A Vintimille, les contrôles illégaux de la police française

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  • A Vintimille, les contrôles illégaux de la police française

    16 juin 2015 | Par Louise Fessard sur Mediapart

    http://www.mediapart.fr/journal/france/160615/vintimille-les-controles-illegaux-de-la-police-francaise?onglet=full

    Extraits :

    Contrôles au faciès, 24 h/24, hors « événement ponctuel »... : malgré les dénégations de Bernard Cazeneuve, la France bloque bel et bien la frontière franco-italienne avec des méthodes contraires au droit européen ou national. Vintimille est devenu un cul-de-sac pour des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, dépassés par le bras de fer engagé entre le premier ministre Manuel Valls et son homologue italien Matteo Renzi.

    Vintimille, envoyée spéciale. - Pour les immigrés africains bloqués à Vintimille, l’Europe s’arrête à Menton-Garavan (Alpes-Maritimes). À un kilomètre de la frontière italienne, au premier arrêt du train Vintimille-Nice, la police française fait systématiquement descendre les passagers sans titre de séjour pour les ramener en Italie. « Tous les jours, la police aux frontières monte, explique un agent SNCF. L’arrêt à Menton-Garavan dure exprès six minutes au lieu de trois, c’est prévu pour. Ils ne contrôlent pas tous les passagers, seulement ceux qui ressemblent à des migrants. Parfois, ils les font descendre, puis contrôlent après sur le quai, sinon ça prendrait trop de temps. »
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    « Fraj », un jeune Tunisien de 30 ans, qui travaille à Milan, prend le train deux à trois fois par mois pour aller voir sa famille à Nice. Il a une carte de séjour italienne. « Chaque fois, c’est pareil, je suis contrôlé, dit-il. Les policiers ne contrôlent que les cheveux noirs. » « Les contrôles se font au faciès, c’est ultradiscriminatoire et très clairement contraire au droit européen », estime Serge Slama, maître de conférences en droit public, à l’université Paris Ouest-Nanterre. Laurent Laubry, délégué départemental du syndicat Alliance police pour les Alpes-Maritimes, ne dément pas : « Expliquez-moi comment techniquement les policiers peuvent contrôler tous les passagers d’un train lors d’un arrêt en gare de trois minutes, à moins de bloquer le train ? Généralement, les gens de peau blanche ne viennent pas d’Afrique. »

    Comme en 2011, la France bloque de fait depuis jeudi 11 juin 2015 la frontière italienne à Vintimille. Celle-ci s’est transformée en un cul-de-sac pour des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants, dépassés par le bras de fer engagé entre le premier ministre socialiste Manuel Valls et son homologue italien Matteo Renzi. Les autorités italiennes dénoncent la violation par la France de la convention de Schengen qui interdit, sauf événement exceptionnel, les contrôles systématiques aux frontières intérieures. « Le problème, c’est la police française qui a fermé les frontières, alors que ces personnes veulent seulement passer pour rejoindre des proches en Angleterre, en Belgique ou en Allemagne, souligne la commissaire Sonia Borella, de la police municipale de Vintimille. Ça attire des passeurs : minimum 50 euros pour rejoindre Menton à pied. »
    La semaine dernière, 1 439 migrants illégaux ont été interpellés par les forces de l’ordre françaises dans les Alpes-Maritimes, et, parmi eux, 1 097 renvoyés en Italie, a indiqué le 12 juin Adolphe Colrat, le préfet des Alpes-Maritimes. Depuis le début de l’année, ce sont 6 000 personnes qui ont été contrôlées et réadmises en Italie. « Les consignes sont de contrôler tous les trains venant d’Italie, les gares entre Menton et Cannes, plus des contrôles routiers sur des points fixes et aléatoires "H24" », explique Laurent Laubry.
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    Face à l’ancien poste-frontière du pont Saint-Ludovic, plus d’une centaine de migrants ont passé lundi 15 juin leur quatrième voire cinquième nuit sur les rochers italiens. Il s’agit surtout de jeunes hommes venus d’Érythrée, de Somalie et du Soudan qui affirment vouloir s’installer au Royaume-Uni, en Allemagne ou aux Pays-Bas. Mustapha, 20 ans, qui fuit un Soudan en guerre, tente désespérément de rejoindre la Suède, où l’a précédé sa « fiancée », une Tunisienne de 19 ans qu’il a rencontrée en Libye.
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    Maillot de supporter du club d’Amsterdam sur les épaules, Mustapha raconte avoir tenté trois jours de suite, « quatre fois par jour », de prendre le train pour Nice. À chaque fois, les policiers français l’ont ramené à la frontière et il a parcouru à pied la dizaine de kilomètres le séparant de la gare de Vintimille. « J’ai dépensé près de 120 euros en billets de train, maintenant j’ai épuisé tout mon argent, dit-il. Les gens sont désespérés. C’est l’Italie contre la France, l’Allemagne contre l’Italie, c’est un problème européen. » Mais ce n’est pas la police française qui arrêtera ce jeune homme, qui a parcouru le désert pour 300 dollars, passé huit mois en Libye, dont deux et demi en prison, et payé près de 1 500 dollars pour traverser la Méditerranée.

    « Nous savons très bien que malgré les contrôles, ils vont retenter dans les trains, à pied sur les rails, par le bord de mer ou l’arrière-pays, reconnaît Laurent Laubry. Certains sont interpellés quatre ou cinq fois, parfois dans la même journée. Ça fait un an que ça dure, avec un pic traditionnel entre avril et octobre, une décision politique européenne devient nécessaire ! » Le syndicaliste policier souligne combien la situation est « physiquement et humainement compliquée pour les collègues qui doivent appliquer les lois, mais font face quotidiennement à la détresse humaine ».

    Mohamed, 22 ans, lui aussi soudanais, s’est quant à lui fait refouler à trois reprises, dont une fois à la gare SNCF de Nice. Juste après avoir payé 107 euros son billet de train Nice-Paris… Il explique – dans un français fluide – vouloir rejoindre ses trois frères « déjà en Allemagne ». Il ne sait pas où précisément mais se renseignera, arrivé là-bas. Comme plusieurs réfugiés, il raconte que des migrants auraient été ramenés en car depuis Paris à la frontière ce week-end. « J’en connais trois, ils sont revenus hier », assure Mohamed.

    Sami Boubakri, 34 ans, qui se présente comme l’imam de la mosquée du quartier Bon-Voyage à Nice, a été témoin d’une scène similaire la veille au soir. « La police laisse les gens à l’extérieur de la gare de Nice tranquilles, mais dès qu’ils prennent leur billet, ils les arrêtent », dit-il. Avec son association culturelle et cultuelle « Fraternité et savoir », Sami Boubakri distribue « depuis trois mois » des repas chauds aux migrants à Nice, Menton et à la frontière franco-italienne.

    Depuis dimanche soir, les bénévoles n’ont plus accès directement aux migrants, parqués le long de la grève derrière des barrières, « comme au zoo », lance Mustapha. Seuls les quelque 85 membres de la Croix-Rouge italienne, épaulés depuis dimanche par leurs collègues français, peuvent les franchir pour distribuer repas et soins. Les caméras des chaînes de télévision italiennes, qui ont installé leurs camions satellitaires à côté, retransmettent la crise en direct. « On vit ici 24 heures sur 24, dit Fiammetta Cogliolo, une des responsables de la Croce Rossa. En 2011, durant la guerre en Libye, les autorités italiennes avaient ouvert un centre d’accueil à Vintimille, mais cela ne semble pas à l’ordre du jour aujourd’hui. »
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    Sur une terrasse face à la gare, un groupe d’habitantes de Vintimille prend le café en maudissant le gouvernement français. À la main, le dernier numéro de La Stampa dont l’éditorial ne fait pas dans la dentelle à l’égard de Manuel Valls : « Madame Le Pen est déjà idéalement assise à Matignon, siège du premier ministre, en attente d’escalader l’Élysée. Mais entre-temps son agenda gouverne la France. » Comme beaucoup d’Italiens, elles ressentent comme une profonde injustice le refus du voisin français de prendre sa part de réfugiés. « Vous avez vu les enfants ici ?, s’exclame Anna, la soixantaine. Les Français devraient mettre une main sur leur conscience, ils n’ont pas de cœur ! » Malgré leur âge, ces dames font des ménages sur la côte pour pallier leur faible retraite. La veille, « dans le train de 8 h 53 pour Monaco », Maria, 69 ans, a vu « huit policiers faire descendre un jeune Noir à Menton ». « On voit ça tous les matins, sans pouvoir rien faire », se lamente-t-elle. La menace d’un plan B, agitée par Matteo Renzi face à l’inertie européenne, n’est pas pour leur déplaire. « On devrait, nous, leur faire des papiers pour qu’ils circulent partout », lance Filomena, une troisième comparse, en riant.

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    Mais le code des frontières de la convention Schengen prévoit que les vérifications aux frontières intérieures des pays membres soient « conçues et exécutées d’une manière clairement distincte des vérifications systématiques des personnes effectuées aux frontières extérieures ». Les mesures policières doivent donc être réalisées « à l’improviste ». Ce qui n’est clairement pas le cas. Dans La Stampa de lundi, la police aux frontières italienne s’agaçait : « Le contrôle 24 heures sur 24 par jour viole les articles 20 et 21 du code des frontières de Schengen. Les vérifications doivent être effectuées par échantillonnage […] alors que nous assistons au contraire à une surveillance constante. »

    « En théorie, il n’y a plus de frontière entre la France et l’Italie, rappelle Gérard Sadik, coordinateur asile à l’association la Cimade. Là, les autorités françaises l’ont rétablie, ce qui n’est pas possible, à moins de le notifier à la Commission européenne. »