• Il est temps de refonder une école française de pensée stratégique sur la #Russie

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    C’était il y a un peu plus d’un an ...

    Il est temps de refonder une école française de pensée stratégique sur la Russie

    Le Monde.fr | 02.06.2015 à 12h37 • Mis à jour le 02.06.2015 à 12h45

    Depuis plus d’un an et demi, la crise ukrainienne a mis en lumière le dynamisme des recompositions (géo)politiques dans l’espace postsoviétique : cette région du monde est en mouvement, et ce mouvement impacte directement l’espace européen. L’enjeu est loin d’être limité à l’avenir des marges orientales de l’Europe. La Russie et l’Europe partagent un même continent, et ne peuvent avoir des trajectoires historiques cloisonnées.

    La crise ukrainienne – de la Crimée au Donbass – a également révélé à quel point le paysage stratégique français était polarisé sur la question. Non qu’il faille viser l’unanimité des points de vue. Mais on ne peut qu’être inquiet de la pauvreté relative du débat stratégique. Comme souvent concernant l’espace postsoviétique, seules les positions radicales aux deux extrêmes du spectre – la simple reproduction du discours du Kremlin, ou le renouveau d’une russophobie viscérale – se sont exprimées. Diabolisation et dénonciations ont laissé l’opinion publique, les médias et les cercles de décision politiques et économiques dans l’impasse intellectuelle et stratégique.

    Cette situation est le résultat des nombreuses années durant lesquelles la Russie et les pays de l’ex-URSS ont été considérés comme les parents pauvres du débat stratégique français. L’État s’est largement désinvesti de son soutien à la production d’un savoir sur la région, accélérant la chute des études russes et eurasiennes dans les universités françaises, et siphonnant les fonds alloués à la connaissance des langues et contextes locaux. Dans les centres d’analyse stratégique, la zone Russie-Eurasie est devenue un secteur marginal, les jeunes esprits brillants étant invités à s’investir dans des sujets plus porteurs, ou n’arrivaient pas à accéder aux lieux de visibilité. Bien sûr, dans ce climat morose de désintérêt pour la région, quelques exceptions ont tenu bon et ont appris à gérer au mieux la rareté des fonds, de ressources humaines et de soutien administratif.

    Il manque toutefois à la France une école de pensée globale structurée autour de trois grands enjeux :
    – Faire dialoguer les spécialistes des questions de politique intérieure, d’identité et de culture avec ceux qui s’occupent du secteur économique et des politiques étrangères et de défense. On a vu à quel point la crise ukrainienne était au carrefour des questions intérieures et des questions internationales – et les guerres de mémoire en cours n’en sont qu’à leurs débuts.
    – Favoriser le dialogue, courant dans le monde anglo-saxon mais absent en France, entre les think tanks et la recherche universitaire.
    – Replacer les enjeux liés à la Russie dans un contexte global qui touche l’Europe de plein fouet : viennent à l’esprit, parmi bien d’autres, flux migratoires, désespérance sociale qui pousse à la radicalisation, nouvelles infrastructures transcontinentales chinoises, etc.

    Sur la base d’un tel constat, il est temps de refonder une école française de pensée stratégique sur la Russie. Temps de faire tomber les clichés sur une Russie qui ne serait qu’un monstre froid avide d’expansion territoriale, ou à l’autre extrême, d’une Russie seule en mesure de sauver l’Europe de ses démons libéraux et transatlantiques. Temps d’avoir une vision proactive vis-à-vis de la Russie et de mettre en place de nouvelles plateformes où la recherche sur ce pays puisse s’élaborer en prenant en compte la profondeur historique, la dimension économique, les contextes locaux ou encore l’expression du pluralisme qui existe en Russie même. Temps que tous ceux qui contribuent à la prise de décision puissent s’appuyer sur des analyses objectives – qui intègrent aussi bien le long passé des relations franco-russes que les tensions et rivalités contemporaines – et soient libérés des différents lobbies qui se sont multipliés ces dernières années, et qui cherchent à influencer nos perceptions.

    L’Allemagne vient de décider, en janvier 2015, de financer un nouvel institut d’étude entièrement dédié à la Russie et l’espace eurasiatique, doté d’un budget de 2,5 millions d’euros. La France aurait avantage à suivre cet exemple. Il ne s’agit pas de mettre en place une nouvelle institution qui viendrait s’ajouter aux autres mais de créer des synergies nouvelles dépassant les traditionnels blocages franco-français et les concurrences institutionnelles, ainsi que de générer des analyses collectives libérées de concepts trop chargés idéologiquement.

    Il serait dommageable que Paris reste silencieux sur des enjeux qui touchent à l’avenir de l’Europe. De plus, une nouvelle école de pensée stratégique sur la Russie servira également de relais de la politique française d’influence globale au sein de l’Union européenne et dans le dialogue avec les États-Unis.
    Une certitude demeure : la Russie sera encore là dans les prochaines décennies. Mieux la comprendre doit nous permettre d’anticiper les trajectoires stratégiques pour affirmer les intérêts de la France et de l’Europe dans cette aire géopolitique essentielle.

    Mathieu Boulègue, associé pour le cabinet de conseil AESMA, Pôle Eurasie
    Isabelle Facon, chercheur, Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS)
    Kevin Limonier, chercheur, Institut Français de Géopolitique, Université Paris VIII
    Marlène Laruelle, professeur, Elliott School of International Affairs, George Washington University
    Jérôme Pasinetti, président du cabinet de conseil AESMA
    Anaïs Marin, Marie Curie Fellow, Collegium Civitas, Varsovie
    Jean Radvanyi, professeur des universités, INALCO
    Jean-Robert Raviot, professeur, études russes et post-soviétiques, Université Paris Ouest Nanterre
    David Teurtrie, chercheur associé au Centre de recherches Europe-Eurasie (CREE), INALCO
    Julien Vercueil, maître de conférences de sciences économiques, INALCO
    Henry Zipper de Fabiani, ancien ambassadeur de France

    #ex-urss #soviétisme

  • La lutte antiraciste n’est pas un « privilège blanc »

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/11/13/la-lutte-antiraciste-n-est-pas-un-privilege-blanc_4809274_3232.html?

    Par Alain Gresh

    Dans notre société, on ne devient pas blanc, on naît de cette « couleur », avec tous les privilèges qui y sont attachés. Bien sûr, cette « blanchitude » n’est ni raciale ni génétique. Bien qu’« immigré », parce que né à l’étranger de parents non français, je n’ai, au cours de mes cinquante et quelques années de vie en France, jamais subi un contrôle au faciès, jamais été fouillé au corps, jamais été insulté par un policier. Les deux seules fois où je me suis fait arrêter, ce fut pour des raisons politiques, pour avoir balancé des œufs pourris sur le cortège du président américain Richard Nixon en 1969 et pour avoir occupé l’ambassade du Chili après le coup d’Etat du général Augusto Pinochet en septembre 1973.

  • Publisher Promises Revisions After Textbook Refers to African Slaves as ‘Workers’ - The New York Times

    http://www.nytimes.com/2015/10/06/us/publisher-promises-revisions-after-textbook-refers-to-african-slaves-as-wor

    Last week Coby Burren, a Houston teenager, was reading a textbook in his high school geography class when he came upon a map of the United States that caught his attention.

    #état-unis #esclavage #racisme #manipulation

  • La France ne doit pas perdre de vue le Liban à la veille d’un possible soulèvement
    par Charbel Nahas
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/10/01/la-france-ne-doit-pas-perdre-de-vue-le-liban-a-la-veille-d-un-possib

    Que recherche le gouvernement français au Liban et quel projet de société propose-t-il pour cet Orient si proche, pour la Méditerranée, pour l’Europe et la France elle-même ? Retenir le maximum de déplacés syriens pour éviter leur migration vers l’Europe alors qu’elle aurait pu contribuer à trouver une solution politique à la guerre civile en Syrie ? Vendre des armes à l’armée libanaise, comme à l’armée égyptienne, financées par les pétromonarchies du Golfe, et aux armées de ces dernières ? Soutenir d’anciens chefs de milice, des milliardaires affairistes du Golfe, reconvertis en patrons de communautés confessionnelles ou tribales, et des militaires à poigne, tous en mal de respectabilité internationale ?
    [...]
    Le mouvement de protestation populaire qui secoue le Liban depuis un mois se soulève précisément contre le modèle de société et de pouvoir qui est proposé aux sociétés du Proche-Orient, car la guerre civile du Liban a précédé de vingt-cinq ans celles qui secouent la région. Les Libanais refusent l’emprise des chefs de communautés, des idéologies religieuses et des puissances financières. Ce mouvement fait figure de précurseur d’un mouvement de correction salutaire. Il devrait susciter en France et en Europe plus d’attention que les visites de personnages emblématiques de pouvoirs de fait, à la fois illégitimes et incapables. Non pas à cause de liens historiques qui pèsent peu par rapport aux intérêts économiques et commerciaux, mais à cause des intérêts bien compris de la société française elle-même qui ne saurait se considérer à l’abri de frontières poreuses et d’alliés extérieurs peu recommandables.

  • Dessiner librement, mais en tout respect
    http://contre-attaques.org/l-oeil-de/article/dessiner

    A l’occasion du colloque international sur la liberté d’expression organisé par Cartooning for Peace, Régis Debray rappelle, dans le quotidien Lemonde.fr daté du 21 septembre, que le droit à l’ironie et à l’irrévérence ne consiste pas à dire n’importe quoi. Nous sommes mal placés pour donner des leçons à la terre entière, nous, les enfants de Rabelais, de Voltaire et de Wolinski. Les compagnons de Cartooning for Peace [l’association de dessinateurs présidée par Plantu] sont nos frères en résistance, face à (...)

    #L'œil_de_Contre-Attaques

    / #Ailleurs_sur_le_Web, #Presse, #carousel

    « http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/09/21/rire-en-respectant-les-convictions-d-autrui_4765104_3232.html?xtmc=r »

  • « L’Europe doit abandonner l’euro »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/03/02/l-europe-doit-abandonner-l-euro_4585513_3232.html

    W.Streeck, tribune du Monde, 2/03/2015

    Peut-être les artistes bruxellois de la négociation réussiront-ils à immobiliser la Grèce dans un premier temps et à faire passer l’été à l’euro. Cela produira peut-être l’effet collatéral désiré : provoquer la scission de Syriza et ruiner sa réputation auprès des électeurs

    #euro #Syriza #Grèce #Europe

    • C’est de début mars, mais je voulais l’archiver. Voilà :

      Si tout se passe bien, nous assistons au commencement de la fin de l’union monétaire européenne. « Si l’euro échoue, l’Europe échoue », disait Angela Merkel. Aujourd’hui, c’est exactement l’inverse. L’euro est en train de détruire l’Europe. Si l’euro échoue, il se pourrait quand même que l’Europe finisse par ne pas échouer. Ce n’est pas certain : les blessures qu’a causées l’union monétaire sont trop profondes.

      Avec l’arrivée au pouvoir en Grèce du parti de gauche Syriza, en alliance avec un parti groupusculaire d’extrême droite, le projet monstrueux consistant à greffer une monnaie commune à des sociétés ayant des économies différentes semble devoir connaître la fin qu’il mérite.

      On en avait pourtant fait, des tentatives ! On avait commencé par installer à la place des gouvernements élus des technocrates issus des bureaucraties financières privées et publiques, mais les peuples ingrats les ont renvoyés chez eux. L’ère de la docilité européenne est ainsi révolue : les institutions démocratiques ont rejeté les implants bruxellois. Et cela va continuer : en Espagne, le parti frère de Syriza, Podemos, enverra aux pâquerettes le Partido Popular.

      Personne ne peut savoir ce qui va sortir des négociations que l’on vient d’entamer. Syriza a des avis divergents quant à savoir si la Grèce doit rester ou non dans l’euro. Beaucoup de choses sont possibles. De l’autre côté, l’Italie et l’Espagne jurent qu’elles soutiennent la politique commune de « réforme » et de « sauvetage » – mais il est clair qu’elles réclameront pour elles les concessions que négociera la Grèce. Cela va coûter très cher au Nord. Syriza en chien démineur, chargé de repérer jusqu’où l’Allemagne est prête à aller pour préserver la cohésion de l’union monétaire ?
      Restrictions humiliantes

      Peut-être les artistes bruxellois de la négociation réussiront-ils à immobiliser la Grèce dans un premier temps et à faire passer l’été à l’euro. Cela produira peut-être l’effet collatéral désiré : provoquer la scission de Syriza et ruiner sa réputation auprès des électeurs. En menant à bien l’assainissement fiscal de la Grèce, puis celui, dès lors inévitable, des autres pays débiteurs, on n’aura rien gagné.

      Même si l’économie grecque se stabilisait à son niveau actuel, les gigantesques disparités que les « réformes » ont fait naître entre l’Europe du Nord et du Sud persisteraient, et cela vaudrait aussi pour l’Italie et pour l’Espagne si elles se rendaient « compétitives » au sens où l’entendent les normes de la Banque centrale européenne (BCE) et de l’Union européenne (UE).

      On réclamerait alors des compensations par redistribution ou par « relance » de la croissance, sous forme de crédits ou d’aides structurelles relevant de la politique régionale, ou du moins le rétablissement des relations telles qu’elles étaient avant la crise et le sauvetage : un conflit de redistribution déplacé au niveau des relations entre Etats. Et cette revendication, c’est à l’Allemagne qu’on l’adresserait, en même temps qu’à quelques pays de plus petite taille, comme les Pays-Bas, l’Autriche et la Finlande – la France intervenant alors comme « médiateur ».

      Ainsi débuterait un conflit durable qui provoquerait l’éclatement de l’Europe. L’Allemagne, le Nord, ne pourraient échapper aux négociations prévisibles. On peut s’attendre à ce que les bailleurs considèrent que les paiements qui leur sont réclamés sont trop élevés tandis que les pays bénéficiaires jugeront que l’argent ne coule pas assez, et seulement au prix de restrictions humiliantes de leur souveraineté.

      Ce conflit structurel existera tant que l’union monétaire subsistera. Si celle-ci ne se brise pas sur le conflit en question parce que les gouvernements s’accrochent obstinément à leur « expérimentation frivole » ou si le secteur allemand de l’exportation croit devoir s’accrocher jusqu’à la victoire finale à son « idée européenne », alors cet idéalisme provoquera l’éclatement de l’Europe. Mettre un terme, dès que possible, à l’union monétaire sous sa forme actuelle est donc avant tout dans l’intérêt, sinon économique, du moins politique de l’Allemagne.

      Haïe

      Dans les pays de l’espace méditerranéen, y compris en France, l’Allemagne est aujourd’hui plus haïe qu’elle ne l’a jamais été depuis la seconde guerre mondiale. L’injection financière de la BCE en janvier n’a eu qu’un seul effet certain : le sentiment de triomphe qu’a provoqué dans le sud de l’Europe la défaite allemande au conseil de la banque. Le héros de l’Italie s’appelle Mario Draghi, parce qu’on considère qu’il a pris les Allemands par la ruse et les a humiliés.

      Le dévalement européen de l’Allemagne est en bonne partie un héritage à long terme de cet « Européen passionné » qu’était Helmut Kohl. Quand des accords menaçaient d’échouer en raison d’un désaccord sur la répartition des frais, Kohl se montrait toujours disposé à payer la facture. Ce qui peut avoir été dans l’intérêt de l’Allemagne pour des raisons historiques, le folklore politique l’a porté au compte de convictions personnelles de Kohl, mais cette attitude a suscité des espoirs qui sont allés au-delà de son mandat.

      Pour les successeurs de Kohl de tous bords, les intérêts de l’économie exportatrice allemande et de ses syndicats justifieraient à eux seuls qu’ils fassent tout en vue de répondre à ces attentes et, le cas échéant, qu’ils financent seuls la cohésion de l’union économique européenne. Or cela, ces héritiers n’en sont plus capables.

      L’approfondissement du processus d’intégration, souhaité par nombre de bons Européens, a eu pour conséquence sa politisation et la naissance d’une opinion publique qui a mis un terme au « consensus permissif » sur la politique européenne d’intégration.

      Contrairement à ce que l’on expliquait, la vie publique européenne ne s’est pas installée sous forme de politique intérieure, mais d’une politique extérieure dans laquelle dominent les conflits entre Etats et où l’objectif d’une union sans cesse plus étroite, auquel on ne prêtait jadis qu’une attention secondaire, est devenu de plus en plus contesté. Au sein de l’union monétaire, les indispensables subventions d’intégration ont atteint un tel niveau qu’elles dépassent largement les possibilités de l’Allemagne.

      On peut considérer que le gouvernement Merkel serait volontiers disposé à faire payer un prix très élevé à ses contribuables pour imposer son « idée européenne » d’un marché intérieur supranational sans dévaluation pour les machines et les automobiles allemandes, et l’on peut en dire autant, même si c’est pour des raisons en partie différentes, de l’opposition rassemblée au Bundestag. L’émergence en 2013 du parti anti-euro AfD dans la politique intérieure allemande ne l’a toutefois pas permis.

      Catastrophe géostratégique

      Comme le consensus permissif a lui aussi toujours été lié à un système où tout ce qui devait servir l’intégration n’était pas connu du public, on pourrait continuer à travailler pour dissimuler les concessions allemandes dans de quelconques galeries technocratiques creusées en profondeur, ce à quoi se prêterait en particulier très bien la BCE. Mais cela aussi est devenu impossible avec les élections en Grèce.

      Les tiraillements auxquels on peut s’attendre autour du « programme de croissance », des remises de dettes et de la mutualisation des risques, d’une part, des droits d’entrée dans les gouvernements, de l’autre, se dérouleront sous l’impitoyable lumière de l’opinion publique, sous les cris d’alarme ou de triomphe, selon la situation, de l’AfD en Allemagne et de presque tous les partis dans les pays débiteurs.

      L’union monétaire a réduit à néant la politique européenne allemande et les succès qu’elle avait obtenus au fil de longues décennies. Si nous ne faisons pas attention, elle peut aussi à présent avoir des conséquences catastrophiques sur le plan géostratégique. La Russie est prête à accorder à la Grèce les crédits qui lui seraient refusés par l’UE.

      La même idée pourrait s’appliquer en cas de faillite de l’Etat grec ou si ce pays était exclu de l’union monétaire européenne. Si l’on en arrivait là, on se retrouverait face à une asymétrie aussi spécifique qu’unique : de la même manière que l’UE, encouragée par les Etats-Unis, tente de mettre un pied en Ukraine, la Russie pourrait travailler à établir en Grèce une tête de pont vers l’Europe de l’Ouest.
      L’instant de vérité

      Chacune des deux parties se verrait alors contrainte de remplir un puits sans fond dans la zone d’influence de l’autre (les Grecs auraient ici motif de s’étonner que Bruxelles, Berlin et compagnie aient encore de l’argent pour une Ukraine largement oligarchique, mais pas pour une Grèce dirigée par un gouvernement de gauche). De la même manière que l’Ouest a voulu étendre son emprise en direction de Sébastopol, avec son port militaire russe vers les mers chaudes, la Russie pourrait vouloir pousser la sienne vers l’Egée, espace de manœuvre de la 6e Flotte des Etats-Unis. Ce serait un retour aux conflits géostratégiques de l’après-guerre, qui virent, en 1946, l’intervention des troupes britanniques dans la guerre civile grecque.

      L’instant de vérité est arrivé pour une politique d’intégration européenne qui a échappé à tout contrôle, dont le moteur est le capital financier. Pour que l’Europe ne se transforme pas en un marécage d’incriminations réciproques entre nations, avec des frontières ouvertes et en courant à tout moment le risque d’être submergée de l’extérieur, il faut démanteler ce monstre qu’est l’union monétaire.

      Le démantèlement doit se dérouler sur la base du contrat social, avant que l’atmosphère ne soit trop empoisonnée pour cela. Comment s’y prendre : voilà ce dont on doit débattre. Il faut permettre aux pays du Sud une sortie en douceur, peut-être au sein d’un euro du Sud qui n’exigera pas de leur part des « réformes » détruisant leurs sociétés.

      Quant à ceux qui, au début de l’union monétaire, leur ont fait l’article en leur promettant qu’ils pourraient jouir sans fin des crédits issus des subprimes, ils doivent le payer, tout comme ceux qui savaient de quoi il retournait et n’ont rien dit. Au lieu de l’étalon-or de fait que l’on utilise dans le rapport avec l’Europe du Nord, il faut mettre en place un régime monétaire qui permette la flexibilité tout en excluant l’arbitraire. Les économistes sont de plus en plus nombreux à le réclamer, et l’on compte parmi eux des poids lourds comme l’Américain Alan Meltzer. Nous devons faire ce qui est nécessaire – non pas pour sauver l’euro, mais pour sauver l’Europe (Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni).

      Wolfgang Streeck (Sociologue de l’économie et professeur à l’université de Cologne

    • Merci !
      Suis en train de lire son Du temps acheté, la crise sans cesse ajournée du #capitalisme démocratique sur le passage de l’état- fiscal à l’#état_débiteur, qui comporte pas mal de notations intéressantes (malgré le démocratisme un peu creux de l’auteur : "opinion publique, « citoyen », et toute la camelote associée). Amusé de voir les gvts de « #grande_coalition » décrits comme les plus fonctionnels pour obvier à l’illégitimité de la représentation politique et assurer la confiance_des_marchés (l’état débiteur est tributaire du citoyen -isolé et conduit à l’#abstention faute de pouvoir peser par le vote - et l’émergence d’un « peuple des gens du marché », comme le définit l’auteur). L’union européenne fait directement penser à cela, comme le cas allemand, et demain le Grec (?) où déjà pas mal de Pasok a intégré Syriza avant des alliances post électorales à venir. La crise radicale du PS français a des chances de se régler de la même façon. Malgré le bipartisme imposé par une constitution présidentialiste.
      #aide-en-tant-que-punition dit #Wolfgang_Streeck, une punition administré par une politique de la #dette qui est #interétatique. Le constat ressassé de l’"impuissance de l’état" est mis en en cause par l’existence de ce nouveau pouvoir des états.

      Ai bien aimé les passages où il renvoie dos à dos les caricatures nationalistes (Grecs et métèques sont des feignants à rédimer, Merkel et Allemagne, les nouveaux « nazis » de l’Europe), un type de vision destinées ( de Sapir à Mélenchon) à louper le pouvoir interétatique

      A-t-on accordé assez d’attention aux propos de Varoufakis indiquant que la « crise grecque » prélude à une (contre) réforme de l’#état-providence français ? A une homogénéisation de fait de la « politique sociale » européenne qui réinitie l’axe franco-allemand ?

  • Les Grecs hébétés
    Arnaud Leparmentier défend, dans le quotidien « de référence » Le Monde, l’idée d’un coup d’Etat de velours en Grèce (17 juin)

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/06/17/les-grecs-hebetes_4655631_3232.html?xtmc=les_grecs_hebetes&xtcr=1

    Dans ce contexte, la Grèce doit trouver un accord avec les Européens. Signé par Alexis Tsipras ou un autre, peu importe. Il existe des précédents peu reluisants. C’était en novembre 2011, au G20 de Cannes, au plus fort de la crise de l’euro : le premier ministre grec Georges Papandréou et l’Italien Silvio Berlusconi avaient comparu au tribunal de l’euro devant Sarkozy, Merkel et Obama. Bien sûr, ils ne furent pas putschés comme de malheureux démocrates sud-américains victimes de la CIA. Mais, de retour dans leur pays, ils ont comme par miracle perdu leur majorité. Papandréou fut remplacé par le banquier central Loukas Papademos et Berlusconi par l’ex-commissaire européen Mario Monti.

    Imaginons donc un scénario de crise : 30 juin, constat de défaut de la Grèce ; 1er juillet, panique bancaire et instauration d’un contrôle des changes par Tsipras, contraint et forcé ; 2 juillet, mise en minorité du gouvernement Tsipras par les irréductibles de Syriza ; 3 juillet, constitution d’un gouvernement d’union nationale, avec ou sans Tsipras ; 4 juillet : retour des négociateurs à Bruxelles-Canossa. Odieusement antidémocratique ? Les Grecs jouent au poker. Pourquoi pas nous ?

  • Sous couvert d"Idées" le #GrèceBashing du Monde en continu.

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/06/17/les-grecs-hebetes_4655631_3232.html #Intégral #FuckThePaywall

    Hébétés, nous marchons droit vers le désastre. C’est l’Europe qui est cette fois menacée, car le blocage des négociations entre le premier ministre grec, Alexis Tsipras, et ses créanciers est aussi grave que spectaculaire. Une faillite d’Athènes, destructrice pour les Grecs mais aussi pour l’Europe, est désormais dans toutes les têtes. Prenant la mesure de la gravité de la situation, peut-être serait-il nécessaire que les dirigeants grecs cessent leur jeu de poker perdant pour sortir de l’impasse dans laquelle ils se sont fourvoyés. Avant qu’il ne soit trop tard.

    Après ce plagiat taquin d’une récente tribune enflammée publiée par Le Journal du dimanche, interrogeons-nous : comment en est-on arrivé là ? On se rappelle le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, décelant fin janvier dans la victoire de Syriza « un raz de marée contre l’austérité », qui allait renforcer le camp de ceux qui voulaient « réorienter la politique européenne ». En réalité, l’impasse actuelle n’est guère une grande surprise pour qui savait ouvrir les yeux sur le premier ministre grec et son parti Syriza.

    Il y eut maldonne sur tout, ou presque.

    Premièrement, un mélenchoniste radical ne devient pas en quelques mois un social-démocrate réformateur digne de confiance. Le mandat que lui ont confié les électeurs abusés par des promesses intenables est depuis le début incompatible avec les exigences des Européens et du Fonds monétaire international (FMI).

    Deuxièmement, Alexis Tsipras a voulu jouer au plus fin, promettant un soir une réforme à Bruxelles pour mieux se dédire le lendemain à Athènes. Curieusement inspiré, il a exhumé début juin à la surprise générale une vieille clause invoquée dans les années 1980 par la Zambie pour reporter un remboursement au FMI. Il a surtout cassé le ténu lien de confiance avec ses partenaires.
    Complainte contre-productive

    Troisièmement, il a cru qu’il négociait avec des créanciers, rebaptisés avec mépris « les institutions ». En réalité, les Grecs se confrontent politiquement avec les autres peuples européens, qui n’ont pas de leçon de démocratie à recevoir. Et, pour l’instant, c’est dix-huit contre un. « A travers toute l’Europe, il y a un sentiment croissant : ça suffit », résume le vice-chancelier allemand, le social-démocrate Sigmar Gabriel.

    Quatrièmement, la complainte du Grec souffrant finit par être contre-productive. Auprès des pays qui ont accompli en silence de douloureux efforts – l’Irlande, l’Espagne, le Portugal ; auprès des Etats les plus pauvres, tels que la Slovaquie et les pays baltes, contraints de verser leur obole à plus prospères qu’eux ; auprès des plus riches aussi comme la Finlande : la crise à Athènes n’est pas pour rien dans l’échec du très modéré Alexander Stubb, qui a perdu les élections et laissé place à une coalition très eurosceptique. Sans cesse, Tsipras entonne ce refrain : « Nous portons sur nos épaules la dignité d’un peuple et l’espoir des peuples européens. » Il se crée chaque jour plus de détracteurs.

    Cinquièmement, le gouvernement grec a tenté de faire croire que la solidarité européenne avait été détournée par les banques. Les Européens ont en effet dédommagé les banques en reprenant les dettes accumulées par les Grecs. Mais c’est logique : les Européens aident à solder le passé, mais il n’a jamais été question de financer à fonds perdu un train de vie grec sans commune mesure avec sa capacité économique. Rien ne sera possible si les Grecs n’ajustent pas leurs dépenses à leurs revenus.
    Risque géopolitique

    Le blocage est total. Et, si aucune solution n’est trouvée, l’enchaînement risque d’être fatal, de faillite en panique des épargnants jusqu’au « Grexit ». Une catastrophe.

    Pour la Grèce, d’abord. Le pays verrait sa devise dévaluée de plus de moitié et le coût de ses importations s’envoler. Le résultat est connu : pénurie de médicaments, d’énergie, de produits high-tech, et une terrible récession comparable à celle de l’Argentine.

    Pour les Européens ensuite. Les responsables politiques assurent que la crise serait contenue à la Grèce. En réalité, ils n’en savent rien. Nul ne peut jurer qu’un « Grexit » n’entraînera pas une attaque sur l’Italie, l’Espagne, et de fil en aiguille un démantèlement de la zone euro.

    Enfin, le risque géopolitique est majeur. Au cours des années 1990, la Grèce a normalisé ses relations avec la Turquie et ne s’est pas laissé emporter dans la guerre des Balkans. Fraternité orthodoxe oblige, elle est aujourd’hui instrumentalisée par Poutine, submergée par les réfugiés venus du monde arabo-musulman et se frotte à une Turquie peu stable depuis l’échec d’Erdogan aux élections législatives. L’Europe ne peut pas se permettre d’avoir une Grèce soumise aux troubles, voire à des tentatives autoritaires.

    Dans ce contexte, la Grèce doit trouver un accord avec les Européens. Signé par Alexis Tsipras ou un autre, peu importe. Il existe des précédents peu reluisants. C’était en novembre 2011, au G20 de Cannes, au plus fort de la crise de l’euro : le premier ministre grec Georges Papandréou et l’Italien Silvio Berlusconi avaient comparu au tribunal de l’euro devant Sarkozy, Merkel et Obama. Bien sûr, ils ne furent pas putschés comme de malheureux démocrates sud-américains victimes de la CIA. Mais, de retour dans leur pays, ils ont comme par miracle perdu leur majorité. Papandréou fut remplacé par le banquier central Loukas Papademos et Berlusconi par l’ex-commissaire européen Mario Monti.

    Imaginons donc un scénario de crise : 30 juin, constat de défaut de la Grèce ; 1er juillet, panique bancaire et instauration d’un contrôle des changes par Tsipras, contraint et forcé ; 2 juillet, mise en minorité du gouvernement Tsipras par les irréductibles de Syriza ; 3 juillet, constitution d’un gouvernement d’union nationale, avec ou sans Tsipras ; 4 juillet : retour des négociateurs à Bruxelles-Canossa. Odieusement antidémocratique ? Les Grecs jouent au poker. Pourquoi pas nous ?

  • Les réfugiés de La Chapelle victimes d’une répression disproportionnée

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/06/12/les-refugies-de-la-chapelle-victimes-d-une-repression-disproportionn

    Si nous nous étions habitués à croiser des réfugiés dormant sur les trottoirs, aujourd’hui, nous n’arrivons plus à tolérer cette situation. Qu’est-ce qui a changé ?

    Les réfugiés expulsés de la Chapelle, évacués de Saint-Bernard, qui dormaient devant la Halle Pajol depuis le 5 juin, ont été massivement arrêtés trois jours plus tard : plus de 40 d’entre eux ont été transférés en centre de rétention administrative. La rafle de la rue Pajol fut d’une violence inouïe, mais le plus choquant reste qu’on ait envoyé les CRS contre une centaine de réfugiés à la rue, qui sont dans une économie de survie totale et qui doivent comprendre où ils sont, quels sont leurs droits et comment fonctionne la demande d’asile.

    Un asile insaisissable

    Le lundi 8 juin, vers minuit, le jardin associatif du Bois Dormoy a ouvert ses portes pour deux nuits aux réfugiés ayant échappé aux arrestations. Ce bois minuscule ressemble à une petite jungle de Calais ou de Ceuta. Comme si les images associées désormais à ceux qui franchissent la mer étaient tellement puissantes qu’elles forcent la réalité à les reproduire inlassablement, même au cœur de Paris.

    #migrations #asile #Paris

    • Les deux tiers des réfugiés dans le monde sont accueillis dans des pays du Sud, et pendant ce temps, un gouvernement socialiste s’acharne par électoralisme sur une centaine d’entre eux pour « ne pas faire appel d’air ». Et l’on secoue gravement la tête en murmurant qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde. On veut nous faire croire que ces mensonges, cette obscénité, sont la réalité dans laquelle on vit : c’est le monde, ce sont les règles du jeu.
      Et pourtant, nous qui restons en lutte aux côtés des migrants, sommes déterminés à ne pas laisser ces logiques nous abîmer.

      #tribune

  • Une pique de Christophe Ayad contre « François d’Arabie »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/04/30/francois-d-arabie_4625576_3232.html

    il y a quelque ironie à faire du royaume saoudien, qui interdit l’existence de partis politiques et refuse aux femmes le droit de conduire, son partenaire privilégié dans le monde arabe. L’Arabie saoudite est un pays, certes, en lutte contre Al-Qaida et l’Etat islamique, mais son idéologie officielle reste le wahhabisme, la version la plus rigoriste de l’islam sunnite. La peine de mort, au sabre et sur la place publique, y reste pratiquée à haute dose et le blasphème y est passible de 1 000 coups de fouet, comme ce fut le cas du jeune blogueur libéral Raef Badawi. Tout cela n’est « pas très Charlie »…

    #Arabie_saoudite

  • « Prendre les navires des passeurs pour cible n’arrêtera pas les migrants »
    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/04/29/prendre-les-navires-des-passeurs-pour-cible-n-arretera-pas-les-migra

    Les Européens qui vivent par-delà les Alpes se préoccupent-ils vraiment de ce qui se passe en Méditerranée ? Ou l’indignation de ces derniers jours n’est-elle que le fruit du dédain inspiré par la vue de centaines de cadavres à la dérive ? Ces deux questions sont pertinentes, puisque la démocratie repose aussi sur l’attention informée et constante de ses citoyens. Et si les citoyens sont distraits, les gouvernements en profitent pour poser un cautère sur une jambe de bois, qui satisfait tout le monde mais ne résout rien. Le dernier cautère en date contre les tragédies en mer est celui proposé par l’Union européenne avec le soutien de l’Italie : mitrailler et couler les barques dans les ports libyens afin que les passeurs ne puissent pas les remplir de migrants.

    #migrants #Italie #europe #méditerranée

    • Selon cette logique il faudrait mitrailler toutes les multinationales européennes implantées en Afrique qui ont détruit les structures communautaires et les cultures locales laissant les autochtones dans le plus grand dénuement... Colonisations, sources des migrations !

    • Asian Dub Foundation - Fortress Europe

      https://www.youtube.com/watch?v=eMXKt99W61A

      2022, ça semble optimiste maintenant...

      Keep bangin’ on the wall
      Keep bangin’ on the wall
      OF FORTRESS EUROPE!
      2022 -A new European order
      Robot guards patrolling the border
      Cybernetic dogs are getting closer and closer
      Armoured cars and immigration officers
      A burning village in Kosovo
      You bombed it out now you’re telling us go home
      Machine guns strut on the cliffs of Dover
      Heads down people look out! we’re going over
      Burnin up! can we survive re-entry
      Past the mines and the cybernetic sentries
      Safe european homes built on wars
      You don’t like the effect don’t produce the cause
      The chip is in your head not on my shoulder
      Total control just around the corner
      Open up the floodgates Time’s nearly up
      Keep banging on the wall of Fortress Europe
      Keep banging
      Keep banging on the wall of Fortress Europe
      We got a right , know the situation
      We’re the children of globalisation
      No borders only true connection
      Light the fuse of the insurrection
      This generation has no nation
      Grass roots pressure the only solution
      We’re sitting tight
      Cos assylum is a right
      Put an end to this confusion
      Dis is a 21st century Exodus
      Dis is a 21st century Exodus
      Burnin’ up can we survive re-entry
      Past the landmines and cybernetic sentries
      Plane, train, car , ferry boat or bus
      The future is bleeding coming back at us
      The chip is in your head not on my shoulder
      Total control around the corner
      Open up the floodgates Time’s nearly up
      Keep banging on the wall of Fortress Europe
      Keep banging
      Keep banging on the wall of Fortress Europe
      Dis is a 21st century Exodus
      Dis is a 21st century Exodus
      They got a right - listen not to de scaremonger
      Who doesn’t run when they’re feel the hunger
      From where to what to when to here to there
      People caught up in red tape nightmare
      Break out of the detention centres
      Cut the wires and tear up the vouchers
      People get ready it’s time to wake up
      Tear down the walls of Fortress Europe

  • « Oui, “Charlie Hebdo” est obsédé par l’islam »

    http://abonnes.lemonde.fr/idees/article/2015/03/05/oui-charlie-hebdo-est-obsede-par-l-islam_4588297_3232.html

    par Damien Boone, docteurs en sociologie politique et Lucile Ruault, doctorante en sociologie politique

    À propos de l’interprétation des Unes de Charlie-Hebdo « De qui se moque-t-on ? » interrogent Jean-François Mignot et Céline Goffette dans un article recensant les thèmes des Unes de Charlie Hebdo entre 2005 et 2015. Excellente question, qu’on peut autant poser aux membres de la rédaction de l’hebdomadaire qu’aux auteur·es de la tribune, affirmant que « Charlie Hebdo n’est pas obsédé par l’islam ». À l’appui de cette assertion, le constat, sur la période étudiée, de 38 Unes consacrées à la religion, dont 20 % « se moquent principalement de l’islam » (soit 7). « Au total, concluent les sociologues, seulement 1,3 % des “unesˮ se sont moquées principalement des musulmans. De fait, Charlie Hebdo n’était pas “obsédéˮ par l’islam ». L’utilisation de données quantitatives a toutes les apparences de la scientificité et fonctionne comme un argument d’autorité quasi imparable.

    Pourtant, cette démonstration masque davantage d’éléments qu’elle n’en dévoile, en mettant en avant un simple chiffre. Ce chiffre évacue un ensemble d’hypothèses et de postulats qui, s’ils ne sont pas sérieusement interrogés et étudiés, ne lui confèrent qu’une faible valeur interprétative. Autrement dit, affirmer qu’à partir de cette étude, Charlie Hebdo « conformément à sa réputation, est un journal irrévérencieux de gauche, indéniablement antiraciste, mais intransigeant face à tous les obscurantismes religieux », laisser ainsi entendre que rien, dans le contenu du journal, ne pose problème (sur les musulmans ou sur d’autres sujets comme le sexisme), et que les personnes qui s’en indignent ou le questionnent ont tort, est un glissement qui ne peut résulter du raisonnement proposé.

    Les « obsessions » d’un journal

    Étudier les Unes, ce n’est pas étudier le journal : les deux universitaires le précisent bien. Mais alors le titre de l’article qui, en recourant à la métonymie, assimile tout le journal à sa Une, est abusif. Présupposer que les Unes sont à l’origine des accusations d’islamophobie relève davantage d’une intuition au doigt mouillé que d’une réflexion sérieuse : elles ont reposé sur des articles, éditoriaux et prises de position des membres de la rédaction, au cœur du journal et en dehors. En outre, étudier les Unes seulement en tant que produit fini, comme si elles arrivaient ex nihilo, sans s’interroger sur la manière dont elles sont élaborées, est problématique.

    Gaël Villeneuve, sociologue des médias, souligne sur son blog que la sociologie du journalisme a depuis longtemps montré que le choix d’une Une relève davantage d’une logique commerciale que des « obsessions » des membres d’un journal. Même chez Charlie, la Une est souvent un dessin lié à l’actualité immédiate, un positionnement décalé sur ce qui fait parler dans le temps médiatique. Et, quand bien même on considérerait que les Unes reflètent les seules préoccupations des journalistes, on ne sait ici rien des manières dont elles sont collectivement discutées et débattues au sein de la rédaction. La seule étude des couvertures tend à homogénéiser la rédaction, alors que s’y expriment des opinions plurielles.

    En fait, bien trop d’éléments entrent en ligne de compte dans la production d’une Une pour qu’on se contente d’en tirer des conclusions à partir de ce qui est immédiatement visible. Surtout, le fait d’exposer le débat en laissant entendre que les reproches faits à Charlie Hebdo se posaient quantitativement relève d’un procédé intellectuel douteux consistant à réfuter une proposition qui n’a pas été tenue en ces termes. Les polémiques suscitées par Charlie- Hebdo ne portent pas sur le nombre de références à l’islam, mais sur les manières dont cette religion est représentée.
    Il est bien sûr autorisé de choisir un point de vue inédit, mais alors il conviendrait d’en préciser les limites. Imaginons le parallèle suivant : 1,3 % des discours d’un vieux leader d’extrême droite évoquent la Shoah. Doit-on en conclure qu’il n’a pas d’« obsession » antisémite ou négationniste ? Imaginons ensuite qu’une minorité des Unes du journal fasse figurer des femmes, ou plutôt une paire de seins, de fesses et un vagin. Leur faible représentation protégerait-elle la rédaction de Charlie de tout soupçon de phallocratie ? La question n’est pas « l’obsession » quantitative, mais les modalités, logiques et registres d’expression.
    Par ailleurs, on ne peut traiter ce sujet sans s’interroger en amont sur les rapports de domination au sein de la société, sur la stigmatisation de l’islam, et donc sur les interprétations racistes qu’on peut faire de ces dessins. Songeons par exemple aux manières distinctes dont Charlie Hebdo s’en prend aux religions : à propos du catholicisme, ses dessins représentent majoritairement la hiérarchie ecclésiastique, quand l’islam est avant tout abordé par le biais des femmes voilées, ou de pratiquants « ordinaires ».

    Chiffres

    En nous attelant à notre tour à une première analyse statistique sommaire des Unes de Charlie Hebdo, il s’avère que nous n’aboutissons pas aux mêmes résultats : sur une période moindre (2009-2014), nous trouvons 3,5 fois plus de références à l’islam en Une que nos collègues (24 Unes). Il ne s’agit pas de trancher sur la vérité d’un chiffre, mais plutôt de souligner que toute étude statistique se construit en fonction de critères choisis par l’analyste ; il lui revient de les expliciter, sans quoi son approche n’est pas rigoureuse. Quelle définition de la catégorie « islam » adoptent donc les sociologues en amont de leurs calculs ? Enfin, si c’est « l’obsession » qu’on veut réfuter, alors on se doit de contextualiser les données, c’est-à-dire de les mesurer par rapport au traitement médiatique général de l’actualité, en l’occurrence Charlie Hebdo, obsédé par l’islam ?
    Ce n’est pas en posant la question en ces termes que l’on pourra comprendre pourquoi des personnes se sentent offensées par ce qu’elles y trouvent. Si nous avons la faiblesse de ne pas savoir si Charlie Hebdo est islamophobe ou islamophile, nous savons avec force que l’étude des Unes ne permettra de conclure ni à l’une ni à l’autre de ces options, tout en suggérant toutefois une interprétation préférentielle. Dès lors, les sociologues qui font appel aux chiffres se doivent de garder prudence et humilité sur leurs résultats, en en signalant au moins les angles morts. Car, en effet, citant le sociologue Olivier Galland, nous rejoignons nos collègues sur leur conclusion : le manque de connaissances sérieuses « laisse le champ libre aux interprétations et aux solutions simplistes ».

  • Non, « Charlie Hebdo » n’est pas obsédé par l’islam, par Jean-François Mignot et Céline Goffette (sociologues)
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/02/24/non-charlie-hebdo-n-est-pas-obsede-par-l-islam_4582419_3232.html

    Est-il vrai que ce journal faisait preuve d’une « obsession » à l’encontre des musulmans, comme cela a pu être dit à la suite des attentats, notamment dans une tribune du Monde du 15 janvier 2015, à laquelle ont contribué plusieurs chercheurs ?

    Pour apporter une réponse raisonnée à cette question, nous analysons les 523 « unes » du journal de janvier 2005 (n°655) au 7 janvier 2015 (n°1177). Si les « unes » de Charlie Hebdo ne résument pas à elles seules le journal, elles en sont toutefois la vitrine

    (...)

    A la lecture, il apparaît que Charlie Hebdo, conformément à sa réputation, est un journal irrévérencieux de gauche, indéniablement antiraciste, mais intransigeant face à tous les obscurantismes religieux, musulman inclus. Ce qu’il faut expliquer, donc, ce n’est pas pourquoi #Charlie_Hebdo était islamophobe, mais pourquoi, de nos jours, seuls des extrémistes se revendiquant de l’islam cherchent à museler un journal qui se moque – entre beaucoup d’autres choses – de leur religion.

    #religion #islamophobie

    • Etrange méthode de ne prendre en compte que les couvertures... Par ailleurs, la question n’est pas tellement la quantité que la qualité du traitement de l’islam ! Je ne voulais pas et je ne veux toujours pas qu’on leur fasse du mal, mais on ne s’en sortira pas en réécrivant l’histoire.

    • Le problème n’était pas que Charlie hebdo « soit » islamophobe. Le fait est que, contrairement à ce qu’ils pensaient, l’engagement sincèrement antiraciste et anticolonial du Charlie hebdo « historique » n’a jamais mis ses auteurs à l’abri de commettre des propos et des dessins racistes. Comme on l’a vu il y a peu avec une exposition « antiraciste » du point de vue de son auteur blanc, mais ressentie comme violemment raciste, par les personnes racisées, comme participant de l’histoire coloniale que son auteur s’imaginait, depuis son point de vue de blanc, ainsi « critiquer ».
      (de même, mon propre engagement antiraciste ne me met pas à l’abri de commettre un propos ou un acte, un geste, racistes : je suis blanc et j’ai été élevé, éduqué, j’ai grandi, je me suis constitué dans une société structurellement raciste. Le savoir ne suffit pas à en identifier toutes les manifestations. Par contre, les connaître suppose de s’en remettre à celleux qui en sont l’objet : de les écouter lorsqu’ellils disent le racisme, y compris à gauche, y compris chez les progressistes, chez les libertaires et autres émancipés.
      Mais il est toujours plus confortable de se conforter dans sa haute opinion de soi-même et de sa culture universaliste et éclairée en se contentant de traquer le racisme sous sa forme la plus spectaculaire et socialement admise comme condamnable : le skin, le facho, le frontiste - tandis que l’on continue d’ignorer ses formes les plus omniprésentes, républicaines, démocratiques, quotidiennes et insidieuses, et que l’on peut soi-même continuer d’y contribuer en toute bonne conscience)
      Charlie a commis des unes (et des suivantes) Islamophobes sans avoir pour cela besoin d’afficher une « obsession » pour les musulmans. En fait, à y réfléchir un tout petit peu, on peut très bien contribuer à faire des musulmans un « problème » sans pour autant prêter le flanc à l’accusation d’obsession, ou en s’en défendant.
      Là n’est tout simplement pas la question.

      Par contre, l’attitude qui consiste à dire « on dessine juste ce qui nous fait marrer » n’est pas en soi un argument politique libertaire ou émancipateur. (à n’en pas douter, Konk et les dessinateurs publiés dans Minute et dans tant de publications très peu intéressées par l’émancipation de qui que ce soit dessinent aussi « ce qui les font marrer »).
      Enfin, croire qu’il suffirait de publier des caricatures des religieux, des croyants, des symboles et de tout ce qui est à leurs yeux sacré pour « lutter contre l’obscurantisme » relève de l’idéalisme bourgeoisement rationnaliste le plus étroit, d’une forme de foi .
      Comme l’écrivait il y a près de quarante ans une féministe matérialiste qui figure depuis des années parmi les critiques les plus conséquentes de la stigmatisation actuelle des musulmans :

      « [...] il y a une grande différence entre se divertir et croire posséder l’arme absolue, et il est dangereux de confondre les deux [...] »
      (C. Delphy, « protoféminisme et antiféminisme », Les temps modernes, 1976)

      Les dessinateurs et rédacteurs de Charlie Hebdo ont payé tragiquement cher un idéalisme qui ne pouvait que nourrir et venir renforcer, par ses tapageuses contributions à la stigmatisation actuelle ciblant les musulmans (contrairement à ce qu’ils prétendent, des caricatures, même talentueuses et sans tabou, n’ont jamais eu le pouvoir d’émanciper personne - plus sûrement, celui de conforter leurs auteurs dans leurs rigolardes certitudes) , l’égarement meurtrier de quelques uns de ceux qu’il était supposé combattre.

      Il ne s’agit pas de ménager qui que ce soit, de devenir « pro-islam » ou exceptionnellement tolérant vis à vis d’une religion plutôt que d’autres.
      Il s’agit bien plus de connaître le temps où l’on se trouve, et d’accepter d’assumer ce que l’on y fait, d’en entendre la critique. Moi qui ne suis pas racisé, qui suis blanc, si je veux agir en antiraciste, si je veux agir contre le racisme, alors c’est la parole des personnes racisées qui doit m’importer plus que tout, et surtout plus que ma simple définition de privilégié de ce que je m’imagine être le racisme. Et si les racisé-e-s sont croyant-e-s, je ne peux certainement pas me permettre de venir à l’unisson de l’Etat Français leur tenir paternellement un discours anticlérical, encore moins venir les sommer de renoncer à leur foi, les sommer de donner des gages de laïcité. Quoi que je puisse penser des religions, je ne peux espérer contribuer à en en combattre aucune aux côtés de l’Etat, aux côtés d’un Pouvoir. Pour paraphraser un fameux barbu, et aussi frustrant cela puisse-t-il être pour mon anticléricalisme jubilatoire et mon irréligiosité primesauitière réunies, je tiens que la religion des racisés sera combattue par les racisé-e-s eux-mêmes, et qu’ellils le feront très vraisembablement en leurs termes, le jour où la première question à laquelle ellils sont confronté-e-s ne sera plus celle de l’infériorité qui leur est très laïquement faite dans une société raciste.

    • @martin5 Amen to that, de la première à la dernière ligne.

      Sauf que, dans le cas de Charlie, en se concentrant sur les dessins, on oublie que le journal était dirigé par un type qui professe une vision du monde néoconservatrice, et que c’est ce type-là qui a orchestré le « coup » des caricatures de Mahomet, ce qui donne à l’entreprise une signification clairement islamophobe. Un « détail » que beaucoup refusent de voir, à la fois dans l’équipe de Charlie (Luz dans son interview à « Vice » : « Charlie est un journal anarchiste ») et au dehors. Si le reste de l’équipe avait vraiment voulu se montrer à la hauteur de ses convictions antiracistes affichées, elle aurait dû refuser de se laisser entraîner dans cet engrenage pour ne pas cautionner les visées de son taulier, dont elle ne pouvait pas ignorer la nature (sans parler de ses ambitions personnelles, sa nomination à la tête de France Inter ayant découlé directement de la notoriété et de l’"union sacrée" permises par les caricatures, avec le soutien apporté par Sarkozy à ce moment-là, et sans parler non plus de ce que l’affaire lui a rapporté financièrement : http://bfmbusiness.bfmtv.com/entreprise/que-va-faire-icharlie-hebdoi-de-tout-son-argent-865615.html).

    • Pas compris grand chose non plus…

      Les associations sont très générales (Religion, c’est pas très spécifique). Néanmoins, la persistance de l’association (très générale) Religion / Violence est certainement significative. Comme indiqué en conclusion, le découpage en périodes de trois mois produit des échantillons de petite taille et donc une faible puissance statistique (id, il faut que l’effet soit très important pour pouvoir être considéré comme significatif).

      Et il faudrait aller regarder quelle est (sont) la (les) religion(s) impliquée(s) dans cette association.

      Par ailleurs, l’approche statistique n’a pas grand sens pour interpréter la une (et l’ensemble du numéro) du 8 février 2006…