La grande histoire des attentats vécue depuis la diagonale du vide | Rural rules

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    Dans un coin, un #paysan répétait : « Eh ben »... Et secouait la tête en regardant ses pieds.

    « C’est le #Front_national qui se met en rang, là. Pas de doute. »

    Il en a vu, dans sa vie, des camarades virer leurs glands vers les Le Pen. Beaucoup. Bien trop. Sans transition. D’une #élection à l’autre. Tchao les copains. Adieu les partenaires de lutte. D’un coup d’un seul.

    Là, après ça...

    Il est parti, son verre en moins, en répétant : « Putain... »

    On a fini pas tard. Viandes amères. En se promettant des luttes inouïes. En y croyant vraiment. Ce n’était que mercredi.

    Puis les jours se sont succédé au même rythme que partout. Insensé. Dans tous les bourgs, on n’entendait plus que le bruit des radios. Des télés.

    Au village, l’épicière a repeint sa vitrine. Sur la porte : un bonhomme au poing tendu, gueule en grand : « Ouvrez-la » !

    Dans le bistrot, des crayons et des stylos ont remplacé les brillants de Noël.

    A Montluçon, on était 6 000, il paraît.

    On fait ce qu’on peut.

    On a fait la pesée dans le vent. Radical. Fait monter les cochons. Parlé de leurs tailles et de leurs qualité. Puis bu un verre autour de la transaction. Ce moment, habituellement simple et cordial, s’est retrouvé empesé. Tendu. La tête plongée dans la télé. Eux se satisfaisaient de cette fin. Moi, beaucoup moins. On a parlé un moment de mort et puis de république.

    Puis elle a dit :

    « Je vais vous dire, moi : faut qu’y se secouent, là, tout en haut. Et vite. Parce que c’est pas de la blague, ce qu’il se passe. Nous, ceux qui passent au #FN, on ne les compte plus, autour de nous. Et pas des cons, hein : des gros ! Des qu’ont de belles exploitations ! Ils en ont plein le cul, alors ils crient avec les loups.

    C’est pas des conneries ce que je vous dis. Il y a dix ans, ici, aucun agriculteur n’aurait voté même à droite. Et aujourd’hui, c’est tout le monde, t’as l’impression. C’est pas des blagues, ce qu’il se passe ! Faut qu’y percutent, tous. ».

    Je suis parti dans la nuit. Deux verrats dans le dos. En me disant que jamais je n’avais aussi peu pu deviner, en janvier, de quel bois se chaufferait le reste de l’année. Dans la cabine du camion, la radio rabâchait ses litanies. Il y avait Pelloux, le bon Pelloux qui pleurait pour de vrai. Et l’haïssable Val – pour de vrai, également.

    Tout le monde pleurait dans cette histoire. Et on n’était que vendredi. Seulement vendredi.

    Les deux bouchers ont débarqué le samedi au matin. Deux vrais tendres. Surtout celui qui a saigné : 120 kilos de rugissements. Louchebem des chevilles au garrot.

    On n’a pas vraiment cherché à aborder le sujet avec eux. D’une à cause du taf que représente l’abattage et la découpe de deux cochons. De deux parce qu’un homme avisé ne parle pas #politique avec quelqu’un qui sait assommer des porcs d’un seul coup de sa masse.

    Pourtant, ça finit par jaillir, au détour du désossage d’une longe.

    Et je vous jure, c’était triste de voir ces deux gaillards, pétants de forme, se présenter aussi décontenancés que nous. Quitter quelques secondes leurs rôles de composition.

    « Ils auraient pas dû les tuer », a dit le premier.

    « Tu parles », a dit le second.

    « Ils avaient tué un flic. Y avait pas d’autre issue. Faut pas rêver. Un flic, s’il a les coudées franches, il venge les confrères. Puis c’est comme ça.

    – Quand même, ces jeunes... Moi, je peux pas comprendre...

    – Ah ouais... Et t’en serais où, toi, si t’avais jamais travaillé ? Jamais vu quelqu’un travailler autour de toi ? Moi, à 15 ans, j’abattais mon premier veau. Et à la masse, s’il te plaît. Ils m’ont fait boire un quart de sang chaud, comme à tous ceux qui tuaient pour la première fois. Et ça filait, je peux dire. Eh ben, résultat des courses : à 20 ans, j’avais un #métier. Des mains qui savent faire. Et puis c’est tout. »

    La feuille tranche une côte récalcitrante.

    « Aujourd’hui, tu veux ouvrir une boucherie, tu fais fortune. Je te jure. Tous ceux que je connais sont riches. Y a du boulot à plus en pouvoir. Mais plus personne veut faire ça. C’est pas les jeunes qui flanchent. C’est qu’on vit dans un pays où on n’encourage pas les métiers. Les jeunes, ils veulent plus savoir faire quelque chose : ils veulent gagner du fric... Et moi, ça, c’est ça qui me désole. »

    Il me balance un morceau à dégraisser.

    « T’apprends la #guerre : ça fait comme un métier, après. Tu comprends ? »

    Le froid rendait nos mains blanches et caleuses. Le vent séchait la viande. Nous ne savions pas quoi dire. Nos engagements coincés au fond du ventre, tordus, essorés. Nous ne pleurions déjà plus. Et ce n’était que samedi.

    #charlie_hebdo #ruralité
    #extrême-droite