La faute à Ève | Juste après dresseuse d’ours

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  • La faute à Ève | Juste après dresseuse d’ours
    http://www.jaddo.fr/2015/03/28/la-faute-a-eve
    #féminisme #sexisme #illumination

    C’était forcément secondaire, et c’était forcément insidieux. Un truc rentré en moi, et, puisque je n’avais jamais laissé les mots entrer, forcément rentré en moi par syllabes, par lettres, par atomes. Un truc glissé en intraveineuse au goutte-à-goutte.
    C’était la télé, c’était les films, les #clichés un peu trop vus mais tellement faciles et presque rassurants, c’était le #discours ambiant, c’était les #préjugés idiots qu’on entend en n’étant pas d’accord au fond en théorie mais qu’on entend quand même huit fois, dix fois, quatre-vingt-seize fois par jour et qui filtrent, petit à petit, et qui laissent une humidité à peine visible mais qui se transforme quand même en moisissure.
    J’avais écrit la même chose sans le savoir, pourtant, des années avant, en parlant d’autre chose, en parlant de perversion. J’avais écrit que c’était plus facile de lutter contre un mec qui hurle « Je vais te tuer salope » que contre un mec qui fait de tout petits pas insidieux. Et bin c’est vachement facile d’être pas d’accord avec un mec qui dit « Les Arabes c’est rien que tous des voleurs », et vachement plus dur de se révolter contre des images subliminales dans un film ou des habitudes innocentes de langage.

    Et j’ai réalisé d’un coup.
    Moi qui passais mon temps à me face-palmer des médecins qui reçoivent les visiteurs médicaux en jurant que ça ne les influence pas, j’avais eu exactement le même aveuglement.
    « Non mais j’entends mais j’écoute pas. »
    Dans tes rêves.
    Moi qui passais mon temps à brailler contre les biais dans les études et les stats à la con qui font dire aux journalistes que le chocolat ça rend heureux et que éjaculer une fois par semaine ça fait vivre plus longtemps, j’ai réalisé des années après que c’est pas PARCE QUE les garçons aiment le foot qu’on parle de foot aux garçons, mais peut-être bien l’inverse.
    J’ai touché du doigt à quel point ce sont les putains de petits cailloux qui font les putains de grandes rivières.

    J’ai avalé la pilule rouge, sans préavis.
    J’ai revu les livres pour enfants, les cartables roses, les stylos pour filles, les déguisements d’infirmières et les déguisements de médecins, les espionnes en talons aiguilles de mes séries, les profs qui demandent aux mecs ce qu’ils ont pensé du match, les cases mademoiselle et madame, et je les ai lus autrement.
    J’ai compris, enfin, l’histoire de ma mère qui, quand je lui avais raconté mon exaspération du débat du mademoiselle, m’avait raconté sa concierge qui s’était mise à la regarder dans les yeux et à lui sourire quand ma mère avait enfin pu troquer son mademoiselle en madame, quand elle avait enfin cessé de vivre dans le péché.

    Depuis j’essaie d’apprendre. C’est difficile, c’est beaucoup de choses très ancrées à aller chercher et détricoter, pas à pas.
    J’essaie d’arrêter de dire « avoir des couilles » pour dire « être courageux ». Parce que oui, c’est un pauvre putain de détail, mais c’est un détail essentiel.
    J’essaie d’arrêter de dire aux petits garçons que je mesure contre le mur de se tenir « très droit, comme un petit soldat » et de dire aux filles « la tête bien droite, comme une danseuse étoile ».
    J’essaie d’arrêter de dire « c’est pas un steak de PD », ou « allez bien tous vous faire enculer ».
    C’est difficile pour moi, parce que j’aime bien dire des gros mots et j’aime bien dire des trucs avec couilles.
    Comme vous pouvez le constater, j’ai pas encore tout à fait réussi à arrêter de dire putain.

    Et des fois, quand j’essaie d’expliquer un peu tout ça à des gens, je les écoute me répondre ce que j’ai dit moi-même pendant tellement d’années que je ne peux pas vraiment leur en vouloir, même si j’ai envie de leur fracasser la boîte crânienne à grands coups de pilule rouge.