Antisémitisme, islamophobie, racisme anti- Roms : la CNCDH pointe un climat « délétère » en France - Carine Fouteau - Mediapart
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Ce sont les racines du mal qu’observe la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) dans son rapport annuel rendu public jeudi 9 avril consacré à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (à lire en intégralité en page 2 de cet article). Quel terreau a rendu possibles les attentats de janvier 2015 contre Charlie Hebdo et le supermarché casher à la suite desquels vingt personnes, dont les trois terroristes, ont perdu la vie ? « Le peuple de France a été saisi de sidération devant le cauchemar de la rédaction d’un journal, Charlie Hebdo, sauvagement décimée et d’assassinats antisémites barbares dans un supermarché casher », souligne Christine Lazerges, la présidente de l’institution, dans son introduction. « Les tendances sont inquiétantes et la CNCDH se doit d’alerter les pouvoirs publics et l’opinion », insiste-t-elle. Depuis 2009, selon ses analyses, la société française est gagnée par une intolérance croissante à l’égard des immigrés et des étrangers, boucs émissaires dans un contexte de crise économique et de montée continue du chômage.
L’année 2014 s’ouvre avec l’affaire Dieudonné. Dans le sillage de l’interdiction des spectacles de l’humoriste, la manifestation « Jour de colère », le 26 janvier, voit se nouer une alliance rance entre catholiques fondamentalistes, militants d’extrême droite nationalistes et partisans d’Alain Soral autour de slogans antisémites, anti-islam et homophobes. Les succès éditoriaux d’ouvrages « qui répandent l’amalgame et attisent les peurs » sont un autre symptôme d’un climat « délétère ». Dans l’espace public, les paroles xénophobes sur fond de progression du FN aux élections européennes et municipales ne font pas l’objet de « recadrage », remarque la CNCDH qui regrette « l’absence de contre-discours positifs tant de la part des politiques que des médias » . Trois formes de rejet lui semblent particulièrement tenaces : la cristallisation du racisme autour de la population musulmane, l’augmentation significative des actes antisémites et la critique sans retenue des Roms.
Selon les chiffres recensés par le ministère de l’intérieur, 1 662 actes et menaces à caractères racistes ont été signalés en 2014 auprès des services de police et de gendarmerie, contre 1 271 un an plus tôt, soit une hausse de 30 %. Ainsi mesurée, cette délinquance à caractère raciste prend en compte les attentats, tentatives d’attentats, incendies, dégradations, violences et voies de fait, de même que les propos, gestes menaçants, démonstrations injurieuses, inscriptions, tracts et courriers. La hausse est spectaculaire pour les faits antisémites qui connaissent des pics de violence en janvier, après le « Jour de colère », puis entre juillet et octobre, en écho à l’intensification du conflit israélo-palestinien et aux manifestations en faveur de Gaza en France. Les actes antimusulmans connaissent, eux, une baisse en 2014, en partie compensée par une flambée après les attentats de janvier 2015. Ces données, note le rapport, sont à prendre avec des pincettes. Pour de nombreuses raisons, la nomenclature est jugée lacunaire, notamment parce qu’elle n’intègre pas les discriminations liées aux origines. La comparaison avec les statistiques recueillies au Royaume-Uni montre à quel point les données françaises sous-estiment la réalité. Outre-Manche, à la suite d’une réforme du recensement des infractions racistes, le nombre d’actes commis à raison de l’appartenance prétendue à une « race » est passé de 6 500 en 1990 à 37 000 en 2013-2014.
« La prise de recul s’impose s’agissant des données relatives à la répression judiciaire des actes racistes, répète Christine Lazerges. Ces chiffres sont certes un indicateur des manifestations du racisme, mais ils ne révèlent que l’écume des choses, puisqu’en matière de racisme et d’antisémitisme, le chemin des victimes est pavé d’obstacles, à commencer trop souvent par la difficulté à déposer plainte. Le traitement judiciaire achoppe rapidement sur une limite : si les actes racistes, antisémites et xénophobes sont susceptibles de recevoir une réponse pénale, de tomber sous le coup d’une incrimination, ce n’est pas le cas de l’idéologie qui les nourrit. »
Autre outil de mesure, l’indice longitudinal de tolérance mis au point par Vincent Tiberj, chargé de recherches au Centre d’études européennes (CEE) de Sciences Po, est considéré comme plus fiable sur la durée. Mis en service en 1990, ce baromètre agrège les réponses à une batterie de questions – pour l’année 2014 il a été réalisé par l’institut BVA du 3 au 17 novembre auprès d’un échantillon représentatif de 1 020 personnes âgées de 18 ans et plus résidant en France métropolitaine constitué d’après la méthode des quotas. Il permet de saisir un instantané de l’état du racisme en France. Depuis 2009, cet indice chute. En 2014, il se stabilise.
« Pour la cinquième année consécutive, l’indice de tolérance est peu satisfaisant, se trouvant, après un recul au cours des quatre dernières années, à des niveaux tels que cette régression reste sans précédent depuis que les chercheurs qui travaillent en collaboration avec notre autorité administrative indépendante ont créé l’indice longitudinal de tolérance », souligne Christine Lazerges. Les opinions à l’encontre des musulmans évoluent négativement. Le fait de ne pas boire d’alcool ou de ne pas manger de porc est, par exemple, moins accepté en 2014 qu’en 2013, ainsi que le fait de pratiquer la prière. Les Roms, pour lesquels de nouvelles questions ont été intégrées dans le questionnaire, constituent la population qui suscite le plus de rejet.
Malgré l’augmentation des actes et menaces antisémites tels que les mesure le ministère de l’intérieur, l es opinions à l’égard des juifs dans le baromètre de la CNCDH sont, elles, stables. Pour tenter d’y voir plus clair, le rapport consacre un chapitre à la « revitalisation des vieux clichés antisémites » signé par plusieurs chercheurs de Sciences Po sous la houlette de Nonna Mayer, directrice de recherche du CNRS au CEE de Sciences Po et présidente de l’Association française de science politique depuis 2005.
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Cette minorité est la mieux acceptée. (...)
En revanche, les chercheurs observent une persistance des stéréotypes liés au pouvoir et à l’argent dont sont victimes les juifs. « Tout se passe comme si les mesures prises pour protéger cette minorité, mesures de sécurité après la tuerie de Toulouse, ou sur un registre moins dramatique l’interdiction du spectacle de Dieudonné, en janvier, et celle de deux manifestations pro-palestiniennes à Paris cet été, venaient renforcer la croyance en leur influence », constatent-ils. « Dans le même ordre d’idées, les juifs sont accusés d’instrumentaliser la Shoah à leur profit », poursuivent-ils. Le soupçon de « double allégeance » mesuré par la question « Pour les juifs français, Israël compte plus que la France » est également renforcé.
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« Ce nouvel antisémitisme, rapportent les chercheurs, ne se fonderait plus sur la notion de “peuple déicide” caractéristique de l’antijudaïsme chrétien, ou sur la prétendue supériorité de la race aryenne, comme au temps du nazisme, mais sur l’antisionisme, l’amalgame polémique entre “juifs”, “Israéliens” et “sionistes”. (...)
L’étude du baromètre ne fait pas apparaître une telle évolution. À l’inverse, elle montre un « rôle structurant » du « vieil antisémitisme » liant les juifs à l’argent et au pouvoir. Les opinions à l’égard d’Israël et plus encore à l’égard du conflit israélo-palestinien semblent plus « périphériques » tout comme celles relatives à la Shoah. L’idée que l’antisémitisme serait un racisme d’une autre nature n’est pas non plus validée, puisque les personnes rejetant les juifs rejettent aussi les autres minorités.
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En matière de préférence politique, l’antisémitisme est moins fréquent à gauche qu’à droite (...). Et s’il remonte à l’extrême gauche, la proportion des scores élevés sur l’échelle d’antisémitisme y reste inférieure à la moyenne de l’échantillon, et sans commune mesure avec celle qu’on observe à l’extrême droite (27 % chez les proches du Front de gauche, de Lutte ouvrière et du NPA, contre 22 % au PS et chez les Verts), soulignent les chercheurs (...). Quant aux Français issus de l’immigration, ils se comportent comme les autres Français : ils se situent dans la moyenne.
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