Le scandale réside plutôt dans la logique même de l’affrontement avec le pouvoir du capital, dans la volonté politique d’employer la force, de se donner des objectifs politiques, des propositions tactiques à même de le faire céder « par tous les moyens nécessaires », légaux et illégaux, et de le faire céder avec la visée stratégique de le faire disparaître.
Le scandale pour le capital est tout ce qui contribue à en contester le pouvoir. Ok, point suivant.
Pour réellement remettre en question ce pouvoir du capital, il faut :
construire avec les syndicats l’articulation entre la lutte à la base, dans les entreprises et dans la rue, et ses « représentants », articulation qui est déjà une esquisse d’alternative politique, d’alternative de pouvoir. Ce qui impliquerait un dépassement construit de l’opposition entre syndicalisme et autonomie, direction verticale de l’activité légaliste des masses, et action directe illégaliste et minoritaire : par l’action directe de masses qui s’auto-organisent et s’auto-représentent en faisant de chacun de ses délégués contrôlés et révocables, des instruments de leur propre pouvoir.
Résumé : « les masses qui s’auto-organisent et s’auto-représentent » doivent travailler avec les confédérations syndicales. Les auteurs s’imaginent que ces dernières, pourtant totalement intégrées au pouvoir du capital, loin de constituer l’obstacle le plus important pour la lutte révolutionnaire, font partie de la solution. À condition, bien sûr, qu’elles se démocratisent (mouarf) et considèrent avec bienveillance les mouvements et associations sur leurs marges. Mais nous y reviendrons – car il faudrait aussi compter sur les partis de gauche…
En attendant, rappel :
Le danger que le RN représente est moins celle d’une éradication rapide des droits démocratiques par une répétition à l’identique du fascisme historique, que celle d’une accélération de la pente autoritaire du projet néolibéral. Bien loin de proposer une rupture avec la cinquième république, il se revendique comme son meilleur défenseur. […] existe-t-il encore une différence fondamentale entre Macron et Le Pen qui continuerait à justifier les votes de « barrage » ? Sans doute pas. Mais un pouvoir Le Pen serait en quelque sorte délié des dernières entraves légales qui définissent les libertés politiques sur lesquelles le mouvement peut s’appuyer, y compris pour dépasser le légalisme.
C’est entendu. Mais comment dès lors empêcher que le RN accède au gouvernement de la bourgeoisie – si tant est que ce soit là le principal objectif bien que l’on considère qu’il ne représente qu’« une accélération de la pente autoritaire du projet néolibéral » (sic – tout ne serait qu’une question de projet ?) ?
Il s’agit avant tout de « de vaincre Macron », c’est-à-dire de :
rouvrir l’horizon en dépassant l’opposition entre subjectivité fonctionnelle à la temporalité de mouvement attaquant l’Etat, et subjectivité fonctionnelle à la temporalité électorale de conquête de l’État.
Déjà, écrire comme ça, ça ne mérite que goudron et plumes.
Mais il manque surtout l’essentiel : la classe sociale qui tire les ficelles derrière ses domestiques – le titre ne dit-il pourtant pas, justement, qu’il faut « oublier Macron » ?
Bref ; quid de la subjectivité fonctionnelle à la temporalité sociale de la belligérance de classe ?
Mais, soyons sérieux, revenons, comme promis, aux syndicats :
C’est à travers la structuration d’un pouvoir populaire alternatif, construit de bas en haut sur la base la plus unitaire possible des organisations syndicales, politiques, des collectifs et des assemblées, que le mouvement peut désigner et contrôler ses propres représentants, y compris électoraux, et défaire l’institutionnalisation oligarchique du pouvoir qui fonde sa propre marginalité politique.
Sic : « sur la base la plus unitaire possible des organisations syndicales, [des partis] politiques, des collectifs et des assemblées »....
... il s’agirait de...
de construire un espace politique autonome, qui ne trouve plus ses repères dans l’ordre symbolique institué, c’est-à-dire dans la démocratie institutionnelle du capital, et qui construit son propre espace de symbolisation.
Gramsci, sors de ces corps !
Il ne serait donc plus question de lutte de classe.
Mais, contre la classe des capitalistes, de la lutte de groupes d’intérêts équivalents appelés à se réunir au sein d’une « interorganisations » ou coordinations permettant à chacune de ses composantes (dont les « organisations syndicales ») à « tisser un espace commun, un continuum » et à « élaborer une composition des tactiques ».
Tant que les assemblées générales sur les lieux de travail, les assemblées populaires dans les quartiers ne rassembleront pas la majorité de la population, tant que des conseils de délégués locaux ne constitueront pas une représentation populaire alternative, les syndicats et partis de gauche continueront à incarner une esquisse toujours plus réelle d’une telle alternative que les cortèges de tête.
Oui, c’est le problème, mais pour le résoudre, les auteurs ne comptent, dans le fond, que sur... les syndicats et partis de gauche :
Ce qui pourrait contribuer, depuis l’aire autonome, à réaliser ce tissage, c’est de rappeler syndicats et partis à leurs présupposés démocratiques, à leur raison d’être qui n’est pas initialement de « représenter » (au sens d’exercer le pouvoir sur) mais d’organiser toute la classe, comme classe autonome. Ainsi, c’est plutôt avec eux, ou au moins avec une partie d’entre eux, que contre eux, qu’il s’agirait de construire cet espace politique autonome.
Toute l’histoire et l’expérience du mouvement ouvrier depuis 80 ans réduites à néant !
Trotsky écrivait que « les syndicats de notre époque peuvent, ou bien servir comme instruments secondaires du capitalisme impérialiste, pour subordonner et discipliner les travailleurs et empêcher la révolution, ou bien, au contraire, devenir les instruments du mouvement révolutionnaire du prolétariat ». Mais Trotsky écrivait cela en 1940. Or, depuis, qui peut prétendre que les syndicats sont devenus les instruments du mouvement révolutionnaire ?
Personne. Car c’est le contraire qui s’est vérifié, et aussi complètement qu’il était possible.
La crise actuelle le démontre : ces énormes machines qui semblent s’être taillé une si belle place dans la société bourgeoise, sont non seulement incapables de protéger les acquis du mouvement ouvrier, mais elles sont incapables de permettre aux travailleurs de s’armer politiquement, moralement et organisationnellement pour combattre pour leurs intérêts de classe.
La position des auteurs est celui, typique, de tout militant (?) qui refuse de croire à la capacité de la classe ouvrière de prendre en main ses propres luttes. Du reste, ils le confessent eux-mêmes : le « mouvement révolutionnaire » est « un mythe ». Ils refusent de croire en
un fond de révolte prêt à jaillir, et qui n’aurait qu’à briser les carcans de la gauche, à dissiper ses mirages, pour se révéler pleinement à lui-même.
Ils refusent d’espérer
un désir révolutionnaire entravé, réprimé, qui n’aurait qu’à faire éclater les cadres qui l’enserrent.
Malgré le style ridicule, c’est pourtant la seule solution : seule la lutte des travailleurs eux-mêmes peut mettre sur pied d’autres organes de classe, réellement représentatifs des travailleurs en lutte. Des comités de grève, élus par les grévistes, contrôlés par eux, indépendants des appareils syndicaux, et, pour ces raisons (essentielles), capables de conduire leurs luttes et permettre qu’elles se développent.
Les directions syndicales et les partis de la gauche institutionnelle (gestionnaire, gouvernementale, patronale) feront tout pour freiner et entraver de tels organes de combat. Il n’y a rien à en attendre. Autrement dit, penser que, dans la situation actuelle, la perspective de construire de nouveaux syndicats peut être une issue pour les "masses" est au mieux une utopie, au pire une énième façon de les tromper et de les mener dans l’impasse.
À l’inverse, combattre pour mettre sur pied une telle organisation, il n’y a que les révolutionnaires prolétariens qui s’en chargent.