Interrègne - Etat des lieux d’une décomposition
▻https://lundi.am/Interregne-Etat-des-lieux-d-une-decomposition
Nous avons, en gros, quatre électorats qui ont dominé les derniers blocs politiques : les petits vieux de droite qui touchent une belle retraite, ont trois voitures, une résidence secondaire et ne veulent rien changer à leur mode de vie ; les libéraux pour qui ça roule qui votent Macron ; à gauche, les rejetons bourgeois, les classes d’encadrements et les professions culturelles, majoritairement citadines, qui attendent d’un État social le surplus économique nécessaire à un niveau de vie de CSP+ ; et tout le reste, ceux qui vivent le déclassement, des galériens des anciennes zones industrielles à la bourgeoisie pavillonnaire en passant par les couches moyennes de la périphérie.
Cette catégorie mouvante de la société vote un peu partout et ne représente pas un tout cohérent en termes de conditions de vie, mais est unifiée par un aspect simple : la volonté d’appartenir à la “classe moyenne” fantasmée qui a un boulot stable et un bon niveau de consommation, et le désespoir engendré par l’étau posé sur cette possibilité. Cette crise est rampante depuis longtemps : la faillite de la vieille politique et le paroxysme progressif du marasme économique l’ont projetée sur le devant de la scène, et oblige désormais à une reconsidération systématique. Pour la vieille comme la nouvelle droite, cette reconsidération est simple : ces gens qui, à la fois ont perdu la sociabilité de l’ancienne société pré-fordiste, et en même temps n’ont jamais obtenu les promesses de niveau de vie du développement économique, se verront promettre une indemnisation, et peut être même une nouvelle forme de communauté, au travers de politiques racistes.
Dans la conjoncture actuelle, cette frange paupérisée de la population ne voudra jamais du statu quo et cherchera d’une manière ou d’une autre à soutenir un changement, voire à le provoquer si elle s’en sent les forces. Les dernières mobilisations - agriculteurs, retraites, banlieues - donnent raison aux journalistes anglais qui les qualifiaient lucidement de “désinhibition dangereuse de la société” en réponse à celle du Président et de l’État. Il y a une “masse critique” au sein de la population qui est au point de rencontre entre la crise économique et la crise morale, entre les espoirs déçus et la constatation d’un changement irréversible de la socialisation. C’est ce phénomène qui permet de passer d’une crise politique à une crise de régime, qui tend jusqu’à les rompres les ressorts habituels de résolution des conflits : dès lors qu’une solution révolutionnaire ou réactionnaire suffisamment forte deviendra possible, elle aura derrière elle toute une masse de plus en plus active capable de s’engouffrer dans cette nouvelle voie.