• MapKibera, la carte pour rendre visible les invisibles (9/14)

    http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2015/04/02/mapkibera-la-carte-pour-rendre-visible-les-invisibles_4608573_3212.h

    Le projet social kényan MapKibera est né… sur le continent américain. Très précisément sur la côte Est en 2009 alors qu’Erica Hagen est étudiante en développement international à l’université de Columbia. « Dans les cours, le bidonville de Kibera [au Kenya], un des plus connus d’Afrique, était présenté comme un symbole de gigantisme, se souvient l’Américaine. Mais, paradoxalement, aucune carte précise de ce lieu n’existait. »

    #cartographie #cartographie_participative #kenya #visible #invisible#perception #visualisation

  • En Egypte, la révolution silencieuse du pain
    Par Moina Fauchier-Delavigne

    http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2015/04/14/en-egypte-la-revolution-silencieuse-du-pain_4615348_3212.html

    « Pain, liberté, justice sociale », scandaient les manifestants pendant la révolution de 2011, qui a renversé Hosni Moubarak. Quatre ans plus tard, les militaires ont repris le pouvoir, et pour beaucoup d’Egyptiens, la liberté semble un idéal moins atteignable que jamais. Mais une chose a changé : on parvient enfin à se procurer du pain à prix modique. Le système de subvention, qui engendrait des fraudes à grande échelle depuis des décennies, a été réformé sous le régime du général Abdel Fatah Al-Sissi, au pouvoir depuis l’été 2013.

    « Ça marche maintenant. Que Dieu bénisse Sissi », lance Zeinab, une vieille femme à lunettes, toute vêtue de noir, en sortant d’une boulangerie d’Imbaba, un quartier pauvre du Caire, une vingtaine de galettes disposées sur un plateau posé sur sa tête. En présentant sa carte à puce, glissée dans le lecteur, elle a pu acheter du pain pour toute sa famille, en ne payant chaque pain de 130 grammes que cinq piastres (moins d’un centime d’euro), au lieu de trente.

    L’élément de base des repas

    En ce lundi matin de début mars l’ambiance est bon enfant dans la boulangerie. Quelques femmes ont apporté un plateau, une clayette en palme ou un sac en plastique pour y empiler les galettes encore chaudes.

    Ici, le pain est l’élément de base des repas. Si fondamental qu’on l’appelle « aish » (la vie) en dialecte égyptien. Pour les plus pauvres, il représente même l’essentiel de l’alimentation, accompagné de foul (plat de fèves), de falafel ou de fromage. Et ici, tous les passants tressent les louanges du gouvernement, qui a réussi à faire passer cette réforme tant attendue, mise en place depuis août 2014 dans la capitale égyptienne.

    Les militaires ont lancé le processus il y a un an. Tout a commencé à Port-Saïd et à Ismaïlia, deux villes situées sur le canal de Suez, avant de s’étendre à d’autres provinces. Dorénavant, 69 millions de personnes, soit 80 % de la population totale du pays, utilisent la carte, dite « carte intelligente », attribuée selon des critères sociaux.

    Une personne a droit à cinq pains par jour. Résultat : chacun peut acheter ce dont il a besoin. Le prix de ce pain traditionnel subventionné reste inchangé pour le consommateur – soit 5 piastres – mais le boulanger, lui, touche 25 piastres supplémentaires de la part du gouvernement, pour compléter le coût de revient. En avril, ce sont les sept derniers gouvernorats du pays qui devraient à leur tour passer au nouveau système.

    « Il y a toujours eu des longues files d’attente »

    Symbole de ce changement d’ère, les boulangeries ouvrent largement leurs portes. Fréquemment prises d’assaut, elles s’étaient peu à peu transformées en de véritables forteresses, protégées par des grilles en métal. Les clients devaient récupérer le pain à travers les barreaux ou par un petit volet. « Ça fait vingt-sept ans que je suis boulanger. La crise du pain était perpétuelle. Il y a toujours eu des longues files d’attente, et parfois des bagarres », témoigne Mohammed Saïd, propriétaire de quatre fours à pain à Imbaba. Début 2008 en particulier, l’envolée du prix du blé avait provoqué des émeutes, entraînant la mort de quinze personnes dans le pays.

    « A l’époque, le pain subventionné pouvait être acheté par tout le monde, explique Hala Barakat, une chercheuse affiliée à l’ONG Egyptian Initiative for Personal Rights (EIPR) pour les questions du droit à l’alimentation. Beaucoup de personnes qui n’en avaient pas besoin en profitaient tandis que les pauvres ne parvenaient pas à en acheter. »

    Le système était hors de contrôle. Certains débrouillards qui parvenaient à acheter des pains, les écoulaient au marché noir, d’autres les utilisaient pour nourrir le bétail et, surtout, les boulangers revendaient directement la majeure partie de la farine reçue. Selon un rapport de la Banque mondiale, en 2009, plus d’un tiers de la farine subventionnée était détourné.

    Rationner le pain était donc nécessaire mais il fallait aussi modifier la façon de subventionner. Avant, l’Etat vendait la farine à prix cassé aux boulangeries du pays. Chacun avait un quota de sacs, à huit livres égyptiennes (1 euro) pour 55 kilogrammes. Mais ce même sac valait au marché noir entre 120 et 130 livres ; les gains étaient faciles. Aujourd’hui, la farine est vendue au prix du marché, soit 130 livres et le boulanger ne touche l’aide de l’Etat qu’après avoir vendu le pain. Cela limite les occasions de frauder.

    « Après la livraison du matin, on voyait les sacs de farine repartir de la boulangerie, chargés sur un vélo ou une moto », raconte Mohammed Abdel Aziz, un jeune trentenaire de Choubra El-Khima, une ville industrielle déshéritée dans le nord de l’agglomération du Caire. La boulangerie avait écoulé son maigre stock de pain avant midi. Les inspecteurs des divers organismes d’Etat fermaient les yeux, complices. Sourour Gaber Abo Rihab, le prospère propriétaire d’un four à pain du quartier, avoue qu’il avait un quota de dix-sept sacs par jour et qu’il en vendait sept au marché noir « pour payer ses ouvriers ».

    Une « avancée dans la lutte contre la pauvreté »

    Pour le ministre des subventions, Khaled Hanafi, « avant, la seule façon de gagner de l’argent pour les boulangers était de vendre au marché noir. Maintenant, ils doivent travailler ». Et si certains voient dans cette réforme une mesure populiste qui risque de faire taire les velléités de démocratie dans le pays, d’autres, comme Hala Barakat, préfèrent la considérer comme une « avancée dans la lutte contre la pauvreté ».

    Les seuls mécontents sont les 25 000 boulangers du pays. Pour eux, les années dorées sont passées. « Le nouveau système ? Pour les gens, c’est génial, pour nous, c’est… moyen », admet Sourour Gaber Abo Rihab, le boulanger de Chobra El-Khima où le système est en place depuis trois mois. Pour faire accepter cette réforme, le ministre des subventions a dû négocier avec eux. Ils ont obtenu un assouplissement de la règle pour les personnes qui n’ont pas encore de carte électronique. Une mesure temporaire destinée aussi à les « calmer », selon les mots du ministre.

    Avec la réforme, les boulangers ont découvert la loi de la concurrence. Il y a quelques années, on se battait pour du pain de mauvaise qualité, parfois coupé de sciure. Maintenant, il y a le choix. Ils ont aussi intégré le système bancaire. Fini l’économie informelle, ceux qui sont concernés par la réforme ont dû ouvrir un compte en banque pour encaisser les subventions de l’Etat. Une entrée à marche forcée dans la modernité.