• http://www.desordre.net/musique/guionnet.mp3

    J – 98 : Les deux rêves étranges de cette nuit. Le premier, celui qui me réveille en sursaut au milieu de la nuit, un ancien ami avec lequel je suis très fâché désormais, sans doute de façon irréconciliable, me rend visite et me souffle de cette drogue dont Madeleine m’a parlé récemment, le souffle du dragon , qui annihile temporairement le jugement et permet d’obtenir de celui auquel on souffle cette poudre au nez tout ce que l’on ne pourrait pas obtenir de lui de son plein gré, tel le code de la carte bancaire, son mot de passe ftp, ou je ne sais quelle faveur sexuelle bien entendu, dans le cas présent, mon agresseur veut m’emmener dans le garage pour comprendre comment je travaille en ce moment — depuis quelques temps, deux ou trois ans, plus vraiment moyen de savoir sur quoi je travaille, il y a bien eu le Jour des Innocents et Février qui laissaient penser que je n’avais entièrement abandonné mes efforts, mais lui sentait bien que je devais travailler sur autre chose encore et il veut savoir, il veut tout savoir, il veut connaître les scripts que j’utilise, au fond de moi j’ai envie de lui répondre que tout est plus ou moins en ligne et que la plupart du temps il suffit d’afficher le code pas très compliqué des pages du Désordre , je ne fais rien de tout cela, je ne suis pas maître de moi-même, je réponds au contraire à toutes ses questions, il veut connaître les URL des projets en cours, je voudrais lui répondre d’aller se faire enculer et au contraire j’annone les URL en questions que je vois partir quasiment instantanément sur des réseaux sociaux que je vomis habituellement, c’est une torture extraordinaire, étouffante, tout en mon être refuse de répondre et je réponds, je dis tout, je dévoile tout.

    Lorsque je me réveille, je suis à bout de souffle, pourtant non, mon respirateur est sur son rythme nocturne de 14-6 — je ne connais pas l’unité de mesure et quand bien même je ne saurais pas à quoi cela correspond — et l’air que j’expire s’en va bien par la petite valve. Autour de moi les ombres de mes rayonnages, des tableaux au mur et des ailerons de requin finissent par m’apaiser, mais je peine tout de même à retrouver le sommeil. J’y parviens malgré tout semble-t-il puisque je suis visité par un tout autre rêve.

    Je rends visite à mon ami Jean-Luc Guionnet, qui, dans mon rêve, pas dans la réalité, habite un immense atelier parisien qui donne sur un jardin dans lequel deux très grands arbres ont été transformés en sculptures monumentales par Jean-Luc, ce garçon a tous les talents, les deux arbres, l’un un tilleul, l’autre un grand chêne, ont tous les deux été entièrement repeints dans un couleur verte émeraude, à la fois sombre et saturée, même les feuilles qui forment désormais une canopée permanente. Pendant que Jean-Luc prépare un café me laissant tout à la contemplation des deux sculptures, nous sommes rejoints par une petite foule très bigarrée (et fort jeune, un lendemain de fête) un peu dans le goût de la Factory d’Andy Warhol et pareillement peu vêtue mais très maquillée. Mon regard passe des racines découvertes des deux grands arbres en un rhizome extravagant, à la poitrine, dénudée et peinturlurée à la manière des premiers combines de Robert Rauschenberg, d’une jeune femme qui ne semble même pas s’apercevoir de ma présence fort habillée, quand Jean-Luc me tend une tasse de café, Jean-Luc paraît avoir rajeuni, buvant son café, je comprends que toutes ces personnes ont des apparences fort jeunes parce qu’elles sont toutes des artistes prolifiques et qu’elles ne semblent pas remarquer ma présence parce que je suis vieux, ce qui est le signe que je suis devenu une manière d’artiste stérile.

    Ce rêve serait un peu vexant, n’était-ce la très grande beauté de ces deux grandes sculptures d’arbres.

    #qui_ca

  • J – 122 : Je reçois dans l’après-midi les épreuves d’Une Fuite en Égypte . En premier lieu c’est un soulagement la maquettiste a trouvé le bon équilibre, dont je me demandais même s’il existait, de lisibilité de ce texte qui n’est constitué que d’un seul paragraphe, en fait, d’une seule phrase si l’on y pense bien, ou d’une multitude de segment de phrases inabouties et mises bout à bout.

    Et puis c’est une surprise, celle de découvrir ce que mon amie Alice appelait le travail de dentelière dans les corrections. Cette attention au détail, au moindre détail. Et les questions que pose justement à la fois une telle attention et ce que cela révèle de mes approximations ou de mes erreurs.

    Les doubles négatives par exemple. Mon écueil par excellence. À tel point qu’il arrive fréquemment que lorsqu’on lit une de mes doubles négatives, on peut raisonnablement se demander si c’est bien ce qui est écrit que j’ai voulu dire. Ce qui m’afflige c’est de constater à quel point j’y ai recours quand je n’ose pas tout à fait dire ce que je pense finalement. Et qu’à force de ne pas vouloir dire exactement ce que je pense, je finis par dire le contraire de ce que je pense. En fait je suis saisi par cette idée que ce qui est un défaut incurable chez moi dans la vie de tous les jours, à savoir une forme paralysante d’indécision, se retrouve, à ma plus grande surprise, dans la façon dont j’écris une fiction dans laquelle j’aurais pourtant cru que tout était possible, puisque n’est-ce pas là la grande force de la fiction ? Et dire que je pensais que la fiction était la voie de l’émancipation, il semble qu’il y ait encore du travail.

    En tout cas, ce que je perçois de prime abord c’est que le travail réalisé par la correctrice est un travail fondamental sur la langue, d’une part, mais aussi sur la logique. Ainsi dans le récit, j’imagine le futur des deux enfants et comment ils repenseront à leur enfance, plus tard, et je ne me rends pas compte que la manière dont je continue de les décrire dans ce futur, si proche soit-il, est identique à celle qui est la mienne depuis le début du récit, or ils ont grandi et un simple emploi du présent au lieu du futur fait que les personnages des enfants se cognent la tête contre une toise invisible. Une fois que la chose est signalée, elle apparaît lumineuse, éclairée, soulignée mais je me demande bien quelle peut être l’immense force de la correctrice pour repérer un tel détail dans la masse de graviers des deux cents pages de monobloc ? Bref je suis impressionné, d’autant que désormais, nous avons été quelques-uns à avoir relu ce texte, lui avoir découvert ici une coquille insignifiante, là un espace manquant avant un point-virgule, ici encore une imprécision dans l’emploi des temps et là encore une hypallage discrète. Les antennes de la correctrices sont d’une sensibilité de puce chauve.

    Pour bien me donner toutes les chances de recul nécessaire dans ma propre relecture de ces propositions de corrections, je fais le travail en deux temps, deux couches successives que j’espace d’une séance de cinéma avec les enfants.

    Cigarettes et chocolat chaud de Sophie Reine. On rit beaucoup avec les enfants, d’autant que ce n’est pas difficile de rire de surcroît au familier des scènes de ce père élevant seul ses enfants, s’y prenant pas toujours au mieux, souvent dépassé, mais toujours bienveillant et fatigué du matin jusqu’au soir, et nous devons être très indisciplinés envers les autres spectateurs de ce film à force de se chuchoter quelques références personnelles qui nous viennent à l’esprit, ainsi le goûter dans le supermarché pour ne pas avoir à payer les croissants nous fait un peu penser aux DVD qui parfois se coincent contre les packs de lait au moment du passage en caisse — mon combat contre les majors et autres lobbyistes de la loi HADOPI est un combat minuscule, mais je suis tenace — ou encore la critique fort sévère par le père d’un spectacle improvisée par ses deux filles nous fait immanquablement penser à un inextinguible fou rire qui avait gâché un spectacle préparé avec beaucoup de cœur par Madeleine et que ce fou rire avait entièrement gâché, on en rit aujourd’hui, mais cela ne faisait pas du tout rire Madeleine ce jour-là.

    A la moitié du film je réalise avec retard que le thème même du film est très proche de celui d’Une fuite en Égypte dont j’ai laissé les épreuves en plan dans le garage, celui d’un veuf dépassé par les événements et qui doit élever deux enfants et j’ai la gorge serrée de panique. On va s’en rendre compte. La critique va m’éreinter, J’entends déjà les phrases perfides d’Éric Chevillard dans le Monde suggérant, plein de fiel, qu’Une fuite en Égypte est le plagiat éhonté d’un film populaire, et pendant que toute la salle rit de bon cœur, mes enfants n’étant pas les derniers, je pense au sourire goguenard et mauvais d’Éric Chevillard qui me démollit . Je tente de recoller, mais en vain, au film, Adèle à mes côtés vibre de plaisir, le rire sonore de Nathan emplit la salle, mais mon rire à moi est désormais étouffé par l’angoisse et le sentiment d’imposture réglé à son niveau maximum. Je pense à mon éditeur — j’aimais bien dire mon éditeur —, désœuvré pendant la trêve qui se laisse convaincre par sa compagne ou quelques amis de cette sortie au cinéma, voir ce qu’il est convenu d’appeler un feel good movie , lui-même est en train de voir ce film en ce moment même, non, il l’a vu lors de la séance précédente et nul doute, quand je vais descendre dans le garage, tout à l’heure, en sortant du cinéma, je trouverai un mail de lui m’indiquant qu’il vient de voir Cigarettes et chocolat chaud de Sophie Reine et qu’il réalise que je lui ai refourgué un épouvantable plagiat, la contrat est annulé, c’est fini.

    En sortant du cinéma, les enfants me trouvent un peu chose et s’étonnent de me voir descendre dans le garage à toutes jambes pour constater que non mon éditeur n’est pas encore allé voir Cigarettes et chocolat chaud de Sophie Reine, et contrairement à ce que je pensais, m’envoie au contraire un mail plein de conseils prévenants (et fort utiles) sur la manière de s’y prendre avec les épreuves et des encouragements (fort inutiles tant je prends un pied pas possible à y travailler) pour ce dernier coup de collier. Je lui réponds en lui donnant quelques recommandations cinéphiles pour les prochains jours, tu devrais aller voir Premier contact de Denis Villeneuve, un peu plus et j’irai même jusqu’à la pousser à aller voir aussi Passengers pour faire contrepoids à Premier contact , et que s’il veut je dois avoir le DVD d’ Enemy , de Denis Villeneuve aussi, que je veux bien lui prêter, bref, tout faire pour qu’il n’aille pas voir les prochains jours Cigarettes et chocolat chaud .

    Je me remets au travail. Vers minuit, Adèle descend dans le garage pour me souhaiter une bonne nuit et selon son expression me demande ce que je bricole, je lui explique le principe des épreuves, le travail de l’excellente correctrice et la belle façon dont elle a composé le texte. Adèle à qui j’ai déjà expliqué le principe de ce texte dont le point-virgule est le seul signe de ponctuation du livre, me demande combien j’ai fait de fautes, je les compte avec elle, vingt-quatre.

    Adèle : tu imagines ce que tu dirais si j’avais fait vingt-quatre fautes dans une seule phrase ?

    Exercice #66 de Henry Carroll : Prenez la photographie d’une publicité où l’image dit tout, sans besoin d’une légende.

    #qui_ca
    #une_fuite_en_egypte

    • C’est que une de mes filles s’appelle aussi Adèle et bien qu’elle n’ai que 7 ans, elle est déjà capable de voir où sont mes fautes d’orthographe (en norvégien s’entend). Tu me diras, avec moi c’est pas très difficile tant elle sont nombreuses :)

    • @aude_v Mon Adèle à moi (c’est à peine possessif) a également douze ans. Un volcan de créativité à l’état pur, c’en est même fatigant parfois (souvent).

      Ça doit faire drôle, d’avoir un enfant qui ne parle pas sa langue maternelle à soi.

      Tu as aussi ça doit faire drôle d’avoir un enfant qui ne comprend pas toujours très bien ce que tu lui dis. Et oui, c’est drôle. Fatigant mais généralement assez drôle. Des fois c’est comme s’il te répondait en norvégien mais ni lui ni toi ne le parlez.

    • En fait chez nous, c’est babel... Et c’est plutôt très gai au contraire. Nos enfants ont aussi très dynamiques et extrêmement créatifs (les trois) ce qui explique largement qu’on s’écroule raide carbonisé sur le sofa dès 20:30 après le coucher.

      Sinon pour la langue, on pratique un joyeux mélange de Norvégien (langue de base primaire), de français et de letton (langues rapportées secondaires) auxquelles s’ajoute l’anglais (langue tertiaire utilisées pour les message secrets puisque les enfants ne la comprenne théoriquement pas — je dis théoriquement parce qu’en réalité je suis convaincu qu’ils comprenne), et enfin au gré des visites, toute une série de langue quaternaires qui passent par l’arabe, le russe, le tchoukche, le same, l’italien et l’allemand.

      Nous nous rendons compte que cette ouverture sur les langues, c’est une vraie ouverture sur le monde. Ils mélangent encore un peu tout, mais je reste convaincu qu la maitrise de plusieurs langues et la connaissance de plusieurs cultures est une grande richesse, un atout génial pour leur futur.

      Mais oui, c’est (très) fatigant :)

  • Trois mises à jour dans le Désordre dans la même semaine, on se croirait au début des années 2000.

    http://www.desordre.net/photographie/numerique/quotidien/2014/index.htm

    Tous les jours , une chronique photographique de l’année précédente, une image chaque jour.

    http://www.desordre.net/bloc/vie/reprise/2015/01/index.htm

    La vie , autre chronique photographique du quotidien, ici c’est le mois de janvier qui crée son avalanche d’images.

    http://www.desordre.net/bloc/ursula/2015/index.htm

    Le journal de Février

    Du 121 au 151 Février, j’ai rêvé que j’étais une buse, une simple buse au-dessus de la vallée de la Cèze, j’ai chanté pour moi une vieille chanson de Crosby Stills and Nash, j’ai bouclé juste à l’heure, je ne fais pas aussi bien cette fois-ci, d’aucuns trouveront cela rassurant, j’ai fait de la compote de rhubarbe, j’ai joué avec les noms de mes fichiers, pendant que je fais cela au moins je ne fais pas de bêtises, j’ai retrouvé sur un canapé dans une devanture de magasin de meubles à Suresnes le motif décoratif de mes couvre-cahiers des années septante, ce genre d’occurrences me donne de plus en plus souvent l’envie de commencer à mettre de l’ordre dans mon plat de spaghetti , j’ai mangé des agrumes dans les Cévennes, plutôt que des pêches et d’autres fruits rouges, j’ai réussi à photographier quelque chose d’à peine visible, un voile de brume verdâtre sur la vallée de la Cèze, j’ai lu Chez soi de Mona Chollet dans lequel, insigne fierté, j’ai trouvé des bouts de Contre, j’ai connu mon quart d’heure warholien, je me suis interrogé, pour une fois sans m’impatienter à propos de l’utilisation des fameuses quatre photographies des Sonderkommandos à Birkenau à l’exposition de Jérôme Zonder à la Maison rouge, c’est quand même mieux quand je ne m’énerve pas, j’ai utilisé un livre de Pier Paolo Pasolini comme trépied et je m’y suis repris à cinq fois pour faire une image plutôt médiocre, en tout cas très éloignée de ce que je voulais faire, de ce que rêvais de faire, j’ai fait une partie de Patatras avec les filles et je suis parti en Chine, en Chine alémanique.

    #shameless_autopromo et toutes ces sortes de choses