Tracés. Revue de Sciences humaines

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  • La #revue #Tracés en #open_access désormais...

    #Tracés

    La revue de sciences humaines Tracés, éditée par ENS Éditions, réunit deux fois par an des auteurs issus de diverses disciplines autour d’un thème ou d’un problème commun traversant les #sciences_humaines. Parfois, il s’agit de rendre compte d’un débat ancien qui a pris un tour nouveau en raison de l’actualité éditoriale ou d’événements politiques. D’autres fois, l’ambition est de soumettre à une interrogation croisée une notion que les multiples traditions intellectuelles et disciplinaires abordent en ordre dispersé ou bien encore tenter des rapprochements plus spéculatifs autour d’un terme aux usages mal contrôlés. La conviction profonde de Tracés est que le dialogue interdisciplinaire est non seulement possible mais fécond.

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  • Le digital labour, extension infinie ou fin du travail ?

    Article de Sébastien Broca dans la revue Tracés

    http://traces.revues.org/6882

    Des passages pertinents :

    [...] l’élargissement de la catégorie de travail à la simple émission de données serait lié à une situation où le travail humain occupe désormais, dans certains secteurs technologiques, une fonction relativement subalterne dans le processus de création et de captation de la valeur.

    D’autres à discuter :

    Ce qui demeure hégélien chez Marx, c’est une définition du travail (concret) en tant qu’activité consciente d’un sujet, imprimant sa marque dans le monde afin de rendre celui-ci habitable.

    Cet héritage hégélien de Marx est indéniable et peut être détecté dans de multiples textes, à commencer par Le Capital. Mais Marx est resté très contradictoire à ce sujet, car on peut aussi y trouver des passages où la part concrète du travail est analysée en terme de support nécessaire de la part abstraite, et où Marx évoque le renversement qui fait de l’abstrait le moment déterminant de la production (et donc du travail) à l’ère capitaliste. Selon cette interprétation, le concret de l’activité productive n’est plus une dimension anthropologique qui définit de tout temps le rapport de l’homme à son environnement, mais une facette qui n’existe qu’en lien avec le travail abstrait et donc spécifique à la synthèse sociale capitaliste.

  • entretien avec le fantôme de Maximilien Robespierre, par Sophie Wahnich
    http://www.vacarme.org/article2846.html

    Depuis les attentats du 13 novembre 2015, le mot « guerre » est redevenu prononçable dans l’espace public. Pensez-vous que ce soit une bonne ou une mauvaise chose ?

    Je suis adepte d’un langage de vérité, et il est difficile de cacher plus longtemps cet état de fait. La France fait effectivement la guerre à quantité d’organisations islamiques djihadistes, partout elle envoie des soldats, mais aussi des tueurs ou des drones pour accomplir des assassinats ciblés qui ne sont désormais inconnus que de ceux qui ne veulent pas savoir. Depuis ma condition de fantôme, je l’observe depuis un moment. On pourrait dire qu’enfin les Français prennent conscience qu’une guerre se mène en leur nom.

    Cette méconnaissance vient à mon sens des institutions de votre Ve République. (…)

  • Hacker l’espace public : la citoyenneté insurrectionnelle sur Internet
    http://traces.revues.org/5948

    « C’est la parole à l’état de foudre ; c’est l’électricité sociale. Pouvez-vous faire qu’elle n’existe pas ? Plus vous prétendrez la comprimer, plus l’explosion sera violente. Il faut donc vous résoudre à vivre avec elle, comme vous vivez avec la machine à vapeur. »
    -- Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe

    Les controverses juridico-politiques autour de la liberté d’expression sur Internet offrent le spectacle d’un affrontement entre deux logiques. La première défend le bien-fondé des politiques de restrictions de libertés sur Internet au nom de l’application du droit positif existant et du primat du régime représentatif.
    [...]
    Face à cette approche positiviste-légaliste, les mouvements de la société civile héritiers des utopies pirates du cyberespace incarnent la seconde logique. Défenseurs de la culture libre, militants de la transparence, hacktivistes de tous crins... Autant d’acteurs et de mouvements qui dénoncent la manière dont les États transposent leur droit à Internet, pointent la spécificité de ce moyen de communication par rapport aux médias traditionnels et critiquent des politiques répressives qu’ils estiment attentatoires à l’État de droit.

    [...]

    Internet a surgi dans un paysage politique caractérisé par ce fossé croissant entre les institutions et les formes vécues de la citoyenneté. Il est quant à lui le vecteur d’une seconde tendance lourde à l’œuvre dans nos sociétés, à savoir le développement de l’idéologie politique aux multiples facettes que Benjamin Loveluck a appelé le « libéralisme informationnel ».

    [...]

    Au final, même si ces actions de désobéissance civile constituent un élément important du répertoire d’action de la citoyenneté insurrectionnelle sur Internet, leur recrudescence risque donc de motiver l’adoption de nouvelles mesures d’exception et la sortie plus franche encore de la sujétion du Léviathan à l’État de droit, aggravant les dérives répressives déjà observées. Les insurgés-pirates et les États qui les pourchassent, en sortant chacun à leur manière toujours plus du domaine du droit, engagent une guerre civile en réseau, maintenant Internet dans une sorte d’état de nature hobbesien.

    D’où l’importance que revêt la seconde stratégie en réponse à la répression. Afin que les formes insurrectionnelles de participation à l’espace public qui se déploient aujourd’hui sur Internet puissent être durablement reconnues et protégées, des militants tentent de porter l’éthos du libéralisme informationnel dans les arènes institutionnelles de la démocratie, et promeuvent une réforme juridique qui puisse protéger les nouvelles capacités dont Internet dote la société civile. Si ce recours croissant à des formes classiques de participation politique peut passer par la création de partis politiques – à l’image des partis pirates –, il se traduit le plus souvent par des stratégies d’influence et de lobbying citoyen en direction des élus et autres pouvoirs publics ; ou comment une partie des héritiers des utopies pirates du cyberespace tentent de normaliser leur relation au souverain étatique pour mieux changer sa loi. Il s’agit d’une approche constitutionnaliste visant à refonder le droit de l’espace public en accord avec les valeurs du libéralisme informationnel afin notamment de légaliser la citoyenneté insurrectionnelle de l’espace public, et qui semble aujourd’hui seule en mesure de rétablir la pleine légitimité du régime représentatif à réguler Internet (MacKinnon, 2012, p.219-243).

    [...]

    [L]’avertissement professé par Chateaubriand au sujet de la presse garde aujourd’hui toute sa pertinence s’agissant d’Internet : tant que le pouvoir ne renoncera pas à « comprimer » le « chaos démocratique » engendré par ce réseau de communication et qu’il échouera à produire, comme disait Lefort, « les critères du juste et de l’injuste » face à cette opposition de droit (ibid., p.77), le régime représentatif ne pourra sortir par le haut du conflit de légitimité dans lequel l’entraînent irrémédiablement ces nouvelles incarnations de la citoyenneté insurrectionnelle de l’espace public.

    Et bien en voilà un très bon résumé !

    (Psst ! → http://lstu.fr/ytPeqdOu )

    #Citoyenneté_insurrectionnelle #Contre-pouvoir #Cyberespace #Datalove #Hacktivisme #Internet #Liberté #Politique #libéralisme_informationnel #État

  • Laborieuse Nature
    http://www.laviedesidees.fr/Laborieuse-Nature.html

    Comment naissent les découvertes et les progrès scientifiques ? Contre une vision idéaliste et triomphaliste de l’histoire des sciences, toute l’œuvre de Simon Schaffer a consisté à observer la science en train de se faire, au plus près des pratiques et des acteurs. Loin de diminuer son prestige, cette approche lui restitue la place centrale qu’elle occupait dans les sociétés d’Ancien Régime.

    Essais & débats

    / #histoire_des_sciences

    #Essais_&_débats

    • Plus encore, cette méthodologie retourne l’opposition classique entre #sciences et société (selon laquelle la vérité universelle aurait pour condition d’existence son arrachement aux déterminismes et aux contextes sociaux, le laboratoire figurant comme le lieu par excellence de cette abstraction construite), pour mettre l’accent sur une #épistémologie du témoignage qui jusque-là était placée au second plan. L’épistémologie du témoignage met en évidence un déplacement de la question de l’autorité et de la certification des savoirs en insistant sur la composition sociale de l’auditoire de ces expériences. Ainsi, dans les écrits de Schaffer, la preuve scientifique cesse d’appartenir au seul vocabulaire du travail scientifique pour apparaître comme une pratique éminemment sociale. L’effondrement de l’édifice scolastique ébranle les anciennes définitions de la certitude héritée de l’Antiquité et du Moyen-Âge et les autorités textuelles. Or, pour assurer à la pratique expérimentale un statut stable et sûr, il ne suffit plus de la garantir par les institutions de savoirs liées à l’Église. La culture absolutiste rend nécessaire d’y intégrer des éléments socio-politiques nouveaux et de lui insuffler une nouvelle grammaire des pratiques. L’attention portée aux notions polysémiques de confiance, de vertu, de crédit qui appartiennent à plusieurs mondes (monde moral, monde économique, monde politique) renvoie à cette volonté de travailler sur des objets frontières de la pratique scientifique. C’est cette mobilité remarquable des concepts et leur polyvalence qui permet aux sciences de conquérir une position légitime dans les académies comme dans les ministères.

      [...]

      Si Léviathan et la pompe à air avait déjà abordé la question de l’universalisation de la culture expérimentale, Shapin et Schaffer avaient d’abord porté leur attention sur l’analyse des mécanismes précis de sortie du laboratoire et de généralisation des résultats de l’expérience. Si les connaissances circulent ce n’est pas parce qu’elles sont par nature universelles, « mais c’est parce qu’elles circulent qu’elles deviennent universelles ». Si l’irréversibilité des résultats scientifiques obéit à une procédure de détachement, c’est moins par le partage universel d’une capacité de l’entendement humain que par la routinisation des pratiques scientifiques liées à une standardisation dans l’usage des instruments et des techniques. Comme le notent T. Shinn et P. Ragouet, « c’est au cours de ces processus de décontextualisation et de recontextualisation au sein de sites différents qu’émerge une forme d’universalité que l’on peut qualifier de pratique [10] ». L’univers des instruments unifie les différents sites par la circulation de mêmes techniques de manipulation, de mêmes modes d’action, d’un même vocabulaire pour qualifier ces tâches. C’est le caractère générique de l’instrument qui permet la constitution d’une langue commune aux chercheurs : « le caractère universel du savoir-instrument tient à la pertinence qui lui est accordée de façon indépendante au sein de plusieurs champs [11] ». Comme on le voit, loin d’être un processus spontané, cette universalisation est un travail coûteux qui exige un fort investissement et qui n’est jamais acquis d’avance. L’« oubli » des conditions sociales de production des savoirs apparaissait moins comme une dénégation du particulier, qu’un effet de la routinisation introduite par les pratiques expérimentales ou la circulation des mesures et des étalons. Dans ce cadre d’analyse, l’universalisation était portée par une répétition locale des mêmes expériences, et de ce fait semblait fragile. C’est bien la standardisation négociée, la production d’un langage et de pratiques communes qui permettra au XIXe siècle le triomphe des sciences exactes comme Schaffer la documente dans son étude sur la « manufacture » de l’étalon d’ohms dans les recherches électromagnétiques (qui permettent par exemple l’invention du télégraphe) [12].

      #Simon_Schaffer

    • Les techniques de l’expérimentation. Entretien avec Simon Schaffer
      http://traces.revues.org/2743

      Cet emboîtement [homme/machine], comme on peut l’appeler, est directement lié, d’un point de vue philosophique, à la notion de fétiche. Car le fétichisme, c’est l’attribution de l’intelligence et de la vie à des entités qui en sont dépourvues. Et les historiens des techniques savent qu’il y a une relation très ancienne entre l’historiographie du capitalisme manufacturier et les processus de #réification et de #fétichisation. C’est pourquoi l’étude du célèbre chiasme marxiste de la réification et de la fétichisation m’a toujours particulièrement intéressé. Comment ces attributions arrivent-elles et comment ce double mouvement se déploie-t-il ? Quelle est son histoire et quel rôle joue-t-il dans l’histoire de la science ? C’est, en un sens, la réponse à la question biographique : il s’agit d’une longue et sans doute infructueuse tentative pour expliquer ensemble les processus de réification et de fétichisation. L’histoire de la déqualification tend à être une simple histoire de la réification, où le « savoir gestuel » se matérialise dans des dispositifs mécaniques. Quant à l’histoire du fétichisme, elle se résume à une simple histoire de la consommation où les consommateurs sont constamment cernés par le fantasme. Mais il y a évidemment une relation entre les deux, et les historiens des sciences et des techniques devraient avoir beaucoup de choses à en dire. Les automates, la déqualification, les différentes machines, le calcul mécanique, le mouvement perpétuel et les télégraphes, le laboratoire plus généralement, sont devenus des lieux où il est très intéressant d’enquêter pour qui s’intéresse non pas seulement aux deux processus, mais à la simultanéité des deux processus : c’est là que se trouve la réponse adéquate.

      [...]

      Ce qui est nouveau dans mon travail, c’est l’idée que les décisions #techniques, toutes les décisions techniques, reposent sur des #cosmologies_politiques. Et encourager un système technique pour ses qualités et sa valeur, c’est encourager en même temps la valeur et les qualités d’un système social. Et la médiation entre les deux est le mot très ennuyeux de « savoir », précisément. Qui est l’expert ? Qui doit-on croire ? La distribution de la #confiance va de pair avec des projets techniques autant qu’elle va de pair avec les systèmes de formation étatique. Cette idée n’est certainement pas neuve, mais reste intéressante : entre les techniques et l’#État, il y a une articulation très importante qui est le problème de la fiabilité.