« Être fort assez »

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  • « Être fort assez ». Entretien radiophonique avec Jeanne Favret-Saada - La sorcellerie dans le bocage de Mayenne - jef klak
    http://jefklak.org/?p=2001

    Par @intempestive et Yeter Akyaz

    Oui, voilà, vous étiez sa cliente : vous avez vous-même été engagée dans un désorcèlement avec madame Flora.

    J’étais sa cliente pour ma vie, et d’ailleurs, elle m’a appris des choses. J’étais au même moment en psychanalyse, et elle m’a appris des choses que la psychanalyste était absolument incapable de m’apprendre. Entre autres, à me dépatouiller des rapports de force injustes – ce qui est une chose sur laquelle j’avais toujours achoppé jusque-là. À partir du moment où elle m’a donné, sur plusieurs années, cet entraînement, je l’ai fait sans me fatiguer : dès que je m’aperçois qu’on est en train de me maltraiter, je mets toujours quelques claques morales aux uns et aux autres, jusqu’à ce qu’ils comprennent que je suis là, en face. Après, je m’arrête, parce que moi, j’ai horreur des rapports de force. Mais je peux mettre mon habit de méchante, mon habit de fille agressive avec des collègues, par exemple.

    Très chouette entretien

    #sorcellerie

    • [Ils disqualifient] même les pratiques paysannes. Par exemple, le directeur de l’hôpital psychiatrique me disait : « Être psychiatre ici, c’est de l’art vétérinaire. Ils n’ont pas de parole. » Ce n’est pas vrai. Quand ils ont commencé à me parler, ils ne s’arrêtaient pas pendant quatre heures. On peut dire qu’ils ont une parole. Interdite ou retenue devant le notable qui peut les interner, mais c’est tout. On ne peut pas dire que ce sont des êtres sans paroles, mais on peut dire qu’ils savent ce qu’est un rapport de force et qu’ils ne vont pas se risquer.

      Vous montrez, à travers des exemples, que le discours prétendument rationnel, prétendument scientifique, est chargé de mythologie et de représentations qui ne sont pas plus justes que les représentations qui s’expriment à travers la sorcellerie…

      Je peux même vous dire que depuis que mes livres ont été publiés, jusqu’à aujourd’hui – cela s’est produit cette semaine encore –, il y a pas mal de savants et de chercheurs qui m’écrivent pour me demander de les « désorceler ». D’ailleurs, je ne réponds pas, en général, à ces lettres parce qu’ils penseraient que c’est moi qui dois les désorceler, ce que je ne veux pas faire, de toute façon. J’ai eu sept ou huit directeurs de recherche au CNRS qui m’ont directement demandé de les désorceler. Donc il ne faut pas… vous voyez.

      Mais là, ce sont des comportements totalement irrationnels au regard de l’univers dans lesquels ils s’expriment…

      Être pris dans une crise de sorcellerie, c’est être pris dans des malheurs à répétition. Tout lecteur de mes livres, y compris s’il est directeur de recherche au CNRS, qui est lui-même pris dans des malheurs à répétition, se projette immédiatement sur ce que j’écris et pense tout de suite que j’ai la clef de son problème. Bien qu’il sache qu’il y a d’autres types de personnes qui s’occupent des malheurs à répétition, par exemple les psychiatres, les psychanalystes et toute une série de gens qui ont inventé les thérapies pour ceci ou cela, il ne veut pas s’adresser [à ces personnes]. C’est ce qu’il ne dit justement pas : « Je ne veux pas m’y adresser » ou : « Je m’y suis adressé et ça ne m’a rien fait ». C’est tout à fait absent de leur propos. [Ils disent :] « Je veux que vous me trouviez un désorceleur ». Vous voyez.

      Mais ce qui est frappant, c’est de voir comment le moindre de mes lecteurs, pourvu qu’il soit pris dans des malheurs à répétition, se projette immédiatement, parce qu’il a, comme je le dis dans un papier qui sort ces jours-ci2, « la mort aux trousses ». Il sent qu’il a la mort aux trousses, et là, il ne fait plus du tout de discours, il ne fait plus de chichis intellectuels, il ne dit pas : « Ces gens sont irrationnels ! » ou « Moi, je suis rationnel ! » ; il dit : « Je veux en sortir ! ».

      #paysannerie
      #mépris_de_classe #déshumanisation
      #rationalisme #rationalité

    • Passionnant, #merci. Ça donne envie de lire ses bouquins.

      Ça m’a fait penser à certaines choses dont parle Tobie Nathan ("le représentant le plus connu de l’#ethnopsychiatrie en France" http://fr.wikipedia.org/wiki/Tobie_Nathan).

      Après, je n’ai lu de lui que 2 romans , il y a longtemps (Dieu-Dope et Saraka Bô, qui m’ont assez plu).
      Jeanne Favret-Saada et lui doivent sûrement se connaître, je me demande bien quelles sont leurs positions respectives ^^

  • « Être fort assez »
    http://jefklak.org/?p=2001

    En 1969, après avoir enseigné à l’université d’Alger puis de Nanterre, Jeanne Favret-Saada s’installe dans le bocage mayennais pour commencer une enquête de plusieurs années sur la sorcellerie. Loin de se satisfaire d’une posture d’observatrice, et plutôt que d’imaginer, à distance, le fonctionnement du système sorcellaire, elle accepte d’en « occuper » une place, de se laisser affecter, de perdre une certaine maîtrise sur son devenir. Au-delà d’un apprentissage « pour sa vie », Jeanne Favret-Saada tire de cette expérience une analyse inédite du système des sorts et des rôles de chacun.e dans cette entreprise de conjuration du malheur. Trois ouvrages, devenus classiques en sciences sociales, sont nés de ce travail : Les mots, la mort, les sorts (1977), Corps pour corps, enquête sur la sorcellerie dans (...)