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  • Je m’appelle Jihad. Devinez mon origine confessionnelle, M. Ménard - Rue89 - L’Obs

    Merci @mona d’avoir signalé cet article

    http://rue89.nouvelobs.com/2015/05/05/mappelle-jihad-allez-deviner-m-menard-origine-confessionnelle-25902

    e m’appelle Jihad Alachkar, j’ai 36 ans.

    Grâce à mon prénom, M. Ménard, allez-vous deviner mon origine confessionnelle ?

    Roulements de tambour...

    Perdu, je ne suis pas musulman.

    Je suis issu d’une famille chrétienne maronite du Liban par mon père, française de ma mère et je suis né en France.

    J’ai cette double culture et je me permets en plus le luxe d’être athée.

    Le prénom Jihad, au Liban, est majoritairement porté par la communauté chrétienne, qui représente près de 40% de la population du pays.

    #racisme #discrimination #ménard

    • J’ai pensé la même chose ce matin, et puis à la réflexion, je me suis dit qu’en même temps, les Libanais sont soit très mal placés soit au contraire très bien placés pour expliquer qu’on ne peut/doit pas déterminer la religion des gens en fonction du prénom (puis du nom, puis du village d’origine…).

      Il me semble que le nom du monsieur est relativement transparent pour des Libanais, et comme on lui demandera illico de quel village est sa famille, ça ne sera pas très mystérieux. Regarde, même Wikipédia est au courant :
      http://en.wikipedia.org/wiki/Dik_El_Mehdi

      The majority of it inhabitants derives from the Ashkar family.

      Avec ce nom de famille, entre le village de famille et le prénom, il doit être assez facile de lever le doute (Chrétien ou Druze).

      De fait, monsieur Ménard n’est certainement pas capable de deviner son « origine confessionnelle », mais pour les Libanais c’est beaucoup moins difficile. Et de fait, ce n’est pas un drame, tant qu’on ne fait pas de son origine confessionnelle un essentialisme (notamment, au Liban : présupposer ses opinions politiques). Et, oui, quand les Français ont cette habitude pénible de demander la religion des Libanais, c’est choquant parce qu’en dehors du présupposé politique, je ne vois pas bien ce qu’ils peuvent en tirer ? Mais le fait est que, pour un Libanais, deviner la religion par le prénom, le nom et le village d’origine, ce n’est souvent pas bien mystérieux.

      L’aspect choquant n’est pas tant que Ménard fasse un gros gloubiboulga entre le prénom, l’origine étrangère des parents et la religion supposée des enfants. Mais qu’il en tire un essentialisme (ça n’a pas traîné, dans la même déclaration : les parents des enfants qui ont un prénom musulman ne parlent pas français). Dans l’imaginaire raciste, on peut appliquer des critères scientifiques (jusqu’à la morphopsychologie) aux racisés : l’idée étant qu’à partir de tel pourcentage de Yacine et de Malika – Ménard annonce un très scientifique « 64,6% » (au millième près !) – on a telle conséquence – assez floue ici : difficulté d’apprentissage de la langue ? vol de mobilette ? problèmes de cantine ? impossibilité d’évoquer la Seconde guerre mondiale en classe ? jihadisme galopant ? quoi donc ? et si c’était 64 virgule 5 au lieu de 64 virgule 6, quel impact ça aurait sur le, euh, problème ?).

      Ce qui est scandaleux n’est pas, dans l’absolu, qu’on devine de quelle origine religieuse pourrait bien être le petit camarade de classe nommé « David Bensimon », parce que c’est relativement inévitable. Ce qui est proprement scandaleux, c’est qu’on prétende en faire une statistique pour en tirer une conséquence « sociologique », économique, politique (ah, Ménard établissant une liste des prénoms juifs dans ses écoles au nom de je ne sais quel motif rationnel, je ne vois même pas qu’on s’interrogerait longtemps). C’est ce que je signale dans le rappel du « Décret sur les noms juifs » de 1808 : si le décret porte sur les noms, les préoccupations essentialistes (antijuives) sont totalement transparentes :
      http://www.archivesdefrance.culture.gouv.fr/action-culturelle/celebrations-nationales/2008/vie-politique-et-institutions/decret-sur-les-noms-des-juifs

      Les Juifs sont tenus de répondre à douze questions sous la haute surveillance des représentants personnels de Napoléon qui se tient soigneusement au courant des débats : sont-ils polygames, acceptent-ils d’épouser des femmes chrétiennes, se considèrent-ils comme les « frères » de leurs concitoyens non-juifs, regardent ils la France comme leur patrie, sont-ils prêts à la défendre, pratiquent-ils l’usure ? Napoléon espère, comme il l’écrit lui-même, que le « sang des Juifs cessera d’avoir un caractère particulier », qu’ils iront jusqu’au bout de cette régénération radicale qui implique l’entière assimilation.

      Dans ce sens : deviner (mais faut le vouloir) une « origine confessionnelle » de gens qui s’appellent Rossi, Costagliola, Herrera, ça doit pouvoir se faire. Des Trautman de Strasbourg, aussi. Mais c’est quoi l’intérêt ?

      On n’est donc pas loin du piège logique : si on s’indigne trop fort du fait qu’il prétend qu’on peut relier un prénom arabe à la religion, je crois qu’on perd son temps. Parce qu’on ne va pas non plus convaincre grand monde du contraire (le contre-exemple particulier n’invalide pas l’aspect « statistique » dont il se réclame – mes propres enfants ont des prénoms arabes, ils ne sont pas musulmans, mais tous les copains de mes enfants qui ont des prénoms arabes sont d’origine maghrébine et, pour ce que j’en sais de nos discussions, sont musulmans). Comme ci-dessus : on a peu de chances de se tromper si on tient à deviner la religion d’un petit « David Bensimon ». Ce qui est choquant, c’est le principe de revendiquer le nom comme élément d’une altérité qui marquerait une différence sociologique, économique, politique. Dans une école où il aurait établi une certaine proportion de petits David Bensimon, Ménard va-t-il nous expliquer quelque chose sur la difficulté à organiser la cantine, sur le niveau de revenu des parents, sur le fait qu’ils pratiquent l’usure, sur leur maîtrise de la langue française, sur leur fidélité à la patrie… pour reprendre les préoccupations déjà exprimées par Napoléon ?