• Moi qui passais mon temps à brailler contre les biais dans les études et les stats à la con qui font dire aux journalistes que le chocolat ça rend heureux et que éjaculer une fois par semaine ça fait vivre plus longtemps, j’ai réalisé des années après que c’est sans doute pas PARCE QUE les garçons aiment le foot qu’on parle de foot aux garçons, mais peut-être bien l’inverse.
      J’ai touché du doigt à quel point ce sont les putains de petits cailloux qui font les putains de grandes rivières.

      J’ai avalé la pilule rouge, sans préavis.
      J’ai revu les livres pour enfants, les cartables roses, les stylos pour filles, les déguisements d’infirmières et les déguisements de médecins, les espionnes en talons aiguilles de mes séries, les profs qui demandent aux mecs ce qu’ils ont pensé du match, les cases mademoiselle et madame, et je les ai lues autrement.

      Citation mais non, c’est un texte à lire de a à z.

      #texte_d_utilité_publique

  • Injonctions paradoxales. Mes fesses. | Juste après dresseuse d’ours
    http://www.jaddo.fr/2015/10/02/injonctions-paradoxales-mes-fesses

    Il y a 5 ans, je voyais des menteurs partout, je me méfiais, je redoutais qu’on me prenne pour une poire.
    Et puis j’ai réalisé que de toute façon, j’avais aucun scanner magique pour vérifier.
    Depuis, j’ai pris un parti pris qui à la fois me simplifie la vie et à la fois est inévitable : je crois mes patients.
    C’est MON PUTAIN DE JOB, de croire mes patients.
    Des fois, souvent, je suis la seule personne sur terre pour les croire, pour être à côté d’eux et pas contre eux, pour les regarder avec bienveillance et pas avec méfiance, pour les prendre pour des adultes et pas pour des gamins qui cherchent à sécher l’école. La seule personne sur terre.
    Dans un monde de plus en plus policier, où des mecs avec un bandeau « Contrôle Qualité Travail » sur le bras accompagnent certaines de mes patientes aux chiottes, pour vérifier qu’elles n’y passent pas plus de temps que le temps nécessaire à un pipi réglementaire. Je vous jure, hein, j’invente pas. J’ai eu deux patientes de deux entreprises différentes accompagnées aux chiottes à chaque fois, et surveillées par un mec qui pointait leur temps de miction.
    Hey bin dans ce tsunami-là, des fois, je suis la seule personne sur terre à croire en leur bonne volonté.
    Alors oui, je m’en cogne. Si deux ou trois fois sur cinquante on me mène en bateau, on me raconte des salades et des souffrances qui n’en sont pas, on essaie de me gratter un arrêt pas justifié, tant pis.
    Il y a sept ans, j’étais terrifiée à l’idée de donner un arrêt injustifié à un mec pas vraiment malade.
    Aujourd’hui, je suis terrifiée à l’idée d’en refuser un à quelqu’un qui souffre.

    • Que je vous raconte un peu comment ça marche, les #contrôles de la #sécu.
      Ils prennent une moyenne (genre combien de jours d’arrêt pour X patients par médecin), et ils prennent les 10% du dessus, et ils leur tombent dessus. « Vous faites plus d’arrêts que la moyenne de vos collègues » .
      Si t’essaies d’expliquer que tu vis dans une zone défavorisée, pleine d’ouvriers qui se pètent le dos dans des usines malveillantes qui te surveillent quand tu vas pisser, ils te répondent : « Oui mais vous faites plus d’arrêts que la moyenne de vos collègues » .
      Si t’essaies d’expliquer que tu vois 70% de gens de plus de 68 ans, contrairement à tes collègues, ils te répondent : « Oui mais vous faites plus d’arrêts que la moyenne de vos collègues » .

      via @rezo
      #arrêts_maladie #médecine #droits_des_travailleurs

    • Oui, j’ai pris un autre extrait pour rezo, mais c’est vraiment un très bon coup de gueule.
      J’ai une amie toubib, elle aussi écœurée par ce qu’elle appelle les « pratiques d’abattage » de certains collègues, qui tiennent en fait des usines à ordonnances, qui se font un max de blé, sont encouragés par la Sécu parce que font bien dans les stats et surtout, n’en ont rien à branler des gens qui défilent dans leur cabinet.

      Bref, y a rien à jeter.

  • Demandez-vous. | Juste après dresseuse d’ours
    http://www.jaddo.fr/2015/09/21/demandez-vous

    Et puis, quatre ans après, en les revoyant, j’ai vu des notes.
    Pas de moi, des notes de l’autre médecin que je remplace, ou de celui qui remplace le même médecin que moi.

    Mme B. était cognée par son mari. Tous les jours. Fort.
    Quand elle arrivait en retard, elle disait « On devait habiller la Barbie » , parce que si elle partait avec la Barbie à moitié nue, elle s’en prenait une, ou deux. Ou trois, sans raison. Parce que la Barbie était nue. Et que ça elle pouvait pas le dire.
    Mme G. a été violée par son beau-père, de ses 6 à 16 ans, dans le silence assourdissant de sa famille.

    Moi, Mme B. je lui ai fait payer 40€ ses violences, parce que ça se faisait pas.
    Mme G. , je l’ai pourrie, parce qu’elle était incorrecte.
    Et toutes les deux, j’avais un truc au fond du ventre qui me faisait les haïr, alors que j’aimais d’amour vrai des gens bien pires sur le papier qu’elles.

    Fascinante explication de la réaction en « effet-miroir » qu’on peut avoir quand on est mis mal à l’aise par quelque chose qu’on ne peut pas formuler.

    Et émouvant (et sincère) témoignage.
    #viol #violence #consultation

  • Demandez-vous. | Juste après dresseuse d’ours
    http://www.jaddo.fr/2015/09/21/demandez-vous

    Tout ça pour dire : posez la question. Demandez-vous.
    On m’a dit un jour dans une formation « Un gamin que tu as envie de taper, c’est peut-être qu’il est tapé. »
    Bin une patiente que vous détestez, c’est peut-être qu’elle est détestée.

    Arrêtez-vous.
    Demandez-vous pourquoi vous avez envie de la taper.
    Demandez-lui si elle est tapée.

    Ce sera oui. Souvent.
    Préparez-vous.

    #violence #médecine

  • Le fait qu’il y ait effectivement des mentalités à faire changer ne doit pas nous amener à changer…
    http://seenthis.net/messages/169582

    Le fait qu’il y ait effectivement des mentalités à faire changer ne doit pas nous amener à changer tout.
    Si l’inégalité homme-femme n’existait pas, l’utilisation du genre masculin par défaut dans la grammaire ne nous poserait pas de problème (quand bien fut-il le résultat d’une inégalité ancrée par le passé).

    Je fais un #seen_sur_un_seen mais j’avais raté cette très intéressante remarque de @delphine tiens.

  • Pour pédaler, tapez 1. | Juste après dresseuse d’ours
    http://www.jaddo.fr/2015/09/04/pour-pedaler-tapez-1
    Une belle histoire de #médecine et surtout d’#humanité

    Bref, elle me raconte ces 7 mois loin de moi. L’opération, l’hôpital, la chimio, la radio. En quelques phrases.
    Puis arrive très vite le vrai problème : c’est Noël dans quelques jours. Elle va le fêter avec ses proches, avec ses filles et ses amis. Et elle n’arrive plus à boire aucun alcool. Le vin qu’elle aimait tant lui arrache la bouche. Le champagne la pique, et de toute façon elle en a perdu le goût.
    Nous passons sérieusement 12 minutes à essayer de trouver une solution. Je suis (sans doute un peu trop personnellement) excessivement sensible au problème. Fêter Noël avec ses proches sans trinquer, ce n’est pas envisageable.
    Et du martini ? C’est acide, ça pique un peu trop.
    Du crémant ? Les bulles sont douloureuses.
    On finit par trouver un accord sur du muscat. C’est doux, avec beaucoup de glaçons ce n’est pas un crime, ça passera sans doute.

    J’ai absolument senti que c’était ces 12 minutes-là qui m’avaient fait devenir son médecin.
    Que ce soit moi qui lui aie trouvé son #cancer, rien à foutre. Je suis devenue son médecin du jour où j’ai passé 12 minutes à chercher avec elle avec quoi elle pourrait picoler à Noël.

  • La faute à Ève | Juste après dresseuse d’ours
    http://www.jaddo.fr/2015/03/28/la-faute-a-eve

    J’ai revu les livres pour enfants, les cartables roses, les stylos pour filles, les déguisements d’infirmières et les déguisements de médecins, les espionnes en talons aiguilles de mes séries, les profs qui demandent aux mecs ce qu’ils ont pensé du match, les cases mademoiselle et madame, et je les ai lus autrement.

    J’ai compris, enfin, l’histoire de ma mère qui, quand je lui avais raconté mon exaspération du débat du mademoiselle, m’avait raconté sa concierge qui s’était mise à la regarder dans les yeux et à lui sourire quand ma mère avait enfin pu troquer son mademoiselle en madame, quand elle avait enfin cessé de vivre dans le péché.

    À force de baigner dans les préjugés implicites, on s’imprègne qu’on le veuille ou non.

    Via @edas https://n.survol.fr/n/la-faute-a-eve

    #sexisme #préjugés #langage

  • Très bon texte sur le pouvoir insidieux des mots.

    BLOG Juste après dresseuse d’ours (28 03 2015) :

    http://www.jaddo.fr/2015/03/28/la-faute-a-eve

    "(...) Et puis un soir, il m’est arrivé un truc moche. Vraiment moche.
    Que j’hésite presque à vous dire, mais qu’il va bien falloir que je raconte pour continuer à dire ce que je vais essayer de dire.

    Je me lance… :
    Un dimanche soir, à 21h52, j’ai découvert que j’étais raciste.
    Moi.
    MOI, BORDEL.
    Moi qui ai été élevée par deux parents aimants et tendres et très ouverts et très de gauche, moi qui ai appris à 7 ans qu’on avait « jamais le droit d’être intolérant, sauf peut-être avec l’intolérance ».
    Moi qui ai manifesté une seule fois dans ma vie, par honte, par désespoir, en avril 2002, alors que jamais aucun autre combat n’avait réussi à me faire lever mes fesses de mon canapé un dimanche de grasse mat.

    J’étais sur Twitter, et j’ai cliqué sur une vidéo. Ambiance « Caméra cachée dans la rue aux États-Unis, pour dénoncer les préjugés ambiants ».
    Le truc, c’était de montrer un môme de 19 ans qui découpe à la pince l’antivol d’un vélo, en pleine rue et en plein jour. L’idée c’était de montrer un gamin blanc, et puis un gamin noir, dans la même mise en scène, et de comparer la réaction des gens. (...)"
    #sexisme #racisme #féminisme

  • La faute à Ève | Juste après dresseuse d’ours
    http://www.jaddo.fr/2015/03/28/la-faute-a-eve
    #féminisme #sexisme #illumination

    C’était forcément secondaire, et c’était forcément insidieux. Un truc rentré en moi, et, puisque je n’avais jamais laissé les mots entrer, forcément rentré en moi par syllabes, par lettres, par atomes. Un truc glissé en intraveineuse au goutte-à-goutte.
    C’était la télé, c’était les films, les #clichés un peu trop vus mais tellement faciles et presque rassurants, c’était le #discours ambiant, c’était les #préjugés idiots qu’on entend en n’étant pas d’accord au fond en théorie mais qu’on entend quand même huit fois, dix fois, quatre-vingt-seize fois par jour et qui filtrent, petit à petit, et qui laissent une humidité à peine visible mais qui se transforme quand même en moisissure.
    J’avais écrit la même chose sans le savoir, pourtant, des années avant, en parlant d’autre chose, en parlant de perversion. J’avais écrit que c’était plus facile de lutter contre un mec qui hurle « Je vais te tuer salope » que contre un mec qui fait de tout petits pas insidieux. Et bin c’est vachement facile d’être pas d’accord avec un mec qui dit « Les Arabes c’est rien que tous des voleurs », et vachement plus dur de se révolter contre des images subliminales dans un film ou des habitudes innocentes de langage.

    Et j’ai réalisé d’un coup.
    Moi qui passais mon temps à me face-palmer des médecins qui reçoivent les visiteurs médicaux en jurant que ça ne les influence pas, j’avais eu exactement le même aveuglement.
    « Non mais j’entends mais j’écoute pas. »
    Dans tes rêves.
    Moi qui passais mon temps à brailler contre les biais dans les études et les stats à la con qui font dire aux journalistes que le chocolat ça rend heureux et que éjaculer une fois par semaine ça fait vivre plus longtemps, j’ai réalisé des années après que c’est pas PARCE QUE les garçons aiment le foot qu’on parle de foot aux garçons, mais peut-être bien l’inverse.
    J’ai touché du doigt à quel point ce sont les putains de petits cailloux qui font les putains de grandes rivières.

    J’ai avalé la pilule rouge, sans préavis.
    J’ai revu les livres pour enfants, les cartables roses, les stylos pour filles, les déguisements d’infirmières et les déguisements de médecins, les espionnes en talons aiguilles de mes séries, les profs qui demandent aux mecs ce qu’ils ont pensé du match, les cases mademoiselle et madame, et je les ai lus autrement.
    J’ai compris, enfin, l’histoire de ma mère qui, quand je lui avais raconté mon exaspération du débat du mademoiselle, m’avait raconté sa concierge qui s’était mise à la regarder dans les yeux et à lui sourire quand ma mère avait enfin pu troquer son mademoiselle en madame, quand elle avait enfin cessé de vivre dans le péché.

    Depuis j’essaie d’apprendre. C’est difficile, c’est beaucoup de choses très ancrées à aller chercher et détricoter, pas à pas.
    J’essaie d’arrêter de dire « avoir des couilles » pour dire « être courageux ». Parce que oui, c’est un pauvre putain de détail, mais c’est un détail essentiel.
    J’essaie d’arrêter de dire aux petits garçons que je mesure contre le mur de se tenir « très droit, comme un petit soldat » et de dire aux filles « la tête bien droite, comme une danseuse étoile ».
    J’essaie d’arrêter de dire « c’est pas un steak de PD », ou « allez bien tous vous faire enculer ».
    C’est difficile pour moi, parce que j’aime bien dire des gros mots et j’aime bien dire des trucs avec couilles.
    Comme vous pouvez le constater, j’ai pas encore tout à fait réussi à arrêter de dire putain.

    Et des fois, quand j’essaie d’expliquer un peu tout ça à des gens, je les écoute me répondre ce que j’ai dit moi-même pendant tellement d’années que je ne peux pas vraiment leur en vouloir, même si j’ai envie de leur fracasser la boîte crânienne à grands coups de pilule rouge.

  • Pour que le feu reprenne (sic) | Juste après dresseuse d’ours
    http://www.jaddo.fr/2015/03/20/pour-que-le-feu-reprenne-sic

    Un jour, sur Twitter, quelqu’un avait dit qu’il y avait pire que les #médecins méchants : les médecins gentils et incompétents. Que c’était les plus dangereux.
    Je pense qu’il a horriblement raison et que je ne suis pas loin de faire partie de ceux-là.
    Parce que je sais que c’est pas terrible une grossesse à 46 ans avec du diabète et de l’hypertension et de l’hypothyroïdie, mais je sais pas les chiffres. Je ne sais pas, par un défaut bête et technique de compétences et de connaissances, à quel point il y a un risque sérieux pour l’enfant et pour la mère. Je sais que c’est pas terrible, je sais que c’est risqué, je sais surtout que tout le monde va la pourrir pour ça et par réaction je la soutiens, les yeux et l’antenne fermés. Je tire le fil de « ça arrive que ça se passe bien » et j’encourage avec toutes les œillères que Dieu fait.