. On ne fonctionne pas avec une carte routière où le chemin pour aller d’un point à un autre est tracé. Nous fonctionnons avec une boussole. Je pense que Laborantza Ganbara dans les dix prochaines années continuera à être une référence par son organisation, ses compétences et sa capacité à aborder tous les sujets, des plus faciles aux plus délicats. Au lieu de faire de la résistance face à l’inéluctable, Laborantza Ganbara aura la volonté et la capacité d’intégrer dans son projet agricole au service des paysans les défis les plus importants que sont l’#énergie, le #climat, la #biodiversité, l’attractivité et la viabilité économique du métier de paysan.
La seule question qui vaille est celle de savoir si nous serons capables de démontrer qu’un autre modèle agricole que celui de la restructuration et de l’élimination permanente des paysans est possible dans la durée, ou si, comme l’affirment les libéraux, il n’y qu’un chemin possible que l’on rejoindra avec 20 ou 30 ans de décalage par rapport aux autres. Nous sommes persuadés qu’un autre modèle social, économique et environnemental est possible sans que cela coûte plus cher ; que la diminution de la population active agricole n’est pas LE critère de modernité de l’agriculture et de la société. Quant à la question institutionnelle, je pense qu’au jour d’aujourd’hui personne ne sait ce que sera ce cadre pour le Pays Basque, ni la place de l’agriculture là-dedans. Ce que je sais c’est qu’on y avance et que dans le nouveau dispositif, Laborantza Ganbara
devra trouver une place.
#paysannerie vs #agrobusiness
voir aussi ▻http://mediabask.naiz.eus/es/info_mbsk/20150114/mixel-berhocoirigoin-nous-sommes-dans-la-normalite-des-partenaires-d
et ►http://www.enbata.info/articles/lart-de-la-guerre
L’importance d’Euskal Herriko Laborantza Ganbara se mesure aux moyens qui ont été mis en oeuvre pour l’anéantir. Des moyens consignés dans les 680 pages d’un Livre noir et qui constituent un aveu. L’État, qui pendant des années a joué de promesses vagues, de rapports incertains, de SUAT, qui a maintenu par le jeu démocratique les membres d’ELB dans une posture du “cause toujours”, a été contraint d’abattre son jeu publiquement et de montrer un acharnement presque irrationnel.
C’est cette leçon qu’on peut encore méditer dix ans après, comme un art de la guerre inspirant de nouveaux chapitres aux revendications en panne. Il n’en manque pas.