Les Inrocks - Pierre-Jean Luizard : « L’Etat islamique pourrait bien être le premier Etat salafiste à voir le jour »

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  • Les Inrocks - Pierre-Jean Luizard : « L’Etat islamique pourrait bien être le premier Etat salafiste à voir le jour »
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    A l’instar de l’Etat irakien, l’Etat syrien n’a jamais permis l’émergence d’une citoyenneté partagée. Ceci explique qu’ils ont été la cible privilégiée des minorités (arabe sunnite en Irak et alaouite en Syrie) même si ce fut de façon différente dans chaque pays. La remise en cause des régimes a abouti à celle des Etats et, à ce titre, l’Etat islamique peut se prévaloir d’une longueur d’avance sur les autres groupes de l’opposition syrienne : il est le seul à ne dépendre d’aucun lien de dépendance envers un autre Etat et le seul à avoir traduit dans les faits la dégénérescence confessionnelle du printemps arabe, en Syrie notamment. En Irak, l’Etat islamique s’est imposé, en particulier face à Al-Qaïda, qu’il a purement et simplement intégré dans ses rangs. Il peut se targuer d’être le principal représentant de la “société civile” arabe sunnite du pays.

    #Daesh

    • C’est là un autre volet, le volet occidental, de l’action de l’Etat islamique. Les sociétés démocratiques occidentales font peser un poids important sur les épaules de chaque individu, de plus en plus sommé de se définir sans l’aide des cadres traditionnels qu’étaient l’Eglise, les partis, les syndicats ou la famille. Il faut tenter de se faire une opinion et de se forger une identité par soi-même sans le recours à des autorités ou à des maîtres à penser. Une telle responsabilité n’est pas assumable par tous. Ce qui est possible pour des élites culturelles et intellectuelles ne l’est pas toujours pour d’autres. Le phénomène sectaire puise à l’aune de ce dénuement. On recherche un gourou, une identité que ni l’Etat ni la société multiculturelle et de consommation ne sont en mesure d’apporter. La passion du foot et du vélo ne suffit pas.

      Le modèle républicain français est particulièrement questionné : se voulant universalisme, il en a les défauts et les manques, notamment sur la question de l’identité. Il faut rappeler que l’histoire coloniale française s’est faite au nom de ces idéaux républicains et que ce sont bien ces idéaux qui ont échoué en Algérie. On a voulu faire des musulmans algériens des Français en tentant de les acculturer à travers un “islam républicain” tout en les empêchant de devenir français. La loi de 1905 n’a pas été appliquée aux musulmans d’Algérie. Les juifs et les chrétiens d’Algérie ont obtenu la citoyenneté française là où les musulmans sont demeurés “sujets français”. Et les écoles de Jules Ferry en Tunisie n’ont pas permis d’effacer un rapport de domination coloniale. Ce n’était donc pas seulement un problème d’éducation comme ont feint de le croire les élites républicaines françaises.

      Ayant mis un mouchoir pudique sur ces échecs, ces élites ont largement ouvert les portes de l’immigration à une population, souvent défavorisée, originaire des ex-colonies, qui constituait autant de main-d’œuvre bon marché. Là encore, sans jamais se poser la question de l’identité, essentielle pour un vivre-ensemble, ni celle de la possible exclusion économique des futures générations issues de l’immigration comme c’est le cas aujourd’hui. Les apprentis djihadistes français n’ont certes pas la mémoire précise de cette histoire, mais elle constitue un ressenti qui alimente la victimisation. C’est la raison pour laquelle il y a peu de chance de voir émerger un gallicanisme musulman ou un islam républicain dont les promoteurs seraient vite perçus comme des “harkis” de l’islam.

      #EEIL #Al-Qaeda #analyse