Alors que les premières factures doivent tomber en avril et coûteront plusieurs centaines d’euros par an aux ménages, les campagnes appelant au non-paiement sous le mot d’ordre « No way, we won’t pay » (« pas question, on ne paiera pas »), essaiment à travers le pays. Du jamais vu depuis l’indépendance en 1922. Pas même au plus fort de la crise financière. Car l’eau cristallise tout le reste. Coupes dans les dépenses publiques, baisse des salaires, augmentation des impôts : la rigueur budgétaire – dont le pays est officiellement sorti en octobre – a demandé trop d’efforts aux Irlandais. Le taux de chômage a certes baissé, mais avoisine toujours les 10,7 %. Et, alors que le gouvernement les serine avec la reprise économique, une grande partie des 4,5 millions d’habitants n’en ressent toujours pas les effets. « Les 99 % de gens ordinaires voient qu’on fabrique une reprise pour les 1 % de riches aux dépends du reste de la population qu’on continue à saigner », tance Paul Murphy. Le député a encore sa carte au Parti socialiste (trotskiste), qu’il a intégré à l’âge de 18 ans.
Désobéissance civile :
Sept mois que Derek Mac An Ucaire, Brendon Condron et Gerard Kelly, ont réglé leur réveil à 5h du matin pour mener bataille contre les ouvriers de la compagnie Irish Water chargés d’installer les compteurs d’eau à chaque habitation.
Dans le quartier ouvrier de Crumlin, dans le sud de la capitale, la résistance fait moins de bruit, tapie dans la nuit glaciale. Elle n’en est pas moins efficace. Voilà sept mois que Derek Mac An Ucaire, Brendon Condron et Gerard Kelly ont réglé leur réveil à 5 heures du matin pour mener bataille contre les ouvriers de la compagnie Irish Water chargés d’installer les compteurs d’eau à chaque habitation. « Quand ils arrivent, on se positionne derrière les barrières de sécurité pour les empêcher d’accéder aux canalisations. C’est de la désobéissance civile », explique Derek, gaillard d’une quarantaine d’années, qui surveille les rues alentour en tentant de se réchauffer les mains. Une désobéissance d’autant plus légitime, considère-t-il, que les Irlandais « paient déjà l’eau dans leurs impôts ».
Les trois hommes aussi ont déjà été arrêtés. « C’est le prix à payer, lâche Brendon en haussant les épaules, tant qu’on est relâchés ». Et cette guerre de tranchée semble payante. « Dans cette rue, ils n’ont pu installer que deux compteurs en une semaine », se félicite Derek, qui a sacrifié plusieurs journées de travail dans ce combat. Gerard et Brendon, eux, sont au chômage. Gerard poste une photo de la rue où ils se trouvent sur le groupe Facebook du quartier. Un moyen efficace de tenir les habitants au courant de leurs actions. Chaque groupe d’opposants, réparti par quartier, procède ainsi. Ils font aussi du porte-à-porte pour convaincre les riverains de ne pas payer les factures à venir. Les maisonnées de briques rouges sommeillent encore et le siège sera long, jusqu’à 16 heures et la relève du prochain groupe. Mais, déjà, un homme qui réside à quelques pâtés de maison leur donne l’alerte : les travaux commencent dans sa rue. Les trois activistes décampent.