Une difficulté, à mon avis (ou à mon goût, c’est une de mes lubies), c’est qu’on a toujours tendance à mélanger plusieurs aspects. Et en matière de « réseaux sociaux libres », je reviens toujours à l’idée qu’on se focalise uniquement sur la technique au détriment du reste (rappel : quand j’ai ouvert Seenthis aux inscriptions publiques après des années à le faire tourner en petit comité, Cédric a trouvé malin de publier un article disant que c’était pas comme ça qu’il fallait faire ; quand on a libéré le code, alors que le réseau tournait depuis des années en produisant un contenu passionnant, sur Linuxfr les commentaires se sont focalisés sur le fait que « techniquement » ça ne pouvait pas fonctionner… et là on a un clone de Twitter, dans une logique éditoriale radicalement différente de Seenthis et on est déjà à se demander si Seenthis va mourrir faute de développements).
Pour avancer, il faudrait (mais on le fait à chaque fois je crois) délimiter les questions :
(1) il y a la question de la gestion, de l’économie du truc, de la responsabilité juridique/morale… dont on a parlé l’année dernière, l’idée d’une association, mais ça n’avance pas. Peut-être parce que ça retombe toujours dans la question « technique » de l’hébergement, alors qu’il faudrait insister sur la responsabilité éditoriale de la gestion d’un tel réseau social. (Pas inintéressant d’ailleurs que @biggrizzly évoque cette question en parlant des instances de Mastodon.)
(2) il y a les aspects techniques, qu’on a plus ou moins relégués à des signalements sur Github. Perso, n’étant plus à confronté aux problèmes (notamment de charge) du serveur comme je l’ai été pendant des années, et je suppose comme beaucoup d’autres, je ne suis plus tellement au courant (ni motivé) sur les problèmes de tenue en charge, d’efficacité, etc. C’est certes fondamental, mais quand on n’a plus les mains dans le moteur, c’est difficile de savoir quoi faire ou même de se passionner pour des choses qui deviennent assez distantes. Le fait de n’avoir que deux instances en production, ça ne multiplie d’ailleurs pas les retours d’expérience de ce côté et l’investissement de développeurs.
Après, ne pas perdre de vue que la communauté de Seenthis n’est très largement pas du tout technicienne. Ça m’avait marqué lors de la fête aux Grottes, et je trouve ça très réjouissant. Ça m’a surpris, puisque j’ai un passif dans les milieux à la fois militants et très techniques. Mais vraiment : c’est génial. (Mais ça fait aussi qu’on ramène peu de gens qui vont mettre les mains dans le cambouis pour répondre à leurs propres besoins, puisque c’est bien comme ça qu’on avait fait d’autres projets libres.)
(3) il y a les questions des fonctionnalités, qui sont pour moi centrales. Mais : (a) quand ça commence c’est généralement ramené à des questions techniques, ce qui a tendance à faire taire les premier usagers (b) il n’y a à ma connaissance rigoureusement aucun autre réseau qui propose les fonctionnalités éditoriales qui caractérisent Seenthis ; et beaucoup d’usagers ne se rendent pas forcément compte de ces caractéristiques ; alors de là à réclamer de nouvelles fonctionnalités éditoriales, ça ne me semble pas évident de trouver des idées originales en plus (rappel : on a cette conversation, comme à chaque fois, parce qu’un nouveau clone de Twitter, très pauvre d’un point de vue éditorial, fait la Une).
(4) ça serait bien de ramener du monde, c’est vrai et c’est encore un autre aspect ; mais je pense qu’il y a, de manière extrêmement pesante, le paradigme mortifère des « réseaux sociaux », qui fait que même avec la meilleure volonté possible, il est difficile de ne pas croire qu’on aura un impact sur le monde bien plus important et direct sur des réseaux où l’on nous promet des centaines de « likes », de « friends » et de « retweets » parce qu’il y a des millions d’abonnés. Ce n’est pas que Seenthis, c’est constaté régulièrement sur les plateformes militantes, avec les gens qui croient qu’il vaut mieux aller causer sur Facebook ; c’est sans doute aussi dans la perception de Rezo.net, dont on pourrait croire que l’impact serait extrêmement faible par rapport aux milliards de connexions de Twitter…
Il faudrait sérieusement interroger ce paradigme. À ma petite échelle (mais je n’ai plus de « blog » avec des billets indépendants pour valider précisément cela, vu que je suis sur Seenthis :-)), mais à chaque fois que constate qu’il y a un impact extrêmement extrêmement extrêmement faible quand on est « retweeté » par une célébrité sur Facebook ou Twitter : ces réseaux sont faits pour qu’on ne les quitte pas, et les gens cliquent « like » juste pour marquer leur satisfaction et montrer socialement qui ils sont, mais en pratique ça ramène très très très peu de gens sur un article ou sur un site. Sur beaucoup de sites, il y a beaucoup plus d’intérêt à être référencé sur Rezo.net et/ou discuté sur Seenthis, même, que d’être « liké » par une célébrité sur Facebook. Je suis aussi sur Twitter, dont j’ai un usage « sérieux », mais je trouve rigoureusement impossible d’y tenir un discours constructif ou de faire reconnaître mon boulot. Sur Seenthis (sous un autre pseudo), c’est exactement le contraire : visites, référencements, citations, reprises… sur Twitter je ne suis qu’un des nombreux cons qui mettent de temps en temps un commentaire sous un message de Glenn Greenwald.
(Sinon, autre aspect, que j’ai évoqué dans un message précédent ci-dessus : on paie à mon avis le fait que le format et le réseau humain imposent de venir avec pas mal de travail personnel, et que c’est pas évident de débarquer ici.)