[infokiosques.net] - A mort l’artiste

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    Pour les sept siècles qui viennent de s’écouler laborieusement, ce qu’on appelle l’histoire de l’art n’a été essentiellement que l’histoire de l’artiste. L’art s’est confondu dans l’illusion économique d’un monde immuable et sans fin, ne trouvant plus de signification ni d’intérêt que comme reflet de « l’esprit » de l’artiste. Or, sans ne vouloir froisser personne en particulier, il faut ici rappeler que cette individualité singulière que représente l’artiste est un mythe de la modernité : personnage unique et séparé, spécialisé et voué à son art « corps et âme », se croyant de tout temps et de toute éternité. Les évolutions et les innovations esthétiques de ces derniers siècles doivent par conséquent être perçues, avant toute autre considération, comme un facteur de consolidation du mythe de l’artiste. Ce mythe réside dans l’idée de vocation qui, si elle n’est pas une caractéristique propre à l’artiste, fait spécifiquement de ce dernier un être spirituel idéalisé, accompli dans le monde capitaliste du règne de la marchandise et de l’accumulation illimitée. La vocation dans son sens mondain, a permis un rapport individuel de soumission au monde. C’est ce qui explique en partie la transformation de l’artisan en artiste, quand le travail artistique devient progressivement un devoir d’accomplissement (non plus seulement pour Dieu mais pour la société, pour l’homme) et un but en soi. Par conséquent, nous pouvons dire sans trembler que l’artiste est à la fois produit et agent du monde capitaliste et libéral.
    Son faux ennemi.

    Pourtant, ce renversement qui, du culte momentané voué à l’art bascule rapidement à partir du XVe siècle vers le culte de l’artiste, marque à la fois le triomphe et la dissolution inéluctable de cette figure moderne. L’artiste aura fini par se croire œuvre. Il ne se réduit aujourd’hui qu’à une idée, une belle idée immortelle qu’il se fait de lui, guettant la postérité d’un air faussement désintéressé. Condamné à ne vivre que dans la représentation, l’artiste se suffit désormais à lui-même. Il est son propre but qu’il poursuit sans fin, malgré toutes les justifications hasardeuses et souvent hors de propos qu’il avance pour se sauver du néant. En ne travaillant qu’à sa conservation, il participe, qu’il le veuille ou non, à la conservation de ce monde.

    L’artiste n’est pas une personne digne de confiance. Il est à l’image de la société marchande : une imposture.