Mon interlocuteur : « – Je ne comprends pas… Comment peux-tu travailler sur un sujet que tu critiques en même temps ?
– En, fait, le “maffesolisme”, même s’il est le point de départ de ma thèse, avec l’affaire Teissier, n’est qu’une petite partie de mon terrain, qui porte bien plutôt sur le réseau de chercheurs “ésotéristes” fédéré dans les années 1960, 70 et 80, par l’islamologue Henry Corbin et le sociologue Gilbert Durand…
– Oui, mais même s’il s’agit d’une petite partie, comment peux-tu travailler là-dessus de manière objective, si tu les critiques par ailleurs ?
– Hé bien, comme je te l’indiquais, ce n’est qu’une petite partie de mon terrain… Mais je ne vois pas bien ou serait la contradiction : tu peux bien critiquer, dans un premier ou dans un second temps, les bases épistémologiques d’une théorie particulière, le mode d’administration de la preuve qui y prévaut, et, dans un autre temps, chercher à décrire et à comprendre cette théorie dans toutes ses ramifications conceptuelles, en mettant en suspend la question de son adéquation avec la réalité, non ?
– Tu critiques Maffesoli, mais tu es d’accord avec ce que disent Henry Corbin et Gilbert Durand, Durand que Maffesoli présente pourtant comme son “Maître” ?
– (moi, m’échauffant un peu :) Non, pas du tout ! Leur vision du monde, à Corbin et à Durand, leur conception ésotériste d’une “chevalerie spirituelle” garante de l’équilibre cosmique, n’est pas du tout ma tasse de thé ! Je suis agnostique, moi, je ne crois pas en l’existence d’une connaissance secrète salvatrice, réservée à une élite spirituelle, et capable de sauver l’humanité… Mais so what ? C’est comme si tu reprochais à un ethnologue de faire un terrain exotique, parce qu’il n’est pas acquis à la vision du monde des indigènes qu’il étudie…
– (mon philosophe, toujours calme et sceptique :) Humm… Donc tu travailles sur des objets que tu n’apprécies pas ? Pas plus Maffesoli, que Durand et Corbin…
– (moi, agacé :) – Mais où est le problème, encore une fois ? Moi, je cherche à comprendre ces braves gens, comme le ferait n’importe quel ethnologue perdu en Amazonie. Et même si leurs visions respectives de l’homme et du monde ne sont pas les miennes, ça n’empêche pas que j’ai bien plus de sympathie pour les théories de Durand et Corbin, qui constituent l’objet central de ma thèse, que pour celles de Maffesoli, que je critique à l’occasion. De même, comme je te le disais tout à l’heure, que j’ai beaucoup plus de sympathie pour les grandes fresques philosophico-apocalyptiques de Heidegger et de l’Ecole de Francfort (ce sont de belles histoires, après tout, non ?), que pour les élucubrations et falsifications freudiennes. Même si je ne crois, à titre personnel, à aucune de ces charmantes mythologies intellectuelles.
– (mon philosophe, toujours imperturbable et sceptique) : Mouais… Reste que je ne comprends toujours pas bien comment tu peux…
– (moi, tranchant :) Et moi je ne comprends pas pourquoi tu n’écoutes pas ce que je te répète depuis tout à l’heure, et pourquoi tu me mets dans une boîte qui n’est pas la mienne ! Parlons d’autre chose… »