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  • Une Affaire De Décor, Rémi Gendarme, 2012
    http://www.lafamilledigitale.org/fr/dvd/une-affaire-de-decor.html

    Prix Corsica.doc / Viastella du festival Corsica.doc d’Ajaccio 2012
    Prix du film de formation universitaire du festival Traces de Vies de Clermont Ferrand 2013

    Synopsis
    Je vis chez moi. Un peu comme n’importe qui. J’ai besoin de manger, j’ai de l’humour, j’aime le cinéma, j’ai besoin d’aller aux toilettes, j’aime tomber amoureux... Un peu comme n’importe qui.
    Par ailleurs, j’ai un handicap. Alors, j’ai des auxiliaires de vie pour m’aider à vivre, m’aider à faire. Ce dont j’ai besoin, et ce dont j’ai envie... Et depuis que j’habite en Charente, ceux d’en face, ceux qui s’occupent de handicap, veulent m’imposer le “quoi” et le “où” : Pour quelles raisons mes auxiliaires de vie interviennent ? Pour quels gestes ? Et à quels moments ? Qu’est-ce qui est légitime, qu’est-ce qui ne l’est pas ? Qu’est-ce qui est essentiel et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Selon eux. Alors, ils veulent restreindre mes heures.
    Je prends une caméra pour dire, pour voir, pour faire. Faire ce qu’il n’est pas prévu que je fasse...

    Contexte de production
    Une Affaire de Décor est un film documentaire que j’ai réalisé à l’issue du Master 2 « Créadoc », documentaire de création de l’université de Poitiers.
    J’ai décidé de faire ce Master au terme de trois années d’études universitaires en licence Arts du Spectacle. Ce désir de me spécialiser dans la réalisation documentaire en faisant ce Master pro a posé plusieurs difficultés.
    En raison d’un handicap moteur qui me rend largement dépendant d’une tierce personne, il a d’abord fallu envisager de déménager en Charente. Une fois l’examen d’entrée au Créadoc obtenu, le responsable de la structure, Denis Bourgeois, a accepté de décaler d’un an mon entrée dans cette formation afin que je prenne le temps de mon aménagement et pour régler mon organisation.
    Il a fallu ensuite se poser la question des outils de compensation de mon handicap. Je me déplace en fauteuil roulant électrique et ne peux absolument pas tenir une caméra moi-même, ni faire la plupart des gestes d’un étudiant (manipulation d’un ordinateur, prise de notes, …). Après plusieurs discussions avec le personnel de l’université et Mariana Otero, réalisatrice et responsable du M2, il fut convenu que je serai accompagné toute l’année par un assistant, Quentin Mesnard, ancien étudiant du Créadoc.
    Je dois donc avoir à mes cotés un assistant technique, une sorte de complice professionnel chargé de remplacer mes bras et mes jambes sans usurper ma position d’étudiant. Quentin Mesnard est capable de manipuler une caméra et un logiciel de montage. Ainsi mon handicap n’est plus un handicap pour accéder à cette formation, et je peux être pleinement responsable de mes choix cinématographiques.
    Après plusieurs exercices de réalisation, la formation prévoit que les étudiants consacrent toute la deuxième moitié de l’année à la réalisation de leur film de fin d’études. C’est aussi le moment qu’à choisi la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) pour diminuer le nombre d’heures d’accompagnement auxquelles j’ai droit pour vivre mon quotidien. Etant donné la situation déjà fragile dans laquelle mon déménagement m’avais mis, ces menaces de diminution me mettaient clairement en danger et compromettaient sérieusement mes chances de réussite universitaire.
    Après une longue hésitation entre l’arrêt brutal de ma formation et l’indifférence à ces bouleversements (ce qui m’aurait conduit à faire un film pour me changer les idées), je choisis de prendre le problème à bras le corps en filmant ma vie et mon appartement. Quitte à être englué dans des problèmes administratifs inhumains, je préfère les faire fleurir en me réappropriant un regard, une parole grâce au cinéma. Je prends ainsi le pari risqué, d’être à la fois réalisateur et personnage, d’expérimenter des méthodes pour tenir une caméra moi-même et de dépeindre une situation kafkaïenne, en faisant un film drôle et personnel, sensible et politique. Un film qui part de l’individuel pour atteindre l’universel.

    Quelques questions de cinéma...
    Les premiers enjeux
    Au début du tournage, j’ai comme première intention de faire comprendre une situation injuste. J’ai toujours beaucoup de mal à expliquer cette manière de vivre que j’ai choisie depuis 2004. A expliquer, surtout, pourquoi je panique à réception de chacun des courriers de la MDPH. Les questions à résoudre en premier sont donc, pour moi, des questions didactiques. Comment faire comprendre ? Comment expliquer la complexité de la vie que je mène et les contraintes du statut de particulier employeur. Quelle place laissée, dans le film, à l’administratif pur, et comment faire en sorte que les scènes du quotidien apportent ce contre-champs salvateur qui humanise ma vie ? Très vite ces questions deviennent : comment passer d’une explication, la moins ennuyeuse possible, mise en image, à un vrai film de cinéma ? C’est à dire en fait comment me filmer ? Comment faire un film intime sans faire un film individuel ? Comment satisfaire ce premier besoin de dénonciation en évitant les écueils du film de propagande.
    J’ai découvert le cinéma documentaire il y a une dizaine d’années avec le cinéma de Pierre Carles. C’est alors la jubilation communicative d’un cinéma à faire soi-même, avec les moyens du bord pour dénoncer frontalement le pouvoir, qui me séduit . Même si je n’ai aucune illusion sur l’aspect vain et presque grossier de ce désir de dénoncer, c’est ce premier élan que je retrouve au moment de choisir de filmer ma situation. C’est bien le contact avec une situation d’oppression, avec des administrations qui exercent un réel pouvoir sur nos vies, qui me donne l’étincelle du désir de filmer.
    Mais depuis ces premières découvertes, mon plaisir du cinéma s’est largement diversifié. L’idée devient rapidement de faire un film qui ne se contente pas de décrire ma toute petite situation, mais d’aller plus loin, de faire un vrai film.
    De la même manière beaucoup de choses me retiennent de faire un film sur moi, en premier lieu, la suspicion de la volonté narcissique de vouloir faire un film individuel, en profitant d’une supposée bienveillance du spectateur.
    Ce sont donc toutes ces questions que je m’applique à régler avant de commencer le film. En mettant de coté tous ces démons, qui viennent de représentations du handicap odieuses et dégradantes, je constate que c’est bien la justesse de ce que j’ai à dire qui me permettra de faire le film que je veux. Idem, une fois clarifiée ma volonté de faire un film avec ce que je suis, la plupart de ces questionnements se trouvent réglés. Je ne ferai donc pas un film sur le handicap, je ferai un film avec mon handicap.

    Faire un film chez moi
    Au début de cette année universitaire je ne voyais aucune évidence à faire un film dans mon appartement. Bien au contraire, même en tant que personne handicapée, je ne vois aucune raison qui légitime le choix de réduire un travail universitaire au strict territoire de mon logement.
    Mais lorsque ces événements de la fin de l’année 2011 sont survenus, en faire le sujet de mon film était plus qu’une opportunité : j’en avais besoin.
    Il n’empêche que, une fois le besoin constaté de travailler sur mes galères administratives pour, disais-je, les faire “fleurir”, j’avais de vraies réticences à contenir mon film entre les murs de mon appartement. D’abord, à l’exception de certains films de fiction très grand public, les mauvais reportages télévisuels au sujet de personnes handicapées, étaient les seuls exemples d’images que je connaissais où était représentée la vie de personnes handicapée. J’avais d’abord peur de reproduire une forme et des idées que j’ai toujours détestées.
    D’autre part, en tant qu’auteur, faire un film dans mon appartement signifiait faire le deuil de toutes les nouvelles rencontres et de tous les nouveaux territoires sur lesquels j’aurais pu poser mon regard. Je craignais alors de n’avoir tout simplement rien à filmer qu’une monotonie individuelle.
    Il y a d’abord eu plusieurs films qui m’ont touché en me proposant quelques voies d’un cinéma du tout petit, du micro-récit qui raconte énormément pour toucher à l’universel. Les portraits d’Alain Cavalier, Ceci n’est pas un Film de Jafar Panhai, m’ont montré que tout ce dont j’avais peur, tout ce qui, dans le quotidien ne me rappelle que l’ennui et la morosité pouvait devenir représentation d’un combat, signifiant d’une réalité qui serait humaine avant tout, en fin de compte, poésie.
    Ainsi, mon appartement ne serait plus cette surface de 70 m2, il serait un univers où chaque pièce représente un monde différent, où les échelles de plans permettent de faire vivre une photo de mes grands-parents autant que des amis filmés en vidéo-conférence sur mon ordinateur. Des légumes acquièrent alors autant de puissance évocatrice qu’un tableau rempli de chiffres ou une comparaison que je trouve terrible « tu préfères t’occuper des vieux ou des handicapés ? ».
    En fait, une fois que j’ai décidé que le cinéma serait mon moyen d’expression, mon appartement, comme monde à peu près accessible à ma dépendance, est devenu un décor comme un autre.
    Au début du tournage, je ne vois pas encore ce que sera le film. Je vois surtout tous les écueils dans lesquelles je ne veux pas tomber.

    Les deux caméras : apprendre à se filmer soi-même.
    Avant Une Affaire de Décor, j’avais déjà réalisé quelques essais cinématographiques. Au cours de ces expériences, je n’ai jamais tenu la caméra. J’avais, jusque là, plutôt l’habitude de dire que je n’avais jamais filmé moi-même. Comme si porter la caméra et la diriger était la seule manière de dire « je filme ».
    Nous prévoyons alors que j’aie deux caméras. L’une est tenue par Quentin, mon assistant universitaire, l’autre, plus rudimentaire, est fixée à un bras métallique et accompagne les mouvements de mon fauteuil.
    Au début du tournage, Quentin devait être le caméraman principal, mes bras et mon œil, parfois tourné sur moi, pour saisir ma vie et ses absurdités. Ainsi je lui ai demandé de me filmer de près, filmer mon corps, me filmer regardant, me filmer me défendant.
    J’ai très vite eu l’idée du tableau noir fixé au mur. Mais les premières images de moi-même dans mon salon me renvoyaient à un corps mi-humain, mi-machine, dont on ne distinguerait rien d’autre que cette masse monolithique. Une sorte de tout en un : fauteuil, corps, tête, qui pourrait expliquer beaucoup mais qui reste impersonnel et froid.
    J’ai donc décidé de revenir à l’essentiel du problème : mon corps. Tout ça est une histoire de corps, sans ce corps là, pas d’histoire et pas ce film. Il a donc filmé une séance de kiné, mon réveil, mes croutes aux yeux, mon installation dans le fauteuil.
    Ces séquences sont vites devenues essentielles à une bonne compréhension de mes péripéties. En premier lieu, il y a une situation compliquée dont j’ai du mal à expliquer tous les détails. Il ne s’agit pas de faire un manuel ou un dossier d’aide sociale, mais tous les éléments doivent être donnés, méticuleusement pour expliquer ma situation. Comment je vis. Comment mes auxiliaires de vie travaillent. Ce que c’est que la vie, pour moi, au quotidien. Sans ce terreau qui explique ce que j’ai envie de dire de moi, le reste du film ne pouvait pas naître.
    Il a donc fallu jouer le jeu du regard extérieur, et celui-ci, même si je le maîtrisais, me faisait peur. J’ai donc abandonné toute velléité de filmer une quelconque vérité des gestes qui occupent ma vie. Mon lever, mon installation dans le fauteuil, toutes les scènes au cours desquelles j’ai demandé à Quentin de me filmer sont mises en scène pour respecter les impératifs didactiques (c’est quoi ces fameux gestes essentiels de la vie quotidienne ?) et surtout me permettre de prendre progressivement en charge le regard du film.
    Mais rapidement plusieurs problèmes ont surgi. Des problèmes que je ressentais, moi, personnellement et intimement. D’abord, des questions de hauteur de cadre, de regards extérieurs à moi. C’était plus fort que moi, je voyais dans les images filmées par Quentin, ce regard médiatique qui dit « allons voir chez un handicapé comment c’est ». Quelques regards-caméra accompagnés d’un « salut » et quelques très gros plans sur mon torse n’ont pas suffi à exorciser définitivement cette crainte de voir un reporter distancié et objectif me filmer. Après les premiers essais concluant d’une petite caméra fixée sur mon fauteuil, j’ai définitivement choisi de terminer le film avec tous les moyens que m’offrait le cinéma. C’est à dire en filmant moi-même.
    J’avais, pour la première fois de ma vie, une image filmée qui correspondait parfaitement à mon regard. La hauteur, les mouvements, la stabilité, tout m’a provoqué une jubilation que j’essaye de communiquer dans le film. Ainsi, j’ai eu l’impression nouvelle de « faire moi-même » plutôt qu’un autre qui fait pour moi.
    Cette caméra déporte et amplifie complètement mes possibilités d’actions et, pour une part, de puissance. Plutôt qu’un geste à faire faire, encore une fois, à ma place, j’ai constaté que filmer ainsi était un nouveau geste que je faisais. Ce geste était d’abord personnel : personne ne pouvait le faire à ma place puisque ce regard vient de ma place.
    Dès lors, si l’on ne me voit pas, on me sent, tout le temps. Le moindre mouvement est indicatif de ce que je suis, position physique et position sociale. Ce que je souhaite c’est prendre le spectateur et, plutôt que de lui demander de me regarder, le faire regarder dans la même direction que moi. Avec ce dispositif, on ne s’attendrirait pas d’une situation injuste, on regarderait le monde comme je le regarde, tout en conservant une situation de spectateur libre.
    Ainsi, il y a cette petite caméra qui fait peu de choses, mais que je maîtrise entièrement. Il y a aussi ma voix, qui est toujours présente et qui guide une réalité que je décide. Je choisis alors de dire pour faire exister. Le film est alors performatif, un terrain se construit à mesure que ma voix le dicte. Je ne fais pas que me ré-approprier une réalité qui m’échappe et qui vient de l’extérieur, je reconstruis littéralement mon appartement, mes rencontres, mes fantasmes avec ma voix et mon regard.

    Etre seul
    Enfin, cette possibilité de filmer moi-même ce n’est pas seulement filmer seul, c’est être seul et filmer. Ma dépendance m’a poussé à faire le choix de n’être jamais seul. Je suis très souvent en interaction avec une auxiliaire de vie. J’ai choisi, pour quelques scènes, de rester seul avec la caméra. A ces occasions, et encore plus que lorsque je me tourne vers les autres, ma présence remplit tout le cadre pour aller voir ailleurs. J’ai alors voulu être pleinement réalisateur de cinéma en mélangeant des images et des textes. J’ai voulu le personnage handicapé bien loin de ce que je pouvais faire sentir pendant le reste du film. Ces contre-champs pour raconter autre chose de ce que j’ai à dire sur la situation de dépendance. Je voulais avoir une mise en image poétique de l’idée que je me fais de l’essentiel.
    Je base le film sur un amalgame administratif. La MDPH utilise le terme gestes essentiels de la vie quotidienne pour désigner les stricts gestes de nursing. J’affirme que l’essentiel c’est autre chose, beaucoup plus impalpable. J’ai donc choisi de chercher en moi quelques images, plus ou moins lointaines, plus ou moins indicibles, qui pouvaient représenter ce que j’imagine être l’essentiel. Une baignade impromptue à Camaret, un appartement idéal au troisième étage pour une vie sans anticipation et sans certitudes (une vie bien loin de la mienne), le corps fantasmé d’une égérie lointaine... A toutes ces divagations, je choisis de joindre les images d’une réalité froide, brute, administrative. Je souhaite que cet essentiel imaginé contamine littéralement les images du handicap.

    https://www.youtube.com/watch?v=g2827dd6fNw

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