• Emploi atypique, travail utopique : pour en finir avec le travail salarié
    http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/05/22/emploi-atypique-travail-utopique-pour-en-finir-avec-le-travail-salarie_46388

    Dix pour cent des travailleurs en France, près de 8 millions en Allemagne, échappent à l’alternative classique entre #travail_indépendant et contrat de #travail_subordonné à temps plein et de longue durée. Ils sont « polyactifs », « multiactifs », en portage salarial, autoentrepreneurs, intermittents, intérimaires, pigistes, « para­subordonnés », inscrits à la Maison des artistes, etc. Dans certains secteurs comme la formation professionnelle, les nouveaux médias, la culture ou l’animation sportive, ils sont majoritaires. Leur situation est celle d’un nouveau #prolétariat actif et plutôt diplômé qui subit une double peine : aussi précaire que les indépendants, aussi inféodé que les salariés.

    Face à cette réalité, la gauche traditionnelle semble tiraillée entre deux mauvais partis. Soit, convertie au libéralisme, elle se félicite de ces évolutions et dit rechercher une approche « humaine et moderne » des assouplissements du marché de l’emploi. Soit, campée dans une vision fordiste de la production, elle revendique de réintégrer dans le salariat classique tous ces travailleurs qui n’y sont plus, et de les placer à nouveau sous la double protection du droit du travail et du régime général de la Sécurité sociale.

    L’attention est louable et légitime, mais elle nie que le monde du travail salarié, ses méthodes de #management, ses absurdités gestionnaires, est aussi devenu un repoussoir pour la plupart de ces travailleurs atypiques. Derrière la statistique de la création d’entreprise, ne cherchons pas des entrepreneurs, mais surtout des personnes avides de pratiquer enfin leur métier dans de bonnes conditions, notamment éthiques.

    Il est possible de sortir de cette alternative. Penser les évolutions profondes du rapport de travail ne doit pas être l’apanage de la pensée libérale. C’est une position progressiste que de souhaiter la fin de l’anachronique rapport de #subordination qui régule l’essentiel des relations de production.

    N’est-il pas temps de renouer avec le fil d’une vision libertaire, populaire, joyeuse de la fin du salariat, qui serait synonyme d’#émancipation ? A un moment où le numérique bouleverse les modèles économiques, et où les grandes entreprises de capitaux cherchent à capter la valeur créée par le consommateur, brouillant les frontières entre le travail et le loisir, ne faut-il pas enfin sortir de la question de l’emploi pour repenser le travail lui-même ?

    Cette aspiration démocratique – car c’en est une – est déjà mise en pratique dans des centaines d’expériences et d’entreprises #coopératives, collaboratives, autogérées qui fleurissent sur tout le territoire depuis une dizaine d’années.

  • Le cinéma se féminise lentement, mais surtout au profit d’héritières, Olivier Alexandre, auteur de « La Règle de l’exception. L’écologie du cinéma français », Eds de l’Ehess.

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/05/22/le-cinema-se-feminise-lentement-mais-surtout-au-profit-d-heritieres_4638316_

    Cette #inégalité de traitement occulte toutefois une évolution de fond. A partir des années 1980, le développement des filières de formation a ouvert une place significative aux #femmes. Entre 1990 et 2011, 43 % des diplômés du département « réalisation » de la prestigieuse Ecole nationale supérieure des métiers de l’image et du son (la Fémis) étaient des étudiantes. Les générations successives de « fémissettes » ont porté le flambeau d’un mouvement d’affirmation d’un regard féminin. Les films de Céline Sciamma, Alice Winocour, Valérie Donzelli, Mia Hansen-Løve ou Rebecca Zlotowski élargissent à chaque nouvelle édition du Festival une brèche ouverte par Claire Denis, Pascale Ferran, Solveig Anspach et Noémie Lvovsky.

    Les femmes ont donc gagné droit de cité, et pourtant peu d’entre elles accèdent au cercle resserré des réalisateurs consacrés. Ce décalage s’explique en premier lieu par des #carrières écourtées. Si les femmes se présentent désormais en nombre quasi égal au seuil de la carrière, elles y renoncent plus rapidement. Alors que la mise en scène est évoquée dans un registre vocationnel par une majorité de réalisateurs, elle est le plus souvent décrite comme une incursion temporaire par les réalisatrices, enclines à considérer l’échec et l’inégalité de reconnaissance comme une composante « naturelle » de leur destinée sociale.

    Déficit de crédibilité

    A cette « causalité du probable » répond un ensemble de stratégies d’adaptation et d’anticipation, discriminantes du point de vue de la reconnaissance artistique. L’anticipation de l’échec conduit les réalisatrices à opter pour une #activité mieux sécurisée.
    (...)

    Cette somme de facteurs semble plaider en faveur d’une discrimination positive propre au domaine cinématographique. Des quotas de femmes dans les sélections cannoises ? Une politique aussi radicale qu’improbable. Il se pourrait en réalité que les femmes œuvrent déjà à l’amélioration de leur condition, à partir des postes de décision. Le primat du masculin y est en effet battu en brèche depuis la fin des années 2000. Sidonie Dumas (Gaumont), fille de Nicolas Seydoux, Ariane Toscan du Plantier (Gaumont), fille de l’ancien président d’Unifrance, Sophie Dulac, héritière du fondateur de l’agence Publicis, Nathalie Bloch-Lainé, passée par Canal+ et Europacorp, où a également officié Emmanuelle Mignon, ancienne directrice de cabinet et conseillère de Nicolas Sarkozy, Véronique Cayla, Anne Durupty et Frédérique Bredin, au CNC et à Arte, témoignent de cette féminisation des #élites cinématographiques, tandis que des productrices comme Margaret Menegoz, Régine Vial ou Anne-Dominique Toussaint marquent un changement de paysage.
    Mais l’horizon des #minorités politiques ne s’arrête pas à la cause des femmes, et cette procédure de féminisation reporte les interrogations sur la diversité d’un milieu socialement cloisonné, où les héritiers et les héritières, Parisiens, Blancs et #bourgeois, continuent de donner le la de la production. La bonne mesure, capable de concilier hiérarchie du goût et #démocratie du talent, reste donc à trouver.

    #cinéma