• Pour une critique matérialiste de la "mythologie de gauche" française

    "L’hégémonie culturelle est un concept proposé par Antonio Gramsci pour décrire la domination culturelle des classes dominantes. Le concept s’inscrit dans l’analyse des causes du non développement des révolutions annoncées par Marx pour les pays industrialisés d’Europe en dépit de la vérification des conclusions économiques de Marx (crise cycliques, paupérisation de la classe ouvrière, etc.). L’hypothèse de Gramsci est que cet « échec » des révolutions ouvrières est explicable par l’emprise de la culture de la classe dominante sur la classe ouvrière et ses organisations. La classe dominante domine certes par la force mais aussi par un consentement des dominés culturellement produit. L’hégémonie culturelle de la classe dominante agit par le biais de l’État et de ses outils culturels hégémoniques (écoles, médias, etc.) pour produire une adoption par la classe dominée des intérêts de la classe dominante. L’hégémonie culturelle décrit donc l’ensemble des processus de production du consensus en faveur des classes dominantes.

    La radicalité des luttes de classes dans l’histoire française (Révolution antiféodale radicale en 1789-1793, Insurrection de juillet 1830, Révolution de février 1848, et enfin et surtout la Commune de Paris) a amené la classe dominante à comprendre très tôt que son pouvoir ne pouvait pas être assuré uniquement par la force des armes et de la répression (ce que Gramsci appelle la domination directe). Le processus de construction d’un « roman national » fut mis en œuvre afin d’assurer l’hégémonie culturelle de la classe dominante (domination indirecte). Les ingrédients de ce roman national sont essentiellement la diffusion de « légendes nationales » : pensée des Lumières, Révolution française et Déclaration des droits de l’homme, école républicaine et laïcité, etc. À la différence du mythe, la légende s’appuie sur quelques faits historiques identifiables qui sont absolutisés. La mise en légende se réalise par occultation des contradictions et enjeux sociaux, négation de l’histoire et transformation de résultats historiques (avec leurs contradictions, leurs limites, etc.) en caractéristiques permanentes et spécifiques de la « francité », du « génie français », de la « spécificité française », du « modèle français », etc.

    L’objectif de l’hégémonie culturelle étant de produire du consensus en faveur des classes dominantes, c’est bien entendu à l’intention des classes dominées et de leurs organisations que sont produites et diffusées les légendes nationales (modèle français de laïcité, modèle français d’intégration, pensée des Lumières comme caractéristique typiquement « française », abrogation de l’esclavage comme volonté de l’état français et non comme résultat de la lutte des esclaves, colonisation française posée comme différente des autres dans ses aspects « humanitaires » et « civilisateurs », etc.). La question n’est donc pas celle du jugement des faits, des hommes et des opinions de la pensée des lumières ou de la Révolution française par exemple. Ces événements et ses pensées sont inscrits dans l’histoire et les hommes de ces périodes ne pouvaient penser le monde qu’avec les données de leurs époques. En revanche le maintien d’une approche non critique, non historicisée, essentialisée, etc. de ces processus historiques est à interroger dans ses causes et dans ses effets désastreux contemporains. Sans cette approche critique, les légendes de la classe dominante s’inscrivent comme données d’évidence dans les lectures de la réalité contemporaine, deviennent des représentations sociales qui déforment la réalité, produisent des logiques de pensées qui empêchent de saisir les enjeux sociaux et les contradictions sociales. Sans être exhaustif abordons deux des légendes de l’hégémonie culturelle construite au 19ème siècle et qui ont fortement imprégnées les organisations de « gauche »."

    Said Bouamama

    http://blogs.mediapart.fr/blog/brigitte-pascall/050315/les-fondements-ideologiques-du-racisme-respectable-de-la-gauche