Ernest Renan : un antisémitisme savant
Parler d’Ernest Renan c’est évoquer l’une des figures du panthéon intellectuel français, un de ces personnages dont on donne le nom à des établissements scolaires ou à des rues. C’est dire qu’il n’est pas facile de parler de Renan, surtout pour présenter certains des aspects les plus contestables de ses idées. À Renan, dont la production intellectuelle a été très abondante, on doit certains grands textes, comme la célèbre conférence « Qu’est-ce qu’une Nation ? » prononcée à la Sorbonne, le 11 mars 1882, et que l’on cite encore aujourd’hui, entre autres à cause de la célèbre formule qui définit la nation comme« le désir de vivre ensemble ». Malheureusement, on lui doit aussi les textes dont je parlerai ici et qui, anachronisme mis à part, tomberaient sans doute sous le coup des lois réprimant le délit de « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale »...
1. L’antisémitisme de Renan a un fondement complexe
Son fondement n’est pas simplement « épidermique » comme l’est celui du racisme vulgaire. Il est bien plus sophistiqué. Ce racisme est, si l’on peut risquer l’expression, un « racisme ethno-linguistique » : c’est l’appartenance à une famille linguistique donnée qui constitue la vraie signature de l’appartenance
raciale...
2. L’antisémitisme de Renan est « hiérarchique ».
Renan n’oppose pas en bloc une « race supérieure », la race aryenne à l’ensemble des autres races humaines globalement considérées comme « inférieures ». Ce racisme, donc, ne se contente pas d’établir entre les peuples une partition disjonctive. La division qu’il postule est hiérarchique, en sorte que l’on peut connaître entre deux races distinctes des proximités, voire des affinités qui les séparent des autres races...
3. L’antisémitisme de Renan est « systématique »
Le premier chapitre de Histoire générale des langues sémitiques est intitulé « caractère général des peuples et des langues sémitiques ». Dans ce chapitre, Renan s’efforce de mettre en évidence des traits qui, selon lui, sont partagés par tous les peuples « sémitiques » (à travers le temps et l’espace), donc des traits « inhérents » à ces peuples. Mais, et c’est là que réside l’aspect « scientifique » de l’entreprise, il va s’efforcer de relier tous ces traits les uns avec autres ET avec les propriétés des langues sémitiques. Il s’agit de montrer que tout cela « fait système ». Dans la foulée, et bien que le titre de l’ouvrage ne l’annonçât pas, il va faire de même pour les peuples et les langues indo-européennes (et parfois pour d’autres langues, notamment le chinois). Ce qui rend concevable cette entreprise remarquable c’est la thèse, centrale dans la pensée de Renan, selon laquelle la langue, la psychologie, le système cognitif, les conceptions artistiques, politiques et religieuses, tout cela est en étroite interdépendance...
4. L’antisémitisme de Renan permet des prédictions.
L’image extrêmement « typée » et systématique que Renan se fait de ce que sont les Sémites et leurs cultures lui permet de formuler diverses prédictions sur ce que l’on peut identifier, a priori, comme étant un quelconque de leurs avatars.
5. L’antisémitisme de Renan est « fixiste », c’est-à-dire a-historique
Le système de Renan repose crucialement sur le fait que les caractéristiques d’une « race » (langues, culture, organisation sociale) sont données une fois pour toutes. Il n’y a pas de processus de constitution progressive des langues, processus qui permettrait de supposer une évolution des idiomes avec le temps pouvant conduire à un changement profond de leur « nature »...
Djamel Kouloughli
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