« On atteint le point critique : l’effondrement de notre civilisation » - Rue89

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  • « On atteint le point critique : l’effondrement de notre civilisation »

    http://rue89.nouvelobs.com/2015/03/24/atteint-point-critique-leffondrement-civilisation-258304

    Une interview passionnante de François Roddier qui modélise l’#entropie de la civilisation

    Dans la nature, on voit aussi beaucoup de formes de coopération. Cela veut dire qu’il y a des contextes où cette troisième loi ne s’applique pas ?

    Il y a des cycles, des oscillations autour d’un point critique, où l’on passe de la coopération à la compétition. Tout ça, c’est visible sur une courbe, avec deux phases et entre les deux, il y a un point critique. Quand il n’y a pas assez d’énergie, la seule solution est de coopérer, tout seul on n’y arrive pas. Au-delà d’un certain seuil, l’énergie est suffisante pour tous, la compétition prend le dessus.

    Comment mesure-t-on la quantité d’énergie qui est dissipée par une société humaine ?

    Le PIB est une très bonne mesure de la dissipation de l’énergie. Les courbes qui montrent les liens historiques entre la croissance de consommation de pétrole et la croissance du PIB sont très parlantes. Là-dessus je ne suis pas d’accord avec les écologistes qui renient complètement le PIB, c’est un très bon indicateur de la dissipation de l’énergie.

    • Le gros problème du #pétrole c’est que c’est trop facile, le jour où l’humanité a découvert le pétrole, elle a changé de dimension, elle s’est mise à dissiper de l’énergie de plus en plus vite juste en forant des trous. On n’aura pas le temps de remplacer le pétrole par l’énergie solaire avant la fin du pétrole.

      (...)

      La quantité d’énergie dissipée est proportionnelle à la quantité d’information produite

    • Ça commence fort :

      Tout comme les animaux mangent pour vivre, l’humanité se nourrit d’énergie, notamment du pétrole. On peut donc dire qu’elle a un métabolisme et que l’économie est l’étude de ce métabolisme. Si on regarde bien, on peut voir que les processus biochimiques qui régissent les êtres vivants se transposent très bien à l’économie.

      Avec une telle logique, on peut se demander si l’activité des bactéries est keynésienne ou néolibérale ? On voit bien l’absurdité d’un tel réductionnisme
      L’économie est un fait socialement et historiquement situé : c’est une certaine façon pour des sociétés humaines bien particulières de reproduire leur forme de vie spécifique
      En l’occurrence, la base de cette synthèse sociale, c’est le travail producteur de marchandises qui n’a acquis un « pouvoir organisateur » que depuis deux siècles au maximum (et à peine quelques décennies pour la grande majorité de l’humanité)
      Non seulement cela n’est pas réductible à un processus biochimique, mais il n’est pas même possible de projeter sur toutes les sociétés humaines un seul et unique principe qui expliquerait de façon générale toutes les formes d’organisation sociale, et donc toutes les trajectoires historiques possibles

      Roddier ne peut se détacher d’une vision « naturalisée » de notre forme de vie, de fausses évidences qu’il projette sur toutes les sociétés humaines jusqu’à leur chercher une justification dans des « lois » de la nature.
      Si effectivement nos sociétés produisent des catégories objectives et réellement contraignantes (comme la nécessité de consommer toujours plus d’énergie) cela n’est pas dû à un principe thermodynamique (auquel il suffirait d’opposer consciemment une politique de production d’information néguentropique : double illusion, à la fois sur la cause déterminante et sur une perspective émancipatrice qui ne fait que redoubler les nuisances)

      La découverte et l’exploitation à outrance du pétrole ne peuvent donc être traitées comme des éléments fortuits. Il y a des raisons qui expliquent cette trajectoire particulière et elles résident dans les particularités d’une forme de synthèse sociale qui s’est globalisée pour les mêmes raisons. Si l’économie est un « accident » de l’histoire humaine, son développement explosif est inscrit dans ces particularités, pas dans un principe physique universel. La combustion du pétrole doit être distinguée en tant que réalité physique d’une part et en tant que réalité socio-historique d’autre part. On ne peut se contenter de les subsumer dans une loi commune.

      Avec un peu de culture en SHS (Histoire, Anthropologie, Sociologie, etc.) il est assez facile de ne pas tomber dans cet écueil. Cela ne donne pas « mécaniquement » des solutions, mais cela évite au moins de s’enferrer dans des impasses

    • @ktche :
      Merci pour l’explication. Je comprends votre point de vue, mais je regrette que le débat essentialisme/constructivisme vienne torpiller la réflexion intéressante de ce gars.

      Pour ma part je ne jette pas en bloc cette modélisation au motif qu’elle colporterait un postulat faux, bien que d’importance faible. En effet, que la gloutonnerie humaine observée aujourd’hui soit le fruit d’un instinct biologique ou le fait d’un héritage culturel, qu’importe, vu que la seule issue pour la combattre passera par une évolution forcément culturelle, déconstruisons cette gloutonnerie (ou construisons la frugalité).

      Je pense que modéliser de façon macro la dynamique de cette gloutonnerie est bien plus utile que de ne pas le faire, au motif que ce modèle serait essentialiste. La science essaie d’expliquer, mais expliquer n’est pas justifier d’une part, et par ailleurs ce qui est « naturel » n’est pas immuable, c’est un faux problème à mon sens.

    • Il ne s’agit pas de refuser de modéliser. Il s’agit de dire que la voie empruntée par Roddier est irrationnelle, au moins autant que pouvait l’être la théologie. Son postulat n’est pas faux, il est appliqué indûment à un domaine dont il ne relève pas. Il abouti à un modèle « fonctionnel » mais qui ne fournit aucune explication quant aux causes effectives. C’est au mieux une description métaphorique. Du coup, le « changement culturel » qui est effectivement nécessaire ne peut pas être entamé sur ces bases. Pire : il participe à renforcer le blocage en pointant l’attention dans la mauvaise direction.

      Le modèle viable (le noyau conceptuel pertinent) est à chercher dans une analyse critique de nos sociétés qui expliquerait pourquoi elles ne peuvent s’empêcher de mettre en œuvre des nuisances et de chercher à les contrer en les redoublant. Cette dimension ne se trouve pas plus dans la thermodynamique que dans la gravitation universelle ou la mécanique quantique. Elle se trouve dans la généralisation du travail producteur de marchandises.