Décortiquer la crise démocratique | Mediapart

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    Voir l’intégration européenne comme une source externe de la dé-démocratisation nationale serait une erreur. Depuis les années 1980, les traités successifs n’ont pas cherché à reproduire une démocratie conventionnelle en fait déjà dégradée, mais plutôt à prolonger et garantir la soustraction des élites dirigeantes aux mécanismes d’autorisation et de sanction populaires. De ce point de vue, l’UE actuelle serait à lire comme le résultat de la mutation des régimes représentatifs ouest-européens, et non pas comme une excroissance malheureuse dont la disparition ferait revenir un âge d’or disparu de la démocratie.

    C’est notamment ce qu’a théorisé le chercheur britannique Christopher Bickerton, dans un ouvrage publié en 2013 et intitulé European Integration : From Nation-States to Member States. Seuls le bouleversement de l’économie politique de nos sociétés depuis les années 1970, et par conséquent un changement du type d’État qui nous gouverne, peuvent selon lui expliquer les deux paradoxes de l’intégration européenne : (1) le fait que les exécutifs nationaux restent centraux dans une construction qui apparaît pourtant extérieure à l’échelon national, et (2) leur interaction plutôt consensuelle et technique dans cette arène communautaire, à rebours de l’adversité politique qu’ils semblent assumer dans l’arène nationale.

    Pour Bickerton, ces paradoxes s’éclairent si l’on comprend que la division passe entre les exécutifs nationaux intégrés aux institutions européennes d’un côté, et leurs populations nationales de l’autre. Selon cette grille de lecture, l’intégration européenne est l’histoire d’une transformation de la forme d’État prévalant en Europe. À l’État-nation fondé sur la souveraineté populaire, et qui tentait d’organiser des obligations réciproques entre représentants et représentés, aurait ainsi succédé l’« État membre », qui résout le conflit gouvernants/gouvernés en préservant les premiers de la pression populaire.

    L’actuel isolement européen du gouvernement Tsipras, qui prétend échapper à cette évolution, se comprend d’autant mieux sous cet angle. Alors que Syriza se refuse à franchir certaines lignes rouges orthogonales au mandat populaire reçu des Grecs, des exécutifs communautaires et nationaux lui intiment désormais explicitement de tourner le dos à son programme.

    Bickerton rapproche cette nouvelle forme d’État des différentes phases du capitalisme. Les États modernes du second après-guerre, usant des techniques keynésiennes et de compromis institutionnalisés entre différents corps intermédiaires, correspondaient à la configuration fordiste du capitalisme. Les États membres de la fin du XXe siècle sont, eux, contemporains d’une configuration néolibérale de ce dernier. Creusant une tranchée entre la société et ses dirigeants plutôt que de les relier, ils ont restreint d’eux-mêmes le champ des possibles des politiques économiques, en garantissant leur exposition aux verdicts de la finance de marché et en s’interdisant le maniement direct de l’outil monétaire.

    #démocratie #représentation #capitalisme