Libyan rebel commander admits his fighters have al-Qaeda links

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  • Je trouve l’éditorial de Philippe Sage sur Le Plus du Nouvel Obs d’une invraisemblable faiblesse, ou naïveté... en tout cas : totalement à côté de la plaque.

    La crainte de la charia en Libye, une réaction bien occidentale - par Philippe Sage
    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/207798;la-crainte-de-la-charia-en-libye-une-reaction-bien-occident

    Ceci étant, la Libye libérée décrétant que sa loi sera islamique, pourquoi diantre s’en trouver embarrassés ? S’en inquiéter, surtout ? Si, comme on nous le répète, les racines de l’Europe sont chrétiennes, celles de la Libye ne sont-elles pas musulmanes ? De quoi, donc, avons-nous peur ? Pourquoi, au demeurant, on s’en indignerait ?

    [...]

    En réalité nous avons une vision bien condescendante des peuples qui ne sont pas, comme nous, des occidentaux ; des civilisés en quelque sorte. Car c’est nous, n’est-ce pas, la civilisation ? Et d’ailleurs, ne les a-t-on pas colonisés, et moult fois, pour les éduquer ? Les sculpter à notre image, en vérité.

    Alors je veux bien que l’éditocratie française qui a adoré soutenir la démocratisation de la Libye à grands coups de bombardements aériens (comme elle a adoré soutenir la démocratisation de l’Irak à grands coups de bombardements aériens) ait, sur ce sujet comme sur tous les autres, des indignations hypocrites et ethnocentrées. Mais ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas pour autant s’inquiéter de ce qui se passe autour de cette histoire de, hum, « islamisme ».

    Pour essayer d’être concis :

    – ce qui inquiète n’est pas une volonté toute indigène de ces peuples de se doter de gouvernants et de législations inspirées du Coran ; ce qui doit inquièter, c’est la contre-révolution financée et orchestrée depuis les pays du Golfe (c’est-à-dire, avant tout, depuis l’Arabie séoudite, allié des États-Unis) ;

    – cette contre-révolution prend, et ça n’a rigoureusement rien d’original (ça fait des décennies que c’est le cas), la forme d’un très intense financement et développement des partis et groupes islamistes ; ce qui prend la forme, en Tunisie, du financement du parti En-Nahda par « les pays du Golfe » :
    http://seenthis.net/messages/38714
    et, en Libye, le financement des « rebelles » par le Qatar et « les pays du Golfe »
    http://seenthis.net/messages/32477
    (et la présence, notée même par les journaux atlantistes) de nombreux proches (ou anciens) d’Al Qaeda ;
    http://seenthis.net/messages/33262
    c’est, en Égypte, l’excitation sectaires qui accompagne la répression sanglante d’une manifestation copte. Et le discours « anti-minorités » (anti-chiites et anti-chrétiens) qui se répand désormais dans les importants médias appartenant aux séoudiens.

    Ces groupes, thèmes et partis sont financés et développés par les capitaux colossaux (l’unité de base est la centaine de millions de dollars) des pétro-royaumes du Golfe (qui sont, ça tombe bien, nos alliés). L’inquiétude est là.

    – le rôle politique de ces « islamistes » prend des formes différentes : soit directement par la participation politique (désormais en Tunisie, en Libye), soit par l’exposition d’un pouvoir de nuisance (Égypte pour l’heure, Liban systématiquement). Le pouvoir de nuisance est simple : quand le système politique se sent menacé par une revendication populaire, il y a un dérapage sécuritaire dû à ces groupuscules (ambassade brûlée à Beyrouth, massacre à Tripoli au Liban, répression des coptes au Caire, attaque de Nessma TV en Tunisie…). Groupuscules jamais totalement étrangers à certains intérêts :
    http://seenthis.net/messages/37281

    Quant à la participation politique directe, ces partis ne sont jamais socialement progressistes (même le Hezbollah chiite au Liban n’est pas, d’ailleurs, progressiste concernant la vie politique et sociale).

    – Mais il y a un aspect de ces mouvements qui, à mon avis, est beaucoup plus important (et nuisible). Ils permettent de détourner le débat politique vers des questions de société invraisemblables. La répartition de l’argent des ressources naturelles ? Qui possède la terre ? Quelle politique fiscale ? Quelle politique économique ? Quel rapport entretenir avec les monopoles étrangers ? Quelles lois pour protéger les travailleurs ? Quels financements publics pour l’école, la santé, etc.? Quels systèmes de retraite, d’assurance santé… ? Toutes ces questions – qui sont, pourtant, au cœur même des aspirations démocratiques des peuples arabes qui ont mené leurs « révolutions » – disparaissent immanquablement, remplacées au profit d’immenses débats sur le voile à l’université, l’« inspiration » de l’islam pour la loi commune, la répression du blasphème et du changement de religion ou, truc qui plaît carrément, le « dialogue inter-religieux »...

    C’est exactement le même principe que ces « questions à la con » que la droite américaine est parvenue à imposer dans le débat démocratique (prière à l’école, etc.), pour éviter que les questions économiques et politiques importantes fassent l’objet d’un débat public (questions, surtout, qu’une véritable démocratie résoudrait en allant clairement à l’encontre des intérêts défendus par la droite). Thème fréquent de Serge Halimi ; encore récemment :
    http://www.monde-diplomatique.fr/2010/04/HALIMI/18990

    Même rôle que tient, objectivement, l’extrême-droite en Europe. Ou comment la présence de Le Pen sert d’alibi pour que Sarkozy impose des questions délirantes (identité nationale, voile intégral) alors que l’Europe affronte une crise économique sans précédent depuis 80 ans. Et comme pour la Tunisie et la Libye (et demain, qui ?), s’il ne s’agit pas de stigmatiser ceux qui votent « mal », ça ne signifie pas pour autant qu’on doive ignorer le rôle politique objectif que cette « réaction » – lourdement financée et coordonnée – tient au service du système.

    PS. Qu’on ne s’y trompe pas : ce type d’excitation sectaire et/ou ethno-religieuse ne cible pas que les musulmans (Dieu merci).