Pour Fabrice Balanche, géographe spécialiste de la Syrie et directeur du Gremmo (Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient), « Erdogan montre ses muscles dans cette opération puisque s’il a averti la Syrie, il n’a pas attendu le feu vert de Damas pour cette promenade en territoire syrien ». « Or, l’aviation syrienne n’a pas osé bombarder le convoi militaire turc, ce qui est un aveu de faiblesse et, donc, une humiliation pour Bachar el-Assad », poursuit-il. Balanche estime qu’« après son fiasco diplomatique avec Kobané, Erdogan avait besoin d’engranger un petit succès nationaliste auprès de la population turque. Il est symptomatique que ceux qui critiquent le plus cette opération sont les députés kémalistes de l’opposition qui accusent le président turc d’avoir abandonné une portion du territoire national, la tombe de Sulaiman Shah, grand-père du fondateur de l’Empire ottoman, qui bénéficie du statut d’extraterritorialité en Syrie ».
Ce qui a surpris, aussi, lors de cette opération, c’est que les soldats turcs n’ont rencontré aucune résistance de la part des combattants de Daech qui occupent la zone. Pour Balanche, « il existe bien un pacte de non-agression entre Ankara et Baghdadi (le calife de l’EI, ndlr). « Le président turc a refusé l’entrée de la Turquie dans la coalition anti-Etat islamique, ce qui prive notamment les Occidentaux de l’utilisation de la base militaire de l’Otan, située à Incirlik », analyse-t-il. Et de poursuivre : « La Turquie continue à laisser passer en Syrie les jihadistes et à les soigner dans ses hôpitaux. Il est donc normal que l’Etat islamique n’agresse pas le convoi militaire turc, tout comme ils ont libéré rapidement les otages turcs dans le nord de l’Irak l’été dernier, après la prise
de Mossoul ».
Cette opération éclair d’Ankara continue d’intriguer, à tel point que certains s’interrogent sur la possibilité d’une offensive ultérieure, de plus grande envergure. Une hypothèse balayée par Fabrice Balanche qui ne croit pas « que la Turquie souhaite envahir la Syrie sans le soutien de ses alliés de l’Otan. Or, il n’est pas question d’une offensive terrestre ». Toutefois, explique-t-il, « on ne peut exclure évidemment une action terrestre limitée en territoire syrien pour libérer des otages, prendre le contrôle d’un poste-frontière... ». Pour d’autres observateurs, comme l’historien turc Ali Kazancigil, cité par RFI, il s’agirait aussi pour Ankara de montrer aux « forces chiites comme l’Iran et le Hezbollah », toutes deux présentes sur le territoire syrien, « que la Turquie est présente et qu’il ne faut pas l’oublier ».