Shlomo Sand - JE NE SUIS PAS CHARLIE

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  • Lundi, mardi, mercredi : Valls fabrique le phénomène Dieudonné…

    1. Manuel Valls a parlé de Dieudonné dès lundi matin sur BFM, au sujet de l’année précédente :
    http://www.lepoint.fr/politique/charlie-hebdo-manuel-valls-l-un-des-auteurs-avait-sans-doute-un-complice-12-

    « Je ne veux plus que, sur Internet, on puisse avoir ces mots effrayants de haine. Je n’ai pas été très soutenu, sinon par le président de la République et le Premier ministre (Jean-Marc Ayrault, NDLR), quand j’ai combattu ce soi-disant humoriste », a développé le chef du gouvernement en référence à Dieudonné M’Bala M’Bala.

    2. Manuel Valls a encore parlé de Dieudonné mardi après-midi, cette fois à l’Assemblée nationale, au sujet de son spectacle « tenu samedi soir » :
    http://lci.tf1.fr/politique/antisemitisme-dieudonne-hommage-aux-policiers-les-moments-8546970.html

    Le Premier ministre a par ailleurs appelé la justice à être implacable à l’égard à Dieudonné. « Quelle honte que de voir un récidiviste de la haine tenir son spectacle dans des salles bondées au moment même où, samedi soir, la Nation porte de Vincennes se recueillait », après l’attaque contre la supérette casher, a déclaré Manuel Valls. « Il faut que la justice soit implacable à l’égard de ces prédicateurs de la haine », a-t-il plaidé.

    3. Et donc ça n’a pas raté, dès mercredi, interpellation du pitre à 7 heures du matin, les photos illico sur le Web, et tout le monde ne parle plus que de ça, pour un troisième sujet (un message sur Facebook). Le hashtag #jesuisdieudonné remplace #jesuischarlie.
    http://www.public.fr/News/Photos/Photos-Dieudonne-en-garde-a-vue-les-cliches-de-son-interpellation-circulent-6

    On retiendra donc simplement qu’en à peine trois jours, Manuel Valls a volontairement transformé une marche de 4 millions de personnes en une vaste pitrerie bien clivante. Ce sont des moments comme cela qui me font penser que le rasoir d’Hanlon a bon dos, et il faut bien admettre que c’est la malveillance qui dicte le fonctionnement des institutions de l’État et de ses chiens de garde médiatiques.

    • Si je ne me trompe, dimanche soir. Mais en fait, on peut remonter à plus tôt. Je dirais qu’aux alentours de samedi, après le premier moment de sidération, il commence à y avoir pas mal de monde sur Twitter qui refuse d’« être Charlie » ; avec l’annonce de la manif, le thème médiatique fort devient « la liberté d’expression à la française », qui assurément énerve beaucoup de gens parmi les populations racisées (mais aussi, malheureusement, les usual fafs qui tentent de les récupérer), et j’ai le sentiment à ce moment sur Twitter que se multiplient les messages demandant pourquoi Dieudonné c’était pas de la liberté d’expression – je pense qu’il s’agit d’une façon stéréotypée et réductrice de poser des questions plus larges. Je dirais que dimanche, on sait clairement qu’il y a des provocations, que ça cause sur Twitter, mais je pense profondément que chacun se dit que c’est vraiment pas le moment de transformer la mort des gens en numéro de cirque clivant.

      Il me semble avoir vu passer des indignations médiatiques (carrément futiles) après l’annonce par Dieudonné qu’il viendrait à la manif. J’avais fait une recherche samedi soir, et je dirais que ça tournait déjà à pas loin de deux messages par minute sur Twitter évoquant Dieudonné. Mais chez les gens de – ah ah – bon goût (notamment ici sur Seenthis), il me semble bien qu’il y avait un consensus tacite pour ne pas faire de pub au triste pitre pour ne pas le laisser, lui et ses amis, récupérer l’événement à son profit.

    • Ca évite de parler de la surpopulation des prisons et de l’absence de maitrise de tout ce qui s’y passe, violence, traffics, et recrutement djihadiste. Ca évite de parler des échecs de l’école et du manque de moyen de l’aide sociale à l’enfance ...
      Manuel Valls est fan de Dieudonné.

  • Un texte de Shlomo Sand à lire attentivement, c’est salutaire !

    En intégralité : http://www.ujfp.org/spip.php?article3768

    Rien ne peut justifier un assassinat, a fortiori le meurtre de masse commis de sang-froid. Ce qui s’est passé à Paris, en ce début du mois de janvier constitue un crime absolument inexcusable. Dire cela n’a rien d’original : des millions de personnes pensent et le ressentent ainsi, à juste titre. Cependant, au vu de cette épouvantable tragédie, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit est la suivante : le profond dégoût éprouvé face au meurtre doit-il obligatoirement conduire à s’identifier avec l’action des victimes ? Dois-je être Charlie parce que les victimes étaient l’incarnation suprême de la liberté d’expression, comme l’a déclaré le Président de la République ? Suis-je Charlie, non seulement parce que je suis un laïc athée, mais aussi du fait de mon antipathie fondamentale envers les bases oppressives des trois grandes religions monothéistes occidentales ?

  • Le texte de l’intervention de Mordillat hier, lors du débat Fakir.
    https://www.facebook.com/GerardMordillat/posts/842204092493132

    Le texte de l’intervention de Mordillat hier, lors du débat Fakir.

    "Les journalistes et les dessinateurs de Charlie n’ont pas été victimes d’un attentat mais exécutés nommément. C’est bien d’une exécution dont il « s’agit et d’une exécution politique comparable si l’on veut à celle de Jaurès, lui aussi journaliste, lui aussi directeur de journal. Ce sont des méthodes fascistes dont le discours religieux ou nationaliste n’est qu’un faux-nez. »

    L’intégralité ici :
    « Pour être clair : Charb, Honoré, Wolinski, Cabu, Tignous assassinés dans les locaux de Charlie Hebdo étaient mes amis. Nous avons travaillé ensemble, publié ensemble, milité ensemble, mangé ensemble, déconné ensemble depuis des années…
    Je ne peux donc prétendre à aucune soi-disant neutralité.
    Comme je suis écrivain et cinéaste, je veux m’arrêter sur des mots et des images.
    Le premier mot sur lequel je veux m’arrêter est le mot » attentat « dont les médias se gargarisent depuis mercredi dernier. Je crois que ce mot est inapproprié. Le terrorisme est aveugle et les poseurs de bombes tuent parce qu’ils veulent tuer sans se soucier de l’identité des victimes dont seul le nombre compte à leurs yeux. Les journalistes et les dessinateurs de Charlie n’ont pas été victimes d’un attentat mais exécutés nommément. C’est bien d’une exécution dont il s’agit et d’une exécution politique comparable si l’on veut à celle de Jaurès, lui aussi journaliste, lui aussi directeur de journal. Ce sont des méthodes fascistes dont le discours religieux ou nationaliste n’est qu’un faux-nez. Il faut le dire haut et fort, les journalistes de Charlie ont été exécutés non par des musulmans, non par des islamistes mais par des fascistes.

    Penons une image maintenant : celle de Mahomet qui a fait tant couler d’encre. Juste pour mémoire, il y a au départ les dessins publiés au Danemark et trafiqués par deux imams intégristes qui les diffusent partout dans le monde musulman mettant le feu aux poudres. En les publiant et en publiant ses propres dessins, Charlie hebdo témoignait de sa solidarité avec les dessinateurs danois…
    C’est le point de départ. à l’arrivée il y a deux tueurs fascistes qui s’érigent en juges et bourreaux sous prétexte de » venger le prophète « ..
    Mais venger qui et de quoi ?
    Je ne doute pas qu’il y ait eu un prophète en Arabie au 7e siècle. S’appelait-il Mahomet, c’est une autre histoire. Comme le dit une grande islamologue, Jacqueline Chabbi » c’est un peu trop beau pour être vrai « . Mahomet signifie » le loué « , le » louangé « , c’est un surnom, pas un nom. Peut-on injurier un surnom ?
    Nous ne savons pas quand Mahomet est né ni quand il est mort. La tradition considère que c’est en 632 mais cette hagio-biographie a été mise par écrit près de deux siècles après la mort de Mahomet. C’est-à-dire qu’en réalité, historiquement, nous ne savons rien où presque de l’homme Mahomet ; et absolument rien de son aspect physique. Un Mahomet légendaire, paré de toutes les grâces et de toutes les vertus, naîtra plus d’un demi-siècle après sa mort sous l’égide du calife Abdel Malik qui en fera en quelque sorte son porte-parole.
    Comment faire la caricature d’un homme dont on ne sait rien ?
    Les dessins publiés par Charlie Hebdo ne sont pas des caricatures mais des portraits imaginaires, peut-être des portraits charge mais des portraits du prophète de l’islam ; ils sont aussi imaginaires que ceux que l’on trouve abondamment dès le XVe siècle dans la tradition ottomane et perse et jusqu’à nos jours dans la tradition chiite. Une partie des musulmans ne s’offusquent en rien que l’on représente Mahomet comme un homme du 7e siècle. La sacralisation de sa figure n’est qu’un diktat fondamentaliste venu au XIXe siècle du wahhabisme, et c’est cette figure légendaire qui réclamerait d’être » vengée «  ?
    Soyons sérieux.
    Il est urgent et nécessaire que les autorités ecclésiastiques de l’islam rappellent qu’en République il est licite de caricaturer Mahomet comme on caricature Jésus, le pape, Jéhovah, les hommes politiques, vous, moi, etc. Cela s’appelle la liberté d’expression et c’est un des piliers de la démocratie.

    Ce serait licite de caricaturer Mahomet mais » offensant « . Le mot offense revient sur beaucoup de lèvres pour reprocher aux dessinateurs de Charlie d’avoir fait ce qu’ils ont fait. Cette » culture de l’offense « est en train de se propager comme les métastases d’une tumeur. Désormais tout le monde s’offense pour un oui pour un non ! Les chrétiens intégristes s’offensent d’une pièce de théâtre mettant en scène Jésus, les juifs de la même eau s’offensent de toute critique du gouvernement israélien gangrené par les religieux d’extrême-droite, les musulmans s’offensent de voir leur prophète à la une d’un journal satirique… Toutes ces belles âmes réclament la censure et qu’on impose le silence aux offenseurs. Mais qui leur imposera le silence à eux qui offensent quotidiennement mon athéisme en m’assommant de leurs sornettes superstitieuses et en prétendant gouverner ma vie au nom d’une chimère ?

    En caricaturant Mahomet, Charb, Cabu et les autres auraient commis le délit de » blasphème « . Combien de fois faudra-t-il répéter qu’il ne peut y avoir de blasphème que dans une théocratie ? Dans la République il est parfaitement possible d’écrire, de crier, de proclamer qu’on emmerde Dieu, Jéhovah, Allah, Nanaboso le Grand Lapin, Bouddha, le Père Noël, Mickey, Harry Potter et toutes les dieux inventés par les hommes pour conjurer leur peur de la mort.

    Dans les médias, mais aussi dans la rue, on entend formuler trois accusations contre Charlie : le journal serait islamophobe, âpre au gain et provocateur.
    Charlie serait islamophobe… parce qu’il se moque des intégristes et des fondamentalistes musulmans. A ce compte, il est aussi christianophobe parce qu’il se moque des grenouilles de bénitier et des punaises de sacristie, de Jésus, du pape et de toute la quincaillerie bondieusarde chrétienne. Ajoutons qu’il est aussi vraisemblablement judéophobe parce qu’il se fout de Moïse et des prophètes. Et, pour faire bonne mesure, sans doute antisémite puisqu’il critique la politique du gouvernement israélien massacrant les populations civiles palestiniennes qui font tache sur » la terre sacrée « …
    Tout cela n’est que faux procès.
    Charlie est tout simplement anti-clérical.
    Par l’humour, la satire, l’ironie, il lutte contre tous les clergés : qu’ils soient chrétiens, musulmans, juifs, bouddhistes, shintoïstes, zoroastres, raéliens, j’en passe et des meilleures. Et si l’on regarde ce que publiait la presse française au moment de la séparation de l’Église et de l’État en 1905 on peut trouver que ses caricaturistes sont plutôt timorés comparés à leurs anciens… Le seul respect que l’on doive aux religions est le respect au sens étymologique : tenir à distance.

    Charlie ne publierait ses dessins que pour attirer le chaland que par une cupidité absolue, gouverné par l’idée de faire du fric, toujours plus de fric ! Inutile de souligner le grotesque de cette accusation quand on regarde la situation financière du journal et celle de ses journalistes. La sagesse des nations l’a dit une fois pour toutes : » Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage « .

    Enfin Charlie serait » provocateur « , irresponsable, criminel en somme et récolterait ce qu’il a semé. C’est là le plus odieux des retournements de langage. Ou alors c’est provocateur par nature de dire le réel, de l’affronter, de le mettre en lumière. En leur temps Spinoza pour le judaïsme, Richard Simon, Renan, Loisy pour le christianisme et de nombreux auteurs musulmans des premiers siècles, Abou Navas, Al Hallaj, Al Razi ont été eux aussi accusé d’être des provocateurs et ostracisés. A leur mesure les journalistes de Charlie Hebdo sont dans le même sillage… celui de la raison critique, de l’intelligence contre l’obscurantisme.

    On présente le monothéisme comme un progrès par rapport au polythéisme ; espérons qu’après le monothéisme et son dieu unique un autre progrès nous conduise à l’athéisme. Il ne suffit pas d’en finir » avec le Jugement de Dieu « comme le préconisait Antonin Artaud, il faut en finir avec l’idée de dieu et le fleuve de sang qu’il charrie derrière lui. Encore et toujours le curé Meslier : » l’homme sera libre lorsque le dernier des rois sera étranglé avec les boyaux du dernier prêtre."
    Gérard Mordillat, 12 janvier 2015

    • Ce texte de Mordillat est très mauvais.

      Evidemment c’est difficile de critiquer Charlie Hebdo maintenant, mais on peut pas enterrer toute lucidité.

      1 Charlie Hebdo a-t-il jamais fait des dessins humoristiques sur les dîners du CRIF et la « non séparation du CRIF et des politiciens » ? Non
      As-t-il mis en boîte les partis américains sur leur mode de financement, et Obama sur sa complicité active avec les crimes israéliens ? Non
      Charlie Hebdo faisait l’humour autorisé par les dominants.

      Et humilier les croyances des dominés, de ceux qui sont rejetés aux marges, dans les tâches les moins valorisées, et de ceux qui prennent les bombes high-tech sur la tête depuis au moins 1990 (première guerre du Golf), je n’ai jamais trouvé que ce soit une bonne idée.

      2 Athée (je suis athée) n’est pas synonyme d’humaniste et pacifique. Il y a des assassins athées. Et il y a des religieux admirables d’humanité et de tolérance.

      Plusieurs régimes communistes et maoïstes ont voulu éradiquer la religion et ils pour cela mis en place des répressions féroces :
      http://en.wikipedia.org/wiki/USSR_anti-religious_campaign_%281928%E2%80%9341%29

    • @stephane_m A chacun son opinion, je ne sais d’ailleurs pas comment qualifier Charlie Hebdo d’une manière absolue et précise. Pour moi c’est une publication assez contradictoire.

      Mais « humilier les croyances des dominés », c’est accuser le canard et ses auteurs d’un acte dont ils sont incapables. On a vu des hommes humiliés à la prison d’Abou Ghraib, mais humilier par des paroles et dessins dans un journal ? C’est impossible. Aussi la croyance est une « chose » assez abstraite. Comment humilier une abstraction ? C’est encore plus difficile.

      Quelle est alors le crime en matière de croyance dont les dessinateurs seraient-ils coupables ? Un exemple précis s.v.p. ?

    • On fait valoir que Charlie s’en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c’est un mensonge. Certes, il s’est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs ; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue.

      http://seenthis.net/messages/330624

    • Cette remarque de Sand me parait étrange : je suis à peu près sur qu’ils ont déjà fait Moïse — en tout cas ils ont fait des tonnes de Rabbins — mais effectivement, pas selon les critères de l’« humour nazi » (usurier etc). Mais qu’est-ce qui, dans leurs dessins d’imams ou du prophète lui-même est emprunté à des tropes d’extrême droite ?
      D’après mes lectures, arrêtées il y a quelques années, Charlie s’en prenait réellement à toutes les religions (et d’abord à la catholique). Maintenant, ça n’empêche pas d’analyser que le cas des musulmans est spécialement sensible actuellement et ce depuis des années, mais il me semble peu rigoureux de nier que l’anticléricalisme de Charlie était total.

    • Un article écrit en 2013 par quelqu’un qui a travaillé à Charlie Hebdo de 1992 à 2001, avant de claquer la porte, échaudé par « la conduite despotique et l’affairisme ascensionnel » d’un certain Philippe Val.
      Depuis, Olivier Cyran observe de loin, hors les murs, l’évolution de Charlie Hebdo et sa grandissante obsession pour l’islam. Il revient sur cette longue dérive à l’occasion d’une tribune récemment publiée dans Le Monde, signée Charb et Fabrice Nicolino.

      « Charlie Hebdo », pas raciste ? Si vous le dites…
      http://www.article11.info/?Charlie-Hebdo-pas-raciste-Si-vous

      Cyran n’écrirait certainement pas l’article dans le contexte actuel, mais son témoignage a l’intérêt justement de s’être écrit en dehors du processus actuel de construction d’une légende.

    • @klaus, je pense que tu n’es pas profondément croyant. Moi je suis athée, mais j’essaie de faire preuve d’imagination... ;-)

      Pour être un peu plus complète : je pense que lorsqu’on est très souvent visé par les contrôles de police, qu’on a un mauvais dossier pour trouver un appart, qu’on n’a aucune réponse à ses envois de CV, et qu’on croit très profondément en Dieu sans avoir un lieu correct pour son culte, on est mal face à des dessins du type de celui ci-dessus, ou celui de Mahomet avec une bombe dans le turban ...

      Bonsoir