• Un village, un menhir, et le bourdon d’une basse | Rural rules | Rue89 Les blogs
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    De la noise dans un champ de vaches

    La première fois que je les ai vu jouer, c’était en 2006, sous le chapiteau du Footsbarn Travelling Theatre, l’une des nombreuses institutions artistico-dévariées qui parsèment le Bocage bourbonnais. A l’époque, je débarquais. Je n’avais – comme neuf dixièmes des Français – jamais entendu parler du coin. Et malgré tous les meilleurs a priori dont je disposais, je n’étais pas préparé à voir émerger, entre le bois de Dreuille et la forêt de Tronçais, ce son radical, brut, hérité de la scène noise américaine et du rock alternatif.

    Autour de moi, ça dansait. Ça brassait. Ça gueulait. C’était Brixton. Mais à Maillet, tu vois. Dans un champ où d’habitude les vaches paissent. Et devant la scène, c’était pas vraiment l’avant-garde. Pas vraiment, non.

    Puis, quoi… Va savoir : j’ai divergé. Pendant sept ans, je n’en ai plus entendu parler, ou presque... Des rumeurs. Je colportais le souvenir de ce concert à l’occasion, quand je voulais leur démontrer que – putain de merde – l’avenir ne se forge pas que dans l’entassement des villes.

    Mais je passais mon temps à les louper sur scène.
    Des machines et trois excités

    Jusqu’à ce jour béni de novembre 2013.

    Ils avaient muté.

    La formation proto-rock était devenu une sorte de truc hybride insensé.

    Sur scène : plus d’instruments au sens classique du terme, mais des machines. Des machines avec des boutons. Et trois excités, attelés dessus, qui s’acharnaient...

    #noise #electro

  • On ne se parle plus ? Arrêtez de vous plaindre et ouvrez des bistrots ! | Rural rules | Rue89 Les blogs
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    Je sais pas. En tout cas, on ne faisait rien. La municipalité ne faisait rien. Personne ne faisait rien. On attendait en soupirant.
    Et on aurait pu en rester là : un village, quatre commerces et demi – tous vaillants. Un café de jour et une buvette grasse de tabac, qui ouvre de bonne heure et ferme quand ça chante au patron. Rien le soir. Et rien d’autre que quelques rendez-vous rituels – des lotos, quelques bals éparpillés dans l’année, le cinéma rural – pour que les gens se croisent. Se rencontrent. Discutent. Déposent, le temps d’un verre, les armes de ces guerres idiotes qui forgent la monotonie tous les bleds de France. Le club de tarot contre le comité des fêtes. La mairie contre les artistes. La gauche contre la droite. Les vieux contre les jeunes. Les riches contre les pauvres. Les hétéros contre les homos. Et tous les voisins entre eux...
    Mais un soir, on n’en a plus pu.
    A quelques-uns – une demi-douzaine – on s’est dit : merde. On s’y met. On fonce. On va pas se regarder s’enliser dans l’ennui sans rien dire, en évoquant béatement le passé, ou ces villages de Creuse qui savent encore bouillonner.
    Plus de café pour faire durer la vie ?
    On en ouvre un !
    Il y a une règle simple quand tu habites loin des villes : tu n’obtiens rien sans ta propre implication. Si tu veux quelque chose, il faut le produire, ou participer à le produire. Te mouiller, quoi. Il faut mettre en place toi-même les solutions à tes problèmes. Parce que sinon, qu’est-ce qu’il te reste une fois que tu as dis que les politiques publiques t’ont laissé tomber, que la population vieillit, que les commerces ferment, que les gens ne se parlent plus, que les occasions de s’amuser sont rares, et que tout ça manque quand même cruellement de « swag » ? Il te reste rien : deux yeux, des larmes, et une fascination factice pour les avenues.

  • La grande histoire des attentats vécue depuis la diagonale du vide | Rural rules | Rue89 Les blogs
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    Dans un coin, un #paysan répétait : « Eh ben »... Et secouait la tête en regardant ses pieds.

    « C’est le #Front_national qui se met en rang, là. Pas de doute. »

    Il en a vu, dans sa vie, des camarades virer leurs glands vers les Le Pen. Beaucoup. Bien trop. Sans transition. D’une #élection à l’autre. Tchao les copains. Adieu les partenaires de lutte. D’un coup d’un seul.

    Là, après ça...

    Il est parti, son verre en moins, en répétant : « Putain... »

    On a fini pas tard. Viandes amères. En se promettant des luttes inouïes. En y croyant vraiment. Ce n’était que mercredi.

    Puis les jours se sont succédé au même rythme que partout. Insensé. Dans tous les bourgs, on n’entendait plus que le bruit des radios. Des télés.

    Au village, l’épicière a repeint sa vitrine. Sur la porte : un bonhomme au poing tendu, gueule en grand : « Ouvrez-la » !

    Dans le bistrot, des crayons et des stylos ont remplacé les brillants de Noël.

    A Montluçon, on était 6 000, il paraît.

    On fait ce qu’on peut.

    On a fait la pesée dans le vent. Radical. Fait monter les cochons. Parlé de leurs tailles et de leurs qualité. Puis bu un verre autour de la transaction. Ce moment, habituellement simple et cordial, s’est retrouvé empesé. Tendu. La tête plongée dans la télé. Eux se satisfaisaient de cette fin. Moi, beaucoup moins. On a parlé un moment de mort et puis de république.

    Puis elle a dit :

    « Je vais vous dire, moi : faut qu’y se secouent, là, tout en haut. Et vite. Parce que c’est pas de la blague, ce qu’il se passe. Nous, ceux qui passent au #FN, on ne les compte plus, autour de nous. Et pas des cons, hein : des gros ! Des qu’ont de belles exploitations ! Ils en ont plein le cul, alors ils crient avec les loups.

    C’est pas des conneries ce que je vous dis. Il y a dix ans, ici, aucun agriculteur n’aurait voté même à droite. Et aujourd’hui, c’est tout le monde, t’as l’impression. C’est pas des blagues, ce qu’il se passe ! Faut qu’y percutent, tous. ».

    Je suis parti dans la nuit. Deux verrats dans le dos. En me disant que jamais je n’avais aussi peu pu deviner, en janvier, de quel bois se chaufferait le reste de l’année. Dans la cabine du camion, la radio rabâchait ses litanies. Il y avait Pelloux, le bon Pelloux qui pleurait pour de vrai. Et l’haïssable Val – pour de vrai, également.

    Tout le monde pleurait dans cette histoire. Et on n’était que vendredi. Seulement vendredi.

    Les deux bouchers ont débarqué le samedi au matin. Deux vrais tendres. Surtout celui qui a saigné : 120 kilos de rugissements. Louchebem des chevilles au garrot.

    On n’a pas vraiment cherché à aborder le sujet avec eux. D’une à cause du taf que représente l’abattage et la découpe de deux cochons. De deux parce qu’un homme avisé ne parle pas #politique avec quelqu’un qui sait assommer des porcs d’un seul coup de sa masse.

    Pourtant, ça finit par jaillir, au détour du désossage d’une longe.

    Et je vous jure, c’était triste de voir ces deux gaillards, pétants de forme, se présenter aussi décontenancés que nous. Quitter quelques secondes leurs rôles de composition.

    « Ils auraient pas dû les tuer », a dit le premier.

    « Tu parles », a dit le second.

    « Ils avaient tué un flic. Y avait pas d’autre issue. Faut pas rêver. Un flic, s’il a les coudées franches, il venge les confrères. Puis c’est comme ça.

    – Quand même, ces jeunes... Moi, je peux pas comprendre...

    – Ah ouais... Et t’en serais où, toi, si t’avais jamais travaillé ? Jamais vu quelqu’un travailler autour de toi ? Moi, à 15 ans, j’abattais mon premier veau. Et à la masse, s’il te plaît. Ils m’ont fait boire un quart de sang chaud, comme à tous ceux qui tuaient pour la première fois. Et ça filait, je peux dire. Eh ben, résultat des courses : à 20 ans, j’avais un #métier. Des mains qui savent faire. Et puis c’est tout. »

    La feuille tranche une côte récalcitrante.

    « Aujourd’hui, tu veux ouvrir une boucherie, tu fais fortune. Je te jure. Tous ceux que je connais sont riches. Y a du boulot à plus en pouvoir. Mais plus personne veut faire ça. C’est pas les jeunes qui flanchent. C’est qu’on vit dans un pays où on n’encourage pas les métiers. Les jeunes, ils veulent plus savoir faire quelque chose : ils veulent gagner du fric... Et moi, ça, c’est ça qui me désole. »

    Il me balance un morceau à dégraisser.

    « T’apprends la #guerre : ça fait comme un métier, après. Tu comprends ? »

    Le froid rendait nos mains blanches et caleuses. Le vent séchait la viande. Nous ne savions pas quoi dire. Nos engagements coincés au fond du ventre, tordus, essorés. Nous ne pleurions déjà plus. Et ce n’était que samedi.

    #charlie_hebdo #ruralité
    #extrême-droite