• Philosopher avec l’histoire de la philosophie : Gilles Deleuze vu par Manola Antonioli
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    Deleuze transforme ainsi l’histoire de la philosophie en une série de rencontres qui permettent de penser avec et non sur, selon une logique créatrice qui subvertit la pensée autant que l’histoire.
    Ce sont des recherches sur la réception française de la pensée nietzschéenne qui m’ont amenée à m’intéresser à la #philosophie de Deleuze, dont j’ai lu dans un premier temps les ouvrages consacrés à Nietzsche. Selon la « méthode de dramatisation » de l’histoire de la philosophie que le jeune Deleuze avait théorisée dans le texte d’une conférence qui n’a été publiée qu’après sa mort[1], la philosophie nietzschéenne y est présentée à travers ses personnages, animaux, humains ou divins, mais surtout à partir des « forces » qui s’y expriment (forces actives et réactives, volonté de puissance, éternel retour, forces tragiques de La Naissance de la tragédie, forces insoupçonnées du corps dont l’importance rapproche Nietzsche de Spinoza, « grande » et « petite » santé, puissances ascétiques dans La Généalogie de la morale, forces du nihilisme passif ou actif, forces destructrices et forces de création). Ainsi, l’histoire de la philosophie se transforme de simple succession chronologique des étapes du développement d’une #pensée « canonique » (conçu souvent comme linéaire, prévisible depuis ses commencements, fait de phases en cohérence les unes avec les autres) en l’analyse des événements, imprévisibles, discontinus, dont l’irruption produit une pensée originale et singulière, qui constituera à son tour un événement philosophique, un seuil de discontinuité à partir duquel il nous sera impossible de penser comme avant.

    J’ai découvert chez #Deleuze une pratique de l’histoire de la philosophie qui consiste à penser au présent les philosophies du passé, en ayant recours à une sorte de « discours indirect libre » qui brouille les frontières entre la pensée du philosophe-historien (dans ce cas, Deleuze lui-même) et celles des auteurs qu’il étudie. La pensée se produit dans ces pages à partir des rencontres avec d’autres pensées, dans la dissipation des #identités, comme ce qui fait parler des « #singularités_impersonnelles », dynamique comparable à celle introduite par Maurice Blanchot dans le domaine de la critique littéraire.