Rien de transcendant. le Monde, en fait.
Le comité du prix Nobel de la paix est en pleine bataille politique. Son président, Thorbjorn Jagland, également secrétaire général du Conseil de l’Europe, a été débarqué, mardi 3 mars, de son poste. L’annonce a provoqué de nombreuses réactions en Norvège. « C’est la première fois qu’un président est écarté contre sa volonté », remarque Asle Sveen, historien des Nobel.
Mardi, le comité Nobel norvégien, chargé du choix du prix Nobel de la paix, a déclaré que Kaci Kullmann Five, ancienne dirigeante du Parti conservateur et membre du comité Nobel depuis 2003, avait été nommée présidente à la place de M. Jagland, ancien premier ministre travailliste, qui occupait le poste depuis 2009.
« Le comité Nobel a mis son indépendance en jeu et écrit une page d’histoire en liant l’élection de son président à la majorité politique au sein du comité », a commenté Harald Stanghelle, le rédacteur en chef d’Aftenposten. « Le comité Nobel est le principal visage de la Norvège à l’étranger et cet événement nous ridiculise aux yeux du monde entier », estime Abid Raja, membre du Parti libéral, qui comme beaucoup d’autres, pointe l’influence de la Chine derrière cette décision.
Rapprochement avec la Chine
Selon Asle Sveen, l’éviction de M. Jagland peut être considérée comme une capitulation devant la Chine. « Les Chinois vont probablement interpréter cela comme un rapprochement politique avec la Chine », puisque Pékin en veut beaucoup à Oslo depuis l’attribution du prix en 2010 au dissident chinois Liu Xiaobo, qui a provoqué le gel des relations entre la Chine et la Norvège. Pékin a également été irrité par la visite, en mai 2014, du dalaï-lama pour célébrer le 25e anniversaire de son prix Nobel de la paix, même si le nouveau gouvernement de droite a pris soin de ne pas le rencontrer.
Ce changement de présidence jette surtout une lumière crue sur l’influence du jeu politicien norvégien sur le prix Nobel de la paix alors que l’institution Nobel d’un côté et les Parlement et gouvernement norvégiens de l’autre clament que le comité est totalement indépendant de la politique d’Oslo. « En changeant le responsable du comité Nobel, la majorité du comité a maintenant confirmé le lien entre le comité et les institutions politiques », critique le quotidien Dagbladet.
« Le comité Nobel est le principal visage de la Norvège à l’étranger et cet événement nous ridiculise aux yeux du monde entier », estime Abid Raja, membre du Parti libéral
Composé de cinq membres nommés pour six ans par les principaux partis représentés au Parlement norvégien, le comité actuel compte deux membres nommés par le Parti conservateur, deux par le Parti travailliste et un par le Parti du progrès, un mouvement de droite populiste et anti-immigrés. Formellement, rien n’oblige toutefois le Parlement norvégien à nommer des anciens politiciens ou même des Norvégiens.
La majorité politique au sein du comité a changé de couleur avec la nomination de Henrik Syse, philosophe et chercheur, à l’automne 2014, par le Parti conservateur, à la place d’une représentante du Parti de gauche socialiste. Cela reflétait le changement de majorité à l’issue des élections législatives de septembre 2013, qui a permis de mettre en place une coalition gouvernementale composée du Parti conservateur et des populistes du Parti du progrès.
Choix souvent contestés
Les choix du comité Nobel, sous la présidence de M. Jagland, ont souvent été contesté. Le premier lauréat couronné avait été Barack Obama, quelques mois seulement après l’élection du président américain, bien trop tôt donc, selon les opposants à ce prix, pour que l’on puisse juger de ses résultats. M. Jagland avait alors été accusé de vouloir profiter pour sa propre image de l’énorme engouement mondial dont bénéficiait M. Obama en 2009.
L’année suivante, l’attribution du prix à Liu Xiaobo avait provoqué un gel diplomatique et économique entre la Norvège et la Chine. En 2012, l’attribution du prix à l’Union européenne avait encore été vue comme la marque personnelle de M. Jagland, qui avait été notamment accusé de conflit d’intérêt du fait de sa fonction de secrétaire général au Conseil de l’Europe, poste qu’il occupe depuis 2009. Sa nomination à la tête du comité avait aussi été critiquée car, lors de son élection, Thorbjorn Jagland était encore président du Parlement, confirmant donc un lien très fort avec la politique norvégienne.