Geoffrey, 20 ans, « gueule cassée » du flash-ball

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  • Geoffrey, 20 ans, « gueule cassée » du flash-ball
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    Propos recueillis par Gwenael Bourdon | 05 Mars 2015, 07h08 |

    Une silhouette d’ado chancelant sous le choc du tir. Ainsi apparaissait Geoffrey, alors âgé de 16 ans, sur la vidéo amateur diffusée sur le site Internet Rue89 à l’automne 2010. Le 14 octobre, le jeune garçon était atteint au visage par un tir de flash-ball, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), en pleine mobilisation lycéenne contre la réforme des retraites.

    Cinq ans plus tard, Geoffrey peine encore à se remettre des multiples fractures subies au visage, au nez, et des lésions de l’oeil gauche...

    Le policier auteur du tir doit comparaître aujourd’hui devant le tribunal correctionnel de Bobigny pour violences volontaires, mais aussi pour faux et usage de faux. Dans un procès-verbal dressé immédiatement après les faits, il avait affirmé avoir visé un individu ayant lancé plusieurs projectiles en direction des renforts policiers, appelés alors que des élèves tentaient de bloquer l’entrée du lycée Jean-Jaurès, à Montreuil. « Au tout début, Geoffrey passait pour un caillasseur », souligne l’avocat du jeune homme, M e Pierre-Emmanuel Blard. Cette version, que le policier a maintenue durant plusieurs mois, a ensuite été contredite par la quasi-totalité des témoins, ainsi que par la vidéo. L’avocat du policier n’a pas souhaité s’exprimer avant l’audience. Geoffrey, aujourd’hui âgé de 20 ans, nous raconte les dégâts physiques et psychologiques causés par ce qu’il considère « presque comme une arme de guerre ».

    Comment vous sentez-vous à l’approche de ce procès ?
    GEOFFREY. J’ai essayé d’y penser aussi peu que possible. J’ai traversé une grosse dépression et je sais que ça va être une épreuve. Mais il faut en passer par là.

    Pourquoi tant d’appréhension ?
    J’ai dit tout ce que j’avais à dire au cours de l’enquête. J’ai toujours été honnête. Les preuves sont là. Mais je sais qu’on va me questionner et essayer de me prendre en défaut sur la parole qui a été la mienne il y a quatre ans.

    Vous étiez lycéen à l’époque des faits. Qu’êtes-vous devenu ?
    Mes études se sont écroulées. J’ai tenté de continuer mon cursus en informatique et de passer mon bac. Mais j’ai eu l’impression que tout le monde me laissait tomber. J’ai eu beaucoup de mal à remonter la pente. Finalement, cet été, on m’a offert l’occasion de travailler dans l’événementiel. Mes horaires sont irréguliers, le week-end, parfois le soir. Ça me convient : j’essaie de me noyer dans le travail pour ne plus penser au reste.

    Quelles séquelles physiques avez-vous conservées ?
    J’ai eu plus de chance que d’autres victimes, qui ont parfois perdu la vue ou d’autres facultés. Je n’ai pas bénéficié d’une reconstruction parfaite du visage. Mais ce que les médecins ont réalisé relevait de l’impossible ! On m’a opéré six fois, pour me poser des plaques en titane au visage. Mon oeil a été bien retouché. Ma vue était tombée à 1/10 après la blessure. Aujourd’hui, j’ai récupéré, à 7/10 environ. C’est un grand soulagement. J’ai toujours la gueule cassée, même si ce n’est pas flagrant. Ma paupière ne se referme pas totalement, une partie de mon visage reste un peu paralysée. Les nerfs ne se sont pas reconstruits, et je ne sais pas s’ils le seront un jour...

    Et sur le plan psychologique ?
    Je me sens une autre personne. A l’époque, j’avais 16 ans, et j’étais dans une certaine innocence. J’avoue que j’ai failli mal tourner après cette affaire, je voyais rouge. Heureusement qu’on m’a soutenu ! Mais la colère est toujours là, je réagis à toutes les injustices, qu’elles soient policières ou non.

    Qu’attendez-vous de ce procès ?
    Qu’on reconnaisse qu’un policier a tort, et qu’un jeune, qu’on a tenté de faire passer pour un délinquant, a raison. Une parole assermentée, on a du mal à la contredire. C’est grâce à la vidéo que la vérité a pu éclater.

    Faut-il, selon vous, remettre en cause l’usage du flash-ball ?
    Ça fait longtemps qu’on sait que c’est une arme qui casse, presque une arme de guerre. Quand j’ai vu mon scanner et les dégâts que la balle avait causés sur mon visage... C’est vraiment triste de penser qu’on peut l’utiliser contre des gens qui manifestent, qui expriment leurs idées, et ne sont pas armés.❞

    • http://www.liberation.fr/societe/2015/03/05/flashball-un-an-de-prison-avec-sursis-requis-contre-un-policier-qui-a-ble

      dépêche AFP

      Une audience sur le flashball tourne au procès de la police et de ses armes

      Procédures piétinées, visée approximative, inconscience du danger d’une arme qui peut tuer, et même mensonges : le procès d’un policier à Bobigny a jeté une lumière peu glorieuse sur l’usage du flashball par la police.
      Geoffrey, 16 ans, avait été gravement blessé au visage le 14 octobre 2010, en pleine mobilisation des lycéens contre la réforme des retraites, alors qu’il déplaçait une poubelle devant un lycée de Montreuil, pour tenter, avec d’autres élèves, de bloquer l’établissement.

      « Il n’y a pas l’ombre d’une situation de légitime défense dans ce dossier », a souligné le procureur adjoint Loïc Pageot, requérant un an de prison avec sursis pour violences volontaires et faux et usage de faux, contre Jean-Yves Césaire, le policier de 42 ans auteur du tir.

      Il s’agirait de l’une des toutes premières condamnations en France pour des faits de ce type.

      Il a également demandé une interdiction professionnelle de deux ans et l’interdiction de porter « toute arme » pendant cinq ans.

      La balle en plastique de 4 cm de diamètre avait atteint Geoffrey en plein visage, lui infligeant notamment des fractures multiples de la face, une hémorragie dans l’œil et des fractures du nez.

      Il a fallu six interventions chirurgicales pour sauver son oeil. Son état de santé n’est toujours pas stabilisé quatre ans après les faits, même si les cicatrices, très impressionnantes après les faits, sont désormais discrètes.

      Outre le tir, alors qu’il n’était pas menacé et n’avait pas reçu d’ordre formel, la justice reproche au policier d’avoir dressé un faux procès-verbal, qui aurait pu conduire à des poursuites et une condamnation de sa victime pour violences contre les policiers.

      – « Tout est faux » -

      Plusieurs témoignages et surtout deux vidéos anonymes publiées sur Rue89 et Dailymotion ont réduit en poussière la version de M. Césaire et d’autres policiers, selon laquelle Geoffrey avait eu « une attitude menaçante et dangereuse » et « jeté des projectiles ».

      Le policier avait été jusqu’à évoquer une « pluie de projectiles » - aucun ne sera retrouvé sur la chaussée - voire une « lapidation » des forces de l’ordre.

      « Dans ce PV, tout est faux, tout est contraire à la vérité », a tonné le procureur, soulignant que le policier avait même prétendu faussement avoir porté secours à sa victime. A l’audience, le policier a dû convenir ne pas savoir combien de projectiles avaient été tirés, ni par qui.

      « Nous étions au bord d’une erreur judiciaire (...) Je m’inquiète de la façon dont certains policiers (...) se servent de procès verbaux d’interpellation pour travestir la vérité », a déclaré le procureur.

      Le gardien de la paix, un homme à la carrure massive qui avait troqué devant le tribunal l’uniforme pour un costume gris, se justifiant maladroitement, a multiplié les déclarations accablantes.

      Dans ce procès-verbal, « j’ai pas réussi à expliquer ce qu’il s’était passé », a-t-il avancé, mais « il n’y avait pas de volonté de tricher ». « Pour tricher, il y a d’autres façons de faire », a-t-il lâché.

      Pourquoi n’y a-t-il pas eu de sommation avant le tir d’une arme dont l’usage est supposé rester exceptionnel ? Inutile car « le flashball, c’est pas quelque chose d’inconnu en Seine-Saint-Denis », dit-il candidement. Et puis, « je n’avais que ça sous la main... »

      Mais le prévenu et l’accusation ont également souligné les carences de la hiérarchie.

      Jean-Yves Césaire dit avoir tiré car ses formateurs lui « avaient expliqué (qu’un tir de flashball), c’est un gros coup de poing d’un boxeur moyen » alors que cette arme peut tuer.

      En cause aussi, les trois tirs d’entraînement annuels prévus pour chaque policier. « Pas assez », témoigne M. Césaire, d’autant que pour lui, la séance a été repoussée de plusieurs mois, son commissariat étant en panne de munitions.

      L’enquête montrera aussi que le dispositif de visée du flashball était défectueux, l’arme tirant 12 cm trop haut.

      Plusieurs affaires de blessures graves liées à des tirs au flashball, ou « lanceur de balles de défense », qui tire des balles en caoutchouc non perforantes, grosses comme celles d’un jokari, font l’objet de procédures judiciaires.

      A Bobigny, le jugement a été mis en délibéré au 2 avril.