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  • Coronavirus : la troublante surmortalité des minorités ethniques au Royaume-Uni
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/29/coronavirus-la-troublante-surmortalite-des-minorites-ethniques-au-royaume-un

    Le Covid-19 a bien davantage tué dans les zones les plus pauvres du pays et chez les « BAME » (« Black, Asian and Minority Ethnic »), populations fournissant de gros contingents de travailleurs essentiels, en première ligne pour maintenir l’activité, que dans les quartiers chics et blancs de la capitale. Le 7 mai, l’ONS publiait ainsi des données portant sur les morts en Angleterre et au Pays de Galles entre le 2 mars et le 10 avril. Il en ressortait que, pour une même classe d’âge et un même environnement socio-économique, les hommes et femmes noirs ont encore 1,9 fois plus de risques de mourir du Covid-19 que les Blancs. Le facteur de risque est de 1,8 pour les hommes d’origine bangladaise et pakistanaise, et de 1,6 pour les femmes de ces mêmes origines.
    Un constat corroboré par les résultats du projet Opensafely, se basant sur les données médicales de 17 millions de personnes résidant au Royaume-Uni (dont 5 683 sont décédées du Covid-19 dans des hôpitaux entre le 1er février et le 25 avril). Une fois écartés les facteurs de risque tels que l’âge, les maladies cardio-vasculaires, le diabète ou l’obésité, les personnes noires et d’origine asiatique ont encore 60 % à 70 % de risques de mourir en plus que les Blancs.

    #Covid-19#migrant#migration#GrandeBretagne#diaspora#ethnie#surmortalité#statistiques#données-médicales#santé#facteur-de-risque

  • Le coronavirus et l’avènement de la diplomatie carnivore - Le Monde

    La Chine, la Russie ou la Turquie partagent les mêmes méthodes agressives dans leurs relations extérieures, basées notamment sur la désinformation.

    Le 21 avril, le ministère des affaires étrangères, à Ankara, a publié un communiqué violent après l’entretien accordé au Monde par Jean-Yves Le Drian. Le chef de la diplomatie français y rappelait les engagements militaires turcs, contradictoires avec son statut de membre de l’OTAN. En retour, Ankara l’a accusé de tenter de « dissimuler la situation désespérée dans laquelle se trouve la France ». Les médias proturcs, eux, ont relayé des articles apocalyptiques sur les banlieues françaises, qui brûleraient tels des fétus de paille. Le même jour, Emmanuel Macron et Recep Tayyip Erdogan s’entretenaient, dans un esprit plus apaisé. Dans ce monde où l’on ne peut plus entièrement compter sur personne, il ne faut rompre avec aucune puissance. Les provocations et les tensions deviennent ainsi une pollution avec laquelle il convient d’apprendre à vivre, en restant digne si possible.

    #Covid-19#Turquie#Politique#Democratie#Diplomatie_internationale#Pandémie#migrant#migration

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/12/le-coronavirus-et-l-avenement-de-la-diplomatie-carnivore_6039376_3232.html

  • Mondialisation et souveraineté économique

    Un débat qui fait fureur entre bisounours et « realos »…

    – « Il faut réenraciner l’économie dans nos territoires »

    Pour Elisabeth Laville et Arnaud Florentin, spécialistes du développement durable des territoires, produire sur place ce que nous consommons n’est pas un « repli sur soi », mais une rupture avec un modèle productif devenu absurde.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/01/11/il-faut-reenraciner-l-economie-dans-nos-territoires_5060938_3232.html

    – « La crise sanitaire nous invite à nous interroger sur la capacité de nos systèmes de production à faire face aux aléas »

    Les experts du développement des territoires Arnaud Florentin et Elisabeth Laville proposent, dans une tribune au « Monde », de classer pays et régions en fonction de leur degré de « résilience productive », c’est-à-dire de leur capacité à surmonter l’interruption des chaînes logistiques qui les relient à l’extérieur.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/22/la-crise-sanitaire-nous-invite-a-nous-interroger-sur-la-capacite-de-nos-syst

    – « Relocaliser ? Oui, mais surtout développer l’industrie du futur »

    Relocaliser : le mot d’ordre n’est pas propre à la France. Tout se passe comme si le monde réalisait brutalement les limites et les excès d’une globalisation qui a pourtant tiré la croissance durant des décennies et sorti de la misère une partie importante de la population de la planète. Les Français, qui depuis longtemps se singularisent par leur perception particulièrement négative de la mondialisation, ne sont pas les derniers dans ce grand appel à la relocalisation. Neuf Français sur dix, parmi ceux interrogés dans un sondage d’avril 2020, souhaitent que l’État favorise la relocalisation des entreprises industrielles sur le sol national, y compris si cela doit se traduire par une augmentation des prix[1].

    (…)

    L’heure est-elle venue, dès lors, de dire un adieu définitif au « made in monde » pour revenir au « made in Europe » ou au « made in France » ? Ma réponse est en trois points.
    Oui, il est temps de repenser des stratégies de développement qui redonnent une place importante aux usines ; non, la relocalisation visant une forme d’autarcie n’est ni possible ni souhaitable ; de toutes façons, la globalisation n’est plus ce qu’elle était, de nouveaux modèles très différents sont en gestation.

    (…)

    https://www.telos-eu.com/fr/relocaliser-oui-mais-surtout-developper-lindustrie.html

    • Le marché officiel des masques est lui aussi pourvoyeur d’erzats frelatés. Les discours qui affirment que les masques réutilisables filtrent peu ou rien confortent le n’importe quoi du business (vendre, peu importe la valeur d’usage) et d’un simulacre d’attention aux besoins des institutions (villes, départements régions). On a choisi de s’en tenir à des masques qui protègent « les autres » (le masque chirurgical pour étalon) alors que bien conçus les performances de masques en tissu (choisis pour leur filiation) approchent ceux des FFP2 (protection du porteur et des autres).
      Combien de temps, et quels acteurs pour qu’émerge une culture (outillée !) de prévention des risques ?

  • « En banlieue, “restez chez vous” est un slogan qui n’a pas de sens
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/09/brigitte-giraud-en-banlieue-restez-chez-vous-est-un-slogan-qui-n-a-pas-de-se

    Pour l’écrivaine Brigitte Giraud, qui a grandi dans une « ZUP » près de Lyon, être confiné « à la maison » ne vaut que si l’on peut parler d’un « chez-soi ». Car, explique-t-elle dans une tribune au « Monde », dans ce que l’on nomme les « cités », l’extérieur est devenu l’extension naturelle de l’habitat.

  • Didier Fassin : « Avec le coronavirus, notre vision du monde s’est rétrécie comme jamais »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/24/didier-fassin-avec-le-coronavirus-notre-vision-du-monde-s-est-retrecie-comme

    On pourrait aussi évoquer les étrangers sans titre de séjour, voire les demandeurs d’asile, qu’on enferme dans des centres ou des camps sur les territoires nationaux ou dans des no man’s lands aux frontières. Les conditions d’entassement et d’insalubrité de ces sites rendent leurs occupants particulièrement vulnérables aux infections. Là encore, certains pays ont réduit le nombre de ces confinés de force dont le seul délit est de n’avoir pas de papiers, ou simplement d’attendre une décision concernant leur statut, mais sans aller jusqu’à fermer temporairement ces lieux dangereux.Qu’on ne considère pas indispensable de préserver ces vies montre qu’elles sont de moindre valeur. Il en est de même de celles des travailleurs migrants, dont beaucoup ont dû assurer sans protection des fonctions vitales pendant le confinement, et parmi lesquels certains, sans papiers, craignent de se faire tester ou soigner et ne peuvent pas compter sur un geste de reconnaissance des gouvernants.

    #Covid-19#migrant#migration#politique-santé#étrangers#travailleurs-migrants#santé#confinement#DidierFasssin

  • Dominique Méda : « Les plus forts taux de surmortalité concernent les “travailleurs essentiels” »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/23/dominique-meda-les-plus-forts-taux-de-surmortalite-concernent-les-travailleu

    En revanche, l’équivalent britannique de l’Insee, l’Office for National Statistics (ONS), a exploité les données de mortalité par le Covid-19 (« Coronavirus (Covid-19) Roundup ») sous l’angle socioprofessionnel. L’une de ses études analyse les 2 494 décès impliquant le coronavirus intervenus entre le 9 mars et le 20 avril dans la population en âge de travailler (20-64 ans) en Angleterre et au Pays de Galles. La profession étant indiquée sur le certificat de décès, on peut comparer la composition socioprofessionnelle des personnes décédées du Covid-19 à celle de l’ensemble des personnes décédées du même âge et du même sexe.

    Les plus forts taux de surmortalité concernent en premier lieu les travailleurs des métiers du soin à la personne (hors travailleurs de la santé, car les médecins et infirmières n’ont pas enregistré de surmortalité), suivis des chauffeurs de taxi et d’autobus, des chefs cuisiniers et des assistants de vente et de détail ; autrement dit, ceux que l’ONS décrits comme les « key workers », les « travailleurs essentiels ». L’ONS a aussi montré la plus forte probabilité pour les non-Blancs de décéder du coronavirus, en partie explicable par des facteurs socio-économiques.

    L’étude :
    https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/healthandsocialcare/conditionsanddiseases/articles/coronaviruscovid19roundup/2020-03-26

  • « Avec le coronavirus, notre vision du monde s’est rétrécie comme jamais » - Didier Fassin
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/24/didier-fassin-avec-le-coronavirus-notre-vision-du-monde-s-est-retrecie-comme

    Alors que la crise sanitaire est un phénomène qui touche l’ensemble de la planète, l’anthropologue pointe, dans un entretien au « Monde », la myopie des médias et des politiques qui ont focalisé leur attention sur notre relation à la pandémie.

    Anthropologue, sociologue et médecin, Didier Fassin est professeur à l’Institut d’étude avancée de Princeton et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il est titulaire de la chaire annuelle de santé publique au Collège de France. Ses recherches ont été conduites dans plusieurs pays, notamment en Equateur sur la mortalité maternelle, en Afrique du Sud sur le sida, récemment aux Etats-Unis et en France sur la police, la justice et la prison. Récipiendaire en 2016 de la médaille d’or de l’anthropologie à l’Académie royale des sciences de Suède, il a été, en 2018, le premier chercheur en sciences sociales à recevoir la Nomis Distinguished Scientist Award.
    Ancien vice-président de Médecins sans frontières, il préside aujourd’hui le Comité pour la santé des exilés (Comede). Il a codirigé l’ouvrage Santé publique. L’Etat des savoirs, à La Découverte, et il est aussil’auteur, aux éditions du Seuil, de La Vie. Mode d’emploi critique (2018) et de Mort d’un voyageur. Une contre-enquête (2020).

    La plupart des gouvernements du monde ont choisi de mettre en œuvre des mesures draconiennes sans précédent pour éviter la progression de l’infection. Quel sens donner à ce choix ?

    Il faut noter que les mesures ont été d’autant plus draconiennes que les pouvoirs publics n’étaient pas préparés et que leurs réponses ont été tardives. On a alors fait rattraper aux citoyens le temps perdu par leurs gouvernants, et on a remplacé la prévention défaillante par une forme de police sanitaire avec un confinement rigoureusement contrôlé. C’est dans ces pays que l’interruption de l’activité économique et sociale a, en général, été la plus brutale et la plus radicale. Mais même là où l’épidémie a été mieux gérée, il y a eu une cessation de cette activité.

    Le phénomène est sans précédent. Il se paie d’un double sacrifice. Il y a d’abord une suspension partielle, et variable selon les contextes, de l’Etat de droit, qui va bien plus loin que les restrictions à la circulation, puisqu’elle touche l’équilibre entre les pouvoirs, la possibilité de manifester ou même de protester, le simple droit à mourir dans la dignité. Il y a ensuite une crise économique et sociale, qui se traduit par une récession, une montée du chômage, une austérité à venir et un très probable accroissement des inégalités qui vont laisser des traces d’autant plus profondes que les économies étaient fragiles et que l’Etat social était réduit.

    Or ce double sacrifice n’a qu’une raison d’être : sauver des vies, ou ce qui revient au même ici, éviter des morts. C’est une politique humanitaire. Conduite à l’échelle de la planète avec un coût aussi élevé, elle n’a pas d’équivalent dans l’histoire. Elle révèle la valeur supérieure accordée par nos sociétés à la vie, entendue comme vie simplement physique, ou même biologique. Que nous soyons prêts à tant de renoncements, imposés du reste de façon très inégale, devrait questionner.

    Dans « La Vie Mode d’emploi critique », vous vous demandez justement si toutes les vies ont la même valeur. Est-ce le cas dans le contexte présent ?

    Il est évident que non. On l’a vu avec la lenteur à réagir et, dans certains pays, l’absence même de réaction par rapport aux populations carcérales qui, dans de nombreuses prisons surpeuplées, se sont trouvées directement exposées au virus, de même que les surveillants qui en étaient souvent les vecteurs. L’empressement à protéger les vies des communs des mortels n’incluait pas les personnes détenues, comme si elles étaient moralement dépréciées, alors même que celles qui étaient les plus à risque, dans les institutions de court séjour comme nos maisons d’arrêt, étaient soit prévenues, donc présumées innocentes dans l’attente de leur jugement, soit condamnées, mais à des peines courtes pour des délits mineurs. Pourtant, il a fallu des mobilisations et des interventions fortes pour vaincre l’immobilisme des administrations et la réticence des politiques, et obtenir, ici ou là, des libérations anticipées, souvent en nombre insuffisant.

    On pourrait aussi évoquer les étrangers sans titre de séjour, voire les demandeurs d’asile, qu’on enferme dans des centres ou des camps sur les territoires nationaux ou dans des no man’s lands aux frontières. Les conditions d’entassement et d’insalubrité de ces sites rendent leurs occupants particulièrement vulnérables aux infections. Là encore, certains pays ont réduit le nombre de ces confinés de force dont le seul délit est de n’avoir pas de papiers, ou simplement d’attendre une décision concernant leur statut, mais sans aller jusqu’à fermer temporairement ces lieux dangereux.

    Qu’on ne considère pas indispensable de préserver ces vies montre qu’elles sont de moindre valeur. Il en est de même de celles des travailleurs migrants, dont beaucoup ont dû assurer sans protection des fonctions vitales pendant le confinement, et parmi lesquels certains, sans papiers, craignent de se faire tester ou soigner et ne peuvent pas compter sur un geste de reconnaissance des gouvernants.

    Les médias et les politiques se sont-ils trop focalisés sur la pandémie ?

    Nous nous sommes collectivement laissés entraîner dans une sorte de maelström présentiste et autocentré. Nous avons vécu au jour le jour l’aventure du coronavirus, nous racontant nos expériences du confinement, nos difficultés à rester à la maison, nos manières de nous occuper, entre amis, sur les chaînes de radio et de télévision, avec des responsables de la santé venant chaque soir nous entonner l’antienne des données épidémiologiques et des mesures à respecter.
    Nous avons eu l’impression, entretenue par les médias et les politiques, que la seule chose digne d’intérêt dans le monde était notre relation à la pandémie. Nous nous sommes donné des héros, les soignants, que nous avons applaudis. Nous avons élevé des statues aux Anthony Fauci, immunologue aux Etats-Unis, ou Anders Tegnell, épidémiologiste en chef de l’Agence de la santé publique suédoise.
    Mais pendant deux mois, nous n’avons pas entendu parler des guerres en Syrie et au Yémen, des famines annoncées en Afghanistan et au Congo, des musulmans réprimés en Inde, des Palestiniens agressés par des colons israéliens en Cisjordanie, des Rohingyas qui se noient dans le golfe du Bengale et des Ouïghours qu’on rééduque en Chine. Même les Africains périssent en Méditerranée, non secourus, à l’abri des regards.

    De ce qui se passe sur la planète ne nous intéresse que ce qui nous parle du coronavirus, c’est-à-dire de nous. Toute l’économie de notre attention est absorbée. C’est là un remarquable paradoxe : au moment où un phénomène global touche l’ensemble de la planète, notre vision du monde s’est rétrécie comme jamais. Nous sommes devenus myopes.

    Cette myopie ne risque-t-elle pas de nous rendre le futur plus flou également, alors que l’on ne cesse d’imaginer « le monde d’après » ?

    On le constate sur un point précis : les conséquences délétères de la crise. Je pense aux vies perdues, c’est-à-dire aux morts, et aux vies gâchées, à cause des faillites d’entreprises, des pertes d’emploi, des expulsions de logement, des marques de la pauvreté. Des études récentes aux Etats-Unis ont montré que la récession de 2008 et 2009 s’était accompagnée d’un recul de l’espérance de vie, en grande partie due à une forte augmentation de la mortalité des adultes entre 25 et 64 ans.

    Dans les années qui viennent, les démographes et les épidémiologistes produiront des statistiques dans différents pays montrant des phénomènes comparables, peut-être plus intenses encore car la récession est plus profonde. Mais nous n’aurons pas le directeur général de la santé égrenant chaque soir les statistiques de l’excès de mortalité par suicide ou accident vasculaire cérébral, et nous n’aurons pas le président de la République déclarant à la télévision que nous sommes en guerre contre les inégalités et qu’il nous faut plus de justice sociale. Ces vies perdues et ces vies gâchées, personne, ou presque, ne les pleurera. Et nous ne verrons pas de statisticien mettre ces vies en regard de celles qu’on pensera avoir épargnées.

    Précisément, que savons-nous de ces vies épargnées ? Que disent les projections ?

    Nous ne savons pas et ne saurons jamais combien de vies ont été épargnées grâce aux mesures prises. Pas plus que nous n’avons et n’aurons jamais l’idée de combien de personnes sont décédées du fait de l’absence de préparation des autorités et de leurs erreurs dans la réponse initiale. La question des prédictions est cependant passionnante parce qu’elle ouvre sur la gestion de l’incertitude.
    Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC), principale institution de santé publique aux Etats-Unis, dénombrent une douzaine de modèles principaux développés dans autant d’institutions de recherche nord-américaines et européennes. Leurs résultats, même à des échéances très courtes, sont extraordinairement différents, variant du simple au quadruple. Dans ces conditions, pour des décideurs et pour celles et ceux qui les conseillent, le choix entre ces modèles est crucial, mais opaque.

    La Maison Blanche s’est surtout appuyée sur l’Institute for Health Metrics and Evaluation, financé par la Fondation Bill and Melinda Gates, qui donnait les projections les plus optimistes (fin mars, il prévoyait 81 000 morts aux Etats-Unis d’ici à juillet). L’Elysée a suivi les avis de son Conseil scientifique qui s’est notamment servi des calculs de l’Imperial College, dont les prédictions étaient les plus sombres (mi-mars, un scénario évoquait jusqu’à 500 000 décès en France en l’absence de mesures).

    Il y aurait ainsi une épistémologie politique à faire pour comprendre la manière dont, dans ce contexte d’incertitude, certains modèles ont été adoptés plutôt que d’autres. Une fois le choix fait, on s’est tenu à une vérité, comme si la croyance devait l’emporter sur le doute scientifique, et cette vérité a servi à justifier les décisions prises : relâchement précoce pour les uns, discipline stricte pour les autres.

    Le débat, en France, n’a-t-il pas été principalement de nature médicale au détriment de la santé publique ?

    Les autorités sanitaires n’ont pas entendu l’avis de pandémie annoncée que leur donnaient depuis plusieurs années les experts. Lorsqu’elles ont réalisé la gravité du problème, elles se sont tournées vers les cliniciens et les biologistes, ce qui se comprend car il y avait urgence à prendre en charge les cas dont le nombre augmentait très vite. Mais pour utiliser un langage sociologique, le cadrage du problème a été médical.

    On a parlé lits de réanimation, on a fait la « une » des médias avec des transferts de malades en train ou avion, on a eu comme nulle part ailleurs un interminable débat sur l’hydroxychloroquine. En revanche, on a négligé le dépistage par les tests, la protection par les masques, l’isolement des malades, la recherche des contacts, et les responsables sanitaires ont même expliqué l’inutilité des tests et des masques, qui sont pourtant désormais nos principales armes de prévention.
    Les outils théoriques et pratiques de la santé publique n’ont guère été mobilisés. Ils avaient d’ailleurs été délaissés depuis plusieurs années, et le principe de précaution, qui supposait notamment une capacité de production nationale pour les tests et le maintien de stocks pour les masques, avait été remplacé par une logique managériale visant à faire des économies par les délocalisations et le flux tendu. La même chose s’est passée pour certains médicaments essentiels.

  • Problèmes de la transition – Par Frédéric Lordon
    https://www.les-crises.fr/problemes-de-la-transition-par-frederic-lordon

    Source : Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon Nicolas Hulot, passé à l’état de flaque de sirop, est répandu partout dans la presse. Macron laisse entendre qu’il réfléchit à un « green deal à la française ». Sur l’échelle ouverte de Richter du foutage de gueule, on se prépare des sommets — et les « jours heureux » nous sembleront comparativement un modèle de sincérité. Pendant ce temps, des économistes rêvent éveillés de « monnaie verte ». Benoît Hamon sort de son catafalque. On ne parlera plus bientôt que de « transition », comme déjà l’Union européenne sous les avisés conseils de BlackRock. Comme avec « l’Europe sociale et démocratique », mais un niveau au-dessus, on essaye de nouveau d’estimer le temps que toutes ces imbécillités vont nous faire encore perdre. La transition n’est pas une question « écologique » (pour « (...)

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/09/apres-la-crise-le-temps-de-la-monnaie-verte_6039129_3232.html

  • Coronavirus : ce que les grandes épidémies disent de notre manière d’habiter le monde
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/21/ce-que-les-grandes-epidemies-disent-de-notre-maniere-d-habiter-le-monde_6040

    C’est une carte animée de la Chine qui donne le vertige. On y voit d’immenses flux de petits points verts se déplacer en étoile autour des métropoles : fondés sur les données de géolocalisation des téléphones portables, ces mouvements enregistrés pendant le Nouvel An chinois retracent les centaines de millions de voyages qui ont permis au coronavirus de conquérir la Chine depuis la ville de Wuhan. Au milieu du nuage de points verts, figurent nombre de petits points rouges – ce sont, précise le New York Times, les personnes infectées par le SARS-CoV-2.
    Le graphique suivant n’est guère plus rassurant : cette fois, les dizaines de milliers de points se dirigent vers Tokyo, Manille, Milan, Dubaï, Athènes, Buenos Aires, Islamabad, Los Angeles, Moscou, Singapour et Hongkong. En ce mois de janvier 2020, le New York Times recense 900 trajets par mois vers New York, 2 000 vers Sydney, 15 000 vers Banghok. Lorsque les vols au départ de Wuhan sont suspendus, fin janvier, il est déjà trop tard : les liaisons aériennes qui quadrillent le monde ont permis au virus de s’implanter sur tous les continents. « Dès la fin janvier, l’épidémie est présente dans plus de 30 villes et 26 pays », précise le quotidien.
    Pour l’immunologue Norbert Gualde, professeur à l’université de Bordeaux, ces graphiques illustrent à merveille le mécanisme des épidémies. « Ce n’est pas le virus, c’est l’homme qui fait l’épidémie, rappelle-t-il. Le virus est sédentaire : il n’a aucun moyen de locomotion. Pour se déplacer, il lui faut passer de corps en corps. C’est ce qu’exprime l’étymologie du mot épidémie : le terme est emprunté au latin médical “epidemia”, lui-même issu de la racine grecque “epidemos” – “epi”, qui circule, “demos”, dans le peuple. »

    #Covid-19#migrant#migration#santé#épidémie#circulations#santé#transports

    • La carte du New York Times aurait sans doute stupéfié les médecins qui, de la Renaissance au XIXe siècle, invoquaient au contraire la toute-puissance du « genius loci » (génie des lieux). « Ils croyaient fermement que l’apparition épidémique de certaines maladies était la conséquence des influences telluriques et cosmiques sur une région déterminée » , souligne l’historien de la médecine Mirko Drazen Grmek (1924-2000), en 1963, dans Les Annales. A l’époque, nul ne redoutait les épidémies mondiales : l’heure était au contraire à la recherche des « conditions géographiques et astrales » qui engendraient, dans chaque lieu, des maladies singulières.

      Cette tradition de la « topographie médicale » atteint son apogée au XVIIIe siècle avant de décliner à la fin du siècle suivant. Les découvertes de Louis Pasteur (1822-1895) et de Robert Koch (1843-1910) sur les micro-organismes pathogènes et leur contagion donnent le coup de grâce à une discipline qui souffre, selon Mirko Drazen Grmek, de son « caractère trop général » et de ses « synthèses précipitées » . Dès la fin du XIXe siècle, l’hygiéniste américain John Shaw Billings (1838-1913) n’hésite d’ailleurs pas à moquer ses confrères : il compare leur simplisme et leur naïveté à celle de chimistes qui voudraient analyser la composition d’un rat en le mettant tout entier dans un vase d’expérience.

      « Un passager clandestin planétaire »

      Le Covid-19 montre en effet que si les maladies contagieuses apparaissent plus aisément sous certains cieux, elles restent rarement prisonnières des « topographies médicales » imaginées aux XVIIe et XVIIIe siècles. Comme ses prédécesseurs, le SARS-CoV-2 s’est promené dans le vaste monde au gré des voyages des hommes : il est monté avec eux dans les trains, a emprunté des vols long-courriers, a séjourné dans des bateaux de croisière, a pris des autobus de banlieue. Le coronavirus est un « passager clandestin planétaire » qui suit pas à pas nos déplacements, résume le géographe Michel Lussault : comme toutes les épidémies, il raconte les allées et venues des hommes.

      Née en Chine, la « peste noire » met ainsi plus d’une quinzaine d’années, au Moyen Age, pour atteindre l’Europe. Apparu au début des années 1330, le mal emprunte, au rythme des déplacements humains, les routes commerciales entre l’Asie et l’Europe jusqu’à Caffa, un comptoir génois de Crimée où se joue le « futur drame de l’Occident » , notent Stéphane Barry et Nobert Gualde dans La Peste noire dans l’Occident chrétien et musulman (Ausonius, 2007). En 1345-1346, un chef militaire qui assiège la ville jette par-dessus l’enceinte des cadavres pestiférés. « Si certains historiens s’interrogent sur la véracité de cet événement, il est certain qu’une terrible épidémie éclate parmi la population. » En 1346, plusieurs navires partis de Caffa répandent alors la peste dans toute l’Europe.

      Le mal se propage au fil des mois sur les côtes de la mer Noire, en Grèce, en Crète, à Chypre, avant de débarquer, le 1er novembre 1347, dans le port de Marseille. Il emprunte ensuite les voies commerciales terrestres et fluviales : la peste franchit les Alpes, frappe la Suisse et progresse vers l’Allemagne et les Pays-Bas. En Europe du Nord, elle traverse à nouveau la mer pour se répandre en Angleterre, puis, en 1349, en Irlande et en Ecosse. En 1350, elle atteint la Scandinavie, puis tout l’espace hanséatique, avant de toucher Moscou en 1352.

      Routes commerciales et conflits militaires

      Si les épidémies empruntent volontiers les routes commerciales tracées par les hommes, elles savent aussi tirer habilement parti des conflits militaires. Lors de la guerre de 1870-1871, les troupes françaises et prussiennes disséminent ainsi la variole sur l’ensemble du territoire. « Pendant l’année 1869 et le commencement de 1870, les épidémies demeurèrent locales ou ne se propagèrent, par voisinage, qu’à de très courtes distances , constate, en 1873, Paul-Emile Chauffard, rapporteur de l’Académie de médecine. Mais lorsque la guerre amena ce grand mouvement de population qui suivit nos premiers désastres, l’épidémie reprit de toutes parts une nouvelle intensité. »

      Pendant le conflit, les soldats du Second Empire contaminent en effet les populations civiles. « Ils promènent la variole partout avec eux et les populations fuyant le flot envahisseur l’entraînent avec elles dans des retraites où elle n’avait pas encore sévi » , poursuit Paul-Emile Chauffard. Une fois faits prisonniers, les militaires français exportent le virus dans les pays frontaliers. « A mesure des batailles perdues, ils sont envoyés dans des camps en Prusse , raconte, en 2011, l’historien des sciences Gérard Jorland dans la revue Les Tribunes de la santé. La population civile allemande, par le biais de ses interactions avec les prisonniers, est contaminée. »

      Les réfugiés de Sedan propagent l’épidémie en Belgique, où elle fait plus de 33 000 morts en 1870-1872. Les volontaires italiens qui ont combattu en Côte-d’Or l’implantent à Naples, Milan, Turin et Gênes en rentrant chez eux. Les Français qui fuient les combats emportent le virus en Angleterre, où il provoque plus de 40 000 morts en 1871-1872. De ces pays, l’épidémie se répand en Irlande, en Ecosse, aux Pays-Bas, au Danemark, en Suède, en Autriche et en Russie avant de conquérir les Etats-Unis, le Japon, le Chili, Hawaï, l’Australie, Bornéo, Ceylan et l’Inde. Dans la seule Europe, l’épidémie fait 500 000 morts.

      Une cinquantaine d’années plus tard, au début du XXe siècle, c’est une nouvelle fois la guerre qui précipite la diffusion planétaire de la grippe espagnole. « L’épidémie, qui est repérée au Kansas au début du printemps 1918, franchit l’Atlantique grâce au premier conflit mondial, explique le géographe Freddy Vinet. La progression du virus suit les mouvements de troupes : au printemps 1918, les soldats américains envoyés sur le front diffusent le virus dans toute l’Europe, et à l’automne 1918, les militaires engagés sur le sol européen retournent chez eux en disséminant cette fois le virus dans les territoires coloniaux et les pays alliés. »

      Une guerre éclair

      Dans La Grande Grippe-1918, la pire épidémie du siècle (Vendémiaire, 2018), Freddy Vinet reconstitue en détail l’itinéraire de cette épidémie qui a fait plus de victimes que la première guerre mondiale. « Pour un virus se transmettant par voie respiratoire, les déplacements de troupes à l’échelle du globe sont une aubaine , explique-t-il. En 1918, plus de vingt pays sont en guerre, auxquels s’ajoutent les empires coloniaux – la quasi-totalité de l’Afrique, les Indes britanniques, les Indes Orientales néerlandaises (Indonésie), la Caraïbe… Les seuls recoins de la planète épargnés par le virus le doivent à leur isolement ou à des quarantaines strictes. »

      Comme le bacille de la peste ou le virus de la grippe espagnole, le SARS-CoV-2 a envahi la planète en se glissant discrètement dans les bagages des hommes. Mais il l’a fait à une tout autre allure : la peste médiévale avait mis près de vingt ans pour passer des terres mongoles au port de Marseille, et le virus de la grippe espagnole, une année pour se répandre sur toute la Terre. Le coronavirus a, lui, mené une guerre éclair : apparu au mois de décembre en Chine, il a franchi les frontières et les océans à une vitesse foudroyante. Le 8 mars, plus de 100 pays avaient déjà signalé des cas de Covid-19.

      Que nous disent ces épidémies de la géographie du monde ? En quoi témoignent-elles de notre manière d’habiter la planète ? La « peste noire » médiévale racontait la vitalité des routes commerciales entre l’Asie et l’Europe, et la grippe espagnole, l’ampleur des transports de troupes pendant la première guerre mondiale. Pour le géographe Michel Lussault, le SARS-CoV-2 est le signe que notre monde est devenu un « buissonnement d’interdépendances géographiques » : le moindre événement local se diffuse désormais sans délai à l’ensemble de la planète à la manière du battement d’ailes du papillon évoqué en 1972 par le météorologue Edward Lorenz.

      Le coronavirus remet frontalement en question nos modes de vie
      Pour l’économiste Laurent Davezies, professeur au Conservatoire national des arts et métiers, le coronavirus remet frontalement en question nos modes de vie. « Tout ce que nous considérions il y a encore quelques mois comme vertueux est devenu vicieux. La mondialisation a fait reculer la pauvreté comme jamais dans l’histoire de l’humanité mais elle a précipité l’extension de l’épidémie. La densité urbaine des métropoles a boosté l’innovation technologique mais elle a favorisé les contaminations. Le SARS-CoV-2 nous montre que la concentration et la mobilité qui régissent désormais la planète peuvent engendrer de graves périls. »

      Si les hommes se sont toujours déplacés, le monde contemporain est en effet caractérisé par une explosion mobilitaire sans précédent. « Tout bouge, sans cesse : objets, marchandises, matières, données, informations, humains, animaux, et tout emprunte des voies innombrables – terrestres, maritimes, aériennes, satellitaires, filaires, constatent Michel Lussault et Cynthia Ghorra-Gobin, en 2015, dans la revue Tous urbains (PUF). Tout est sans cesse en contact avec tout et cela témoigne de la vigoureuse montée en puissance des pratiques mais aussi des imaginaires et des cultures de la connectivité. »

      Les déplacements à l’intérieur des frontières ont beaucoup augmenté : un Français parcourt en moyenne près de 15 000 kilomètres par an contre moins de 10 000 en 1980. Le nombre de voyages à l’étranger a, lui aussi, explosé : en 2018, près de 1,5 milliard d’individus ont, au cours de l’année, franchi une frontière pour effectuer, loin de leur domicile, un séjour de moins d’un an, ce qui représente une progression de 50 % en une décennie. La tendance à franchir toujours plus les frontières n’est ni une mode ni une anomalie, résume François Héran, professeur au Collège de France : c’est une « lame de fond » .

      Les marchandises, elles aussi, ne cessent de se déplacer

      Pour Laurent Davezies, cette mobilité représente une « transformation radicale ». « Pendant des siècles, les Français avaient été assignés à résidence dans un territoire. Mais aujourd’hui, tout a changé : selon le sociologue Jean Viard, le travail, entre la naissance et la mort, ne représente plus que 12 % à 13 % de notre vie. L’immense plage de temps libéré par ce recul des contraintes professionnelles est consacrée à des activités qui supposent des déplacements – faire des études à l’étranger, visiter une ville pendant les vacances, partir en week-end, effectuer des visites familiales pendant la retraite. »

      Les marchandises, elles aussi, ne cessent de se déplacer. Dans un livre publié en 1996, Mondialisation, villes et territoires (PUF), l’économiste Pierre Veltz décrivait les rouages de l’ « économie d’archipel » composée par le réseau planétaire des grandes régions urbaines. « Ces métropoles concentrent l’essentiel des flux de toute nature, et notamment ceux d’une production industrielle de plus en plus éclatée, explique-t-il. Pour fabriquer une brosse à dents électrique, les piles viennent de Tokyo, l’assemblage est fait à Shenzhen et les tests aux Philippines. L’acier vient de Suède et le plastique d’Autriche. Au total, les composants parcourent plus de 30 000 kilomètres par air, par mer ou par route, avant de servir le marché californien. »

      Dans cette nébuleuse hyperconnectée qu’est devenu le monde, les villes jouent un rôle capital. L’urbanisation de la planète est, selon Michel Lussault, une mutation comparable à celle du néolithique ou de la Révolution industrielle : aujourd’hui, plus de 4 milliards de personnes vivent en ville – et toutes ces zones urbaines sont reliées. « Loin de se réduire à un centre historique et à un quartier d’affaires, la métropole contemporaine doit plutôt s’appréhender comme un entrelacs de réseaux qui mettent quotidiennement en relation des lieux de formes, de tailles et de fonctions très diverses » , analysent le géographe Eric Charmes et le politiste Max Rousseau dans un article publié sur le site de la Vie des idées.

      Cette révolution ne s’est pas contentée d’engendrer des « world-cities » comme New York, Londres ou Tokyo : elle a également fait disparaître les frontières qui séparaient les villes des campagnes. « Aujourd’hui, en France, le monde rural est habité par des gens qui sont en relation permanente avec le monde urbain, souligne Laurent Davezies. La moitié des actifs qui vivent à la campagne travaillent en ville et tous fréquentent des circuits de consommation situés dans des territoires urbanisés. Les va-et-vient sont permanents – au point que certains géographes ont renoncé à utiliser les termes rural et urbain : ils parlent simplement d’une variation de la densité. Il n’y a pas de changement radical de mode de vie entre ces deux mondes. »

      Le bouleversement des pratiques sociales

      Selon le géographe et urbaniste Jacques Lévy, cette culture mondiale de la mobilité a provoqué un véritable changement d’échelle du monde. « A l’époque de la peste médiévale, les villageois se déplaçaient dans un réseau, comme nous, mais à l’échelle de la marche ou du cheval, explique le professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. La modernité a inventé un espace d’échelle mondiale à partir des espaces préexistants d’échelle inférieure. Certaines civilisations anciennes avaient imaginé sans y croire qu’un jour, elles pourraient se pencher au-dessus d’une corniche pour regarder l’ensemble du monde. Nous y sommes. »

      Le plus étrange, poursuit Jacques Lévy, c’est que cette stupéfiante mutation s’est accomplie en l’absence de révolution des transports. « Les voitures et surtout les avions ne vont pas tellement plus vite que dans les années 1950, constate-t-il. L’explosion des mobilités n’est donc pas liée au changement de la vitesse nominale des transports mais au bouleversement des pratiques sociales. A l’époque préfordiste, la mobilité était pendulaire – elle se résumait aux trajets domicile-travail. Avec le fordisme, s’y sont ajoutés des voyages liés aux vacances et aux loisirs. Aujourd’hui, le trajet domicile-travail ne représente plus que 20 % des déplacements. »

      Pour illustrer ce changement d’échelle, Jacques Lévy, Ogier Maître et Thibault Romany ont imaginé en 2016, dans la revue Réseaux , une nouvelle manière de cartographier le monde. A la métrique euclidienne classique – la distance kilométrique entre deux points –, ils ont substitué, pour 35 villes de plus de dix millions d’habitants, une « métrique de réseau » fondée sur le temps de transport entre les mégapoles. Cette carte ne cherche pas à représenter la topographie physique : elle s’efforce de dessiner les nouvelles lignes de force de l’espace mondial, faites de « réseaux et plus particulièrement de rhizomes » .

      Le concept de rhizome

      Inventé en 1980, par Gilles Deleuze et Félix Guattari, le concept de rhizome désigne des réseaux aux frontières floues dont les éléments s’influencent en permanence les uns les autres. Depuis la fin du XXe siècle, les « rhizomes ouverts de l’individu, urbain et mondialisé, contemporain » ont remplacé les « petits pays enclavés du paysan » , conclut l’article. « Notre carte fait apparaître des ensembles que les transports ont rapprochés, même s’ils restent éloignés en kilomètres , ajoute Jacques Lévy. Cette trame du monde qui met en exergue les lieux forts et les liens rapides correspond parfaitement à la géographie de l’épidémie : le coronavirus colle à la planète interconnectée. »

      C’est en effet en parcourant ces rhizomes que le coronavirus a conquis le monde à la vitesse de l’éclair. Il ne s’est pas contenté d’emprunter les avions, les bateaux ou les trains : il a prospéré dans les espaces publics interconnectés du monde contemporain que sont les gares, les stades de foot ou les galeries marchandes, ces lieux de sociabilité intense où les hommes se frôlent avant de se connecter à un autre pôle, un autre réseau, une autre ramification. « A l’échelle mondiale, l’infrastructure spatiale de cette épidémie, ce sont les hubs – les hubs stricto sensu que sont les aéroports, mais aussi les centralités plus spécialisées que sont, par exemple, les centres commerciaux » , résume Jacques Lévy.

      Avec la pandémie de Covid-19, la planète urbanisée et hyperconnectée de ce début de XXIe siècle s’est révélée extrêmement vulnérable : pour un virus aussi contagieux que le SARS-CoV-2, les flux, les rhizomes, les plates-formes, les liens et les réseaux constituent un véritable paradis. La lutte contre le coronavirus a donc imposé aux habitants de la planète un revirement radical : il a fallu immobiliser brutalement un monde qui vénérait depuis des décennies le principe de la mobilité. Reprendra-t-il, une fois que la pandémie sera vaincue, sa folle course – au risque de voir renaître de nouvelles épidémies ? Nul ne le sait encore.

      #villes #métropole #mobilité #voyage #transport_aérien #peste_noire #variole #grippe_espagnole

  • Second tour des municipales : cesser le jeu de dupes
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/20/second-tour-des-municipales-cesser-le-jeu-de-dupes_6040230_3232.html

    Le gouvernement souhaite que les oppositions se prononcent lors d’un vote au Parlement. Les responsables LR, en particulier, renvoient la balle à l’exécutif. Ces manœuvres ne sont ni très dignes, ni très constructives.

    Editorial du « Monde ». Avec le déconfinement, le débat démocratique reprend toute sa vigueur. La réouverture des écoles, entamée le 12 mai, conduit logiquement à s’interroger sur la date de réinstallation des bureaux de vote.

    Appelés aux urnes les 15 et 22 mars pour élire leurs nouveaux conseils municipaux, les électeurs n’ont en effet pu voter qu’au premier tour, en raison des mesures de confinement alors annoncées par Emmanuel Macron. Dans près de 5 000 communes, en général les plus peuplées, comme Paris, Lyon, Marseille, cette interruption a conduit à suspendre le processus électoral avant qu’une nouvelle majorité ait pu être choisie. Il faut donc fixer une date pour le second tour, et cela constitue une inévitable prise de risque en raison de l’incertitude qui plane sur l’évolution de l’épidémie.

    Or, personne ne semble disposé à endosser ce risque. Consulté, le conseil scientifique, qui sert à éclairer les décisions de l’exécutif, est resté très prudent dans le texte qu’il a publié mardi 19 mai. Certes, il ne s’oppose pas à une éventuelle tenue de la consultation à la fin du mois de juin, mais les réserves qu’il énumère sont telles que ses recommandations ne constituent en rien un feu vert. Constatant qu’il est « difficile d’anticiper une situation incertaine pour les semaines à venir », il préconise de procéder à une nouvelle évaluation des conditions sanitaires quinze jours avant la date retenue, si celle-ci devait être fixée au 28 juin.

    La demande des maires
    Le mistigri échoit donc au premier ministre, qui a entamé, mercredi 20 mai, une consultation des responsables des partis politiques pour décider s’il faut valider cette date ou se résoudre à reporter le scrutin après l’été. Dans ce cas, l’intégralité de l’élection – premier et second tours – serait à refaire, ce qui n’est pas non plus sans risque sanitaire. Echaudé par les vives polémiques qui ont entouré la tenue du premier tour, Edouard Philippe voudrait cette fois obtenir un vote indicatif du Parlement. Mais ni le président du Sénat, Gérard Larcher, ni le président du groupe Les Républicains à la Haute Assemblée, Bruno Retailleau, ne veulent y participer, estimant que ce type de décision est du ressort unique du pouvoir réglementaire.

    Ce jeu de dupes n’est ni très digne ni très constructif. A partir du moment où il est acquis qu’une décision de ce type ne peut se prendre que dans un contexte incertain, l’attitude la plus responsable est que chaque parlementaire acte sa position par un vote. Cela éviterait aux responsables de l’opposition de droite et de gauche de ressembler à la girouette qu’ils ont été à la mi-mars lorsque, après avoir soupçonné Emmanuel Macron de vouloir repousser le premier tour, ils lui ont reproché de l’avoir maintenu.

    Aujourd’hui, plusieurs maires de gauche et de droite, Anne Hidalgo et François Baroin entre autres, plaident publiquement pour que le scrutin se tienne fin juin si les conditions le permettent. Ils jugent en effet très inconfortable de devoir gérer la crise du coronavirus dans un tel entre-deux. Le gouvernement ne semble pas opposé à leur requête. Lui aussi est pressé d’en finir avec cette séquence électorale qui a été très défavorable aux candidats de la majorité. Il a en outre besoin que les conseils municipaux soient opérationnels en septembre, lorsque sera mis en œuvre le plan de relance destiné à contrer les effets de la récession. Il reste juste un détail essentiel à régler : qui, aujourd’hui, est prêt à endosser le risque sanitaire ?

  • « Nous sommes devenus des virus pour la planète », Philippe Descola
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/20/philippe-descola-nous-sommes-devenus-des-virus-pour-la-planete_6040207_3232.

    Dans un entretien au « Monde », l’anthropologue de la nature explique que cette pandémie doit conduire à une « politique de la Terre » entendue comme une maison commune dont l’usage ne serait plus réservé aux seuls humains.

    Anthropologue, spécialiste des Jivaro achuar, en Amazonie équatorienne (Les Lances du crépuscule, Plon, 1994), Philippe Descola est professeur au Collège de France et titulaire de la chaire d’anthropologie de la nature. Disciple de Claude Lévi-Strauss, médaille d’or du CNRS (en 2012) pour l’ensemble de ses travaux, Philippe Descola développe une anthropologie comparative des rapports entre humains et non-humains qui a révolutionné à la fois le paysage des sciences humaines et la réflexion sur les enjeux écologiques de notre temps, dont témoignent notamment Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005) et La Composition des mondes (entretiens avec Pierre Charbonnier, Flammarion, 2014).

    En quoi cette pandémie mondiale est-elle un « fait social total », comme disait Marcel Mauss, l’un des fondateurs de l’anthropologie ?

    Un fait social total, c’est une institution ou des événements qui mettent en branle une société, qui font apparaître ses ressorts et ses valeurs, qui révèlent sa nature profonde. En ce sens, la pandémie est un réactif qui condense, non pas les singularités d’une société particulière, puisqu’elle est mondiale, mais certains traits du système qui régit le monde actuel, le capitalisme postindustriel. Quels sont-ils ? D’abord, la dégradation et le rétrécissement sans précédent des milieux peu anthropisés du fait de leur exploitation par l’élevage extensif, l’agriculture industrielle, la colonisation interne et l’extraction de minerais et d’énergies fossiles. Cette situation a eu pour effet que des espèces sauvages réservoirs de pathogènes se sont trouvées en contact beaucoup plus intense avec des humains vivant dans des habitats beaucoup plus denses. Or les grandes pandémies sont des zoonoses, des maladies qui se propagent d’espèce en espèce et dont la diffusion est donc en grande partie dépendante des bouleversements écologiques.

    Deuxième trait : la persistance criante des inégalités révélée par la situation de crise, à l’intérieur de chaque pays et entre les pays, qui rend ses conséquences très différentes selon la situation sociale et économique dans laquelle on se trouve. La pandémie permet de vérifier ce constat fait par l’anthropologue David Graeber que plus un emploi est utile à la société, moins il est payé et considéré. On découvre soudain l’importance cruciale des gens dont nous dépendons pour nous soigner, nous nourrir, nous débarrasser de nos ordures, et qui sont les premiers exposés à la maladie.

    Troisième trait : la rapidité de la propagation de la pandémie. Que des maladies infectieuses fassent le tour de la Terre n’a rien de nouveau ; c’est que celle-ci le fasse si rapidement qui attire l’attention sur la forme présente de la mondialisation, laquelle paraît entièrement régie par la main invisible du marché, c’est-à-dire la règle du profit le plus rapide possible. Ce qui saute aux yeux, notamment avec les pénuries de masques, de tests ou de molécules thérapeutiques, c’est une division internationale de la production fondée sur deux omissions : celle du coût écologique du transport des marchandises et celle de la nécessité, pour faire société, d’une division locale du travail dans laquelle tous les savoir-faire sont représentés.

    Cette crise est-elle due à la dévastation de la planète ou bien faut-il au contraire considérer que les épidémies font, depuis les âges qui ont précédé l’anthropocène, partie de l’histoire et que l’homme doit ainsi faire preuve d’humilité ?

    En tant qu’américaniste, je suis douloureusement conscient du prix que les populations amérindiennes ont payé du fait de leur rencontre avec les maladies infectieuses apportées par les colonisateurs européens : entre le XVIe et le XVIIIe siècle, dans certaines régions, c’est 90 % de la population qui disparaît. Les épidémies nous accompagnent depuis les débuts de l’hominisation. Simplement, le développement de l’Etat-providence à partir de l’Europe depuis la fin du XIXe siècle a eu tendance à faire oublier à ceux qui en bénéficient que l’aléa et l’incertitude continuent d’être des composantes fondamentales de nos destins collectifs.

    Pourquoi le capitalisme moderne est-il selon vous devenu une sorte de « virus du monde » ? Tout est-il la faute du capitalisme, alors que ces pandémies ne semblent pas être sans lien avec les marchés d’animaux vivants et la médecine traditionnelle chinoise ?

    Un virus est un parasite qui se réplique aux dépens de son hôte, parfois jusqu’à le tuer. C’est ce que le capitalisme fait avec la Terre depuis les débuts de la révolution industrielle, pendant longtemps sans le savoir. Maintenant, nous le savons, mais nous semblons avoir peur du remède, que nous connaissons aussi, à savoir un bouleversement de nos modes de vie. Sans doute les marchés traditionnels chinois contribuent-ils à la disparition du pangolin ou du rhinocéros. Mais les réseaux de contrebande d’espèces protégées qui les alimentent fonctionnent selon une logique parfaitement capitaliste. Pour ne rien dire du capitalisme sauvage des compagnies forestières chinoises ou malaises opérant en Indonésie, la main dans la main avec les plantations de palmiers à huile et les industries agroalimentaires.

    Ceux qui n’opèrent pas selon ce modèle, ce sont les populations autochtones de Bornéo (et de bien d’autres régions du monde), qui défendent leurs territoires contre la déforestation. Le capitalisme est né en Europe, mais il n’est pas définissable ethniquement. Et il continue de se propager comme une épidémie, sauf qu’il ne tue pas directement ceux qui le pratiquent, mais les conditions de vie à long terme de tous les habitants de la Terre. Nous sommes devenus des virus pour la planète.

    Cette crise n’est-elle pas l’occasion de concevoir autrement les rapports entre la culture et la nature, entre les humains et les non-humains ? Ou bien ne serait-on pas au contraire tenté d’accroître la distance entre « eux » et « nous » en raison des zoonoses ?

    Au tournant du XVIIe siècle a commencé à se mettre en place en Europe une vision des choses que j’appelle « naturaliste », fondée sur l’idée que les humains vivent dans un monde séparé de celui des non-humains. Sous le nom de nature, ce monde séparé pouvait devenir objet d’enquête scientifique, ressource illimitée, réservoir de symboles. Cette révolution mentale est l’une des sources de l’exploitation effrénée de la nature par le capitalisme industriel en même temps que du développement sans précédent des connaissances scientifiques.

    Mais elle nous a fait oublier que la chaîne de la vie est formée de maillons interdépendants, dont certains ne sont pas vivants, et que nous ne pouvons pas nous abstraire du monde à notre guise. Le « nous » n’a donc guère de sens si l’on songe que le microbiote de chacun d’entre « nous » est composé de milliers de milliards d’« eux », ou que le CO2 que j’émets aujourd’hui affectera encore le climat dans mille ans. Les virus, les micro-organismes, les espèces animales et végétales que nous avons modifiées au fil des millénaires sont nos commensaux dans le banquet parfois tragique de la vie. Il est absurde de penser que l’on pourrait en prendre congé pour vivre dans une bulle.

    Les peuples autochtones de l’Amazonie se ferment, se dispersent et se replient afin de faire face à l’épidémie. Devons-nous également nous abriter derrière nos frontières et nos nations ? Est-ce la fin, non seulement de la mondialisation, mais aussi d’un certain cosmopolitisme ?

    Si l’on parle d’une cosmopolitique au sens du sociologue Ulrich Beck, à savoir la conscience acquise par une grande partie de l’humanité qu’elle partage une destinée commune parce qu’elle est exposée aux mêmes risques, alors on voit bien qu’il est illusoire de fermer les frontières. On ralentira peut-être la propagation du Covid-19, mais on n’empêchera pas une autre zoonose d’éclore ailleurs. Surtout, on n’arrêtera pas le nuage de Tchernobyl ou la montée des mers. Et si certains Amérindiens d’Amazonie ont la possibilité d’empêcher des humains de pénétrer sur leurs territoires, parce qu’ils sont vecteurs de maladie ou chercheurs d’or, ils sont en revanche beaucoup plus accueillants pour les non-humains dont ils sont familiers. Et c’est en ce sens-là que le mot « cosmopolitique » pourrait prendre toute sa portée. Non comme un prolongement du projet kantien de formuler les règles universelles au moyen desquelles les humains, où qu’ils soient, pourraient mener une vie civilisée et pacifique. Mais au sens littéral, comme une politique du cosmos.

    Une politique de la Terre entendue comme une maison commune dont l’usage n’est plus réservé aux seuls humains. Cela implique une révolution de la pensée politique de même ampleur que celle réalisée par la philosophie des Lumières puis par les penseurs du socialisme. On en voit des signes avant-coureurs.

    Dans plusieurs pays on a donné une personnalité juridique à des milieux de vie (des montagnes, des bassins-versants, des terroirs), capables de faire valoir leurs intérêts propres par le biais de mandataires dont le bien-être dépend de celui de leur mandant. Dans plusieurs pays aussi, y compris en France, des petits collectifs ont fait sécession par rapport au mouvement continu d’appropriation de la nature et des biens communs qui caractérise le développement de l’Europe, puis du monde, depuis la fin du XVIe siècle. Ils mettent l’accent sur la solidarité entre espèces, l’identification à un milieu, le souci des autres et l’équilibre des rythmes de la vie plutôt que sur la compétition, l’appropriation privée et l’exploitation maximale des promesses de la Terre. C’est un véritable cosmopolitisme, de plein exercice.

    Assiste-t-on à un tournant anthropologique de la pensée française avec l’éclosion d’une génération notamment formée par Bruno Latour et vous-même qui ne sépare plus de manière radicale les humains et les non-humains ?

    On peut appeler ça un tournant anthropologique si l’on veut, à condition d’ajouter que, paradoxalement, c’est une anthropologie qui est devenue moins anthropocentrique, car elle a cessé de ravaler les non-humains à une fonction d’entourage et de réduire leurs propriétés aux aspirations et aux codes que les humains projettent sur eux. L’un des moyens pour ce faire fut d’introduire les non-humains comme des acteurs de plein droit sur la scène des analyses sociologiques en les faisant sortir de leur rôle habituel de poupées qu’un habile ventriloque manipule.

    C’est un exercice qui va à rebours de plusieurs siècles d’exceptionnalisme humaniste au cours desquels nos modes de pensée ont rendu incongru que des machines, des montagnes ou des microbes puissent devenir autoréférentiels. Il a fallu pour cela traiter le non-humain comme un « fait social total » justement, c’est-à-dire le transformer en une sorte de planète autour de laquelle gravitent de multiples satellites. J’ai appelé ça l’anthropologie de la nature.

    On parle beaucoup du « monde d’après », au risque de ne pas penser le présent. Que serait-il possible et important de changer le plus rapidement ?

    On peut toujours rêver. Alors, en vrac : instauration d’un revenu de base ; développement des conventions citoyennes tirées au sort ; impôt écologique universel proportionnel à l’empreinte carbone ; taxation des coûts écologiques de production et de transport des biens et services ; développement de l’attribution de la personnalité juridique à des milieux de vie, etc.

    #Philippe_Descola #pandémie #écologie #capitalisme

  • Pierre Charbonnier : « L’écologie ne nous rassemble pas, elle nous divise »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/14/pierre-charbonnier-l-ecologie-ne-nous-rassemble-pas-elle-nous-divise_6039590

    La stratégie de la communion universelle est assez ancienne dans la mouvance environnementaliste, mais aujourd’hui elle crée le malaise, en particulier dans les rangs écologistes les plus conséquents, car l’unanimité dont elle se prévaut est feinte, incantatoire, et inefficace.

    On peut même craindre que cette stratégie soit contre-productive. Et s’il en va ainsi, c’est parce qu’elle occulte une vérité un peu plus inconfortable : l’écologie, c’est-à-dire la volonté de rendre la reproduction d’une société des égaux et la reproduction du milieu compatibles à long terme, nous divise bien plus qu’elle nous rassemble.

    #Pierre_Charbonnier #écologie_politique #écologie

  • « Au lieu de déconfiner l’école, ouvrons-la sur le dehors, sur la société », Barbara Cassin, Victor Legendre
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/14/au-lieu-de-deconfiner-l-ecole-ouvrons-la-sur-le-dehors-sur-la-societe_603958


    Dans une école primaire de La Grand-Croix (Loire), le 12 mai. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

    La philosophe Barbara Cassin et son fils, l’anthropologue Victor Legendre, proposent, dans une tribune au « Monde », que l’école du déconfinement soit une école de la découverte, dans le strict respect des règles sanitaires, des lieux de culture et des espaces de liberté, aujourd’hui fermés.

    Tribune. Que veut le gouvernement en rouvrant les écoles le 11 mai ? Eviter l’écroulement de la nation en remettant un maximum de Français au travail. Pourquoi ça risque de ne pas marcher ? Parce que les enfants ne sont pas les variables d’ajustement d’une politique volontariste.
    Placer la santé et le bien-être des enfants avant l’économie, quoi qu’il en coûte ? Chiche ! Alors inventons et soyons généreux.

    Refusons cette double logique d’enfermement : d’abord confinés à la maison pendant deux mois, puis maintenant gardés à l’école jusqu’à l’été. Refusons cette injonction perverse : la reprise des enfants se fera sur la base du volontariat, mais les parents qui refuseront de mettre leur enfant à l’école perdront leur droit au chômage partiel. A moins que le chef d’établissement ne leur fasse un mot d’excuse en reconnaissant qu’il est incapable de faire son devoir d’accueil !

    Une autre solution est possible : proposer une école ouverte, à mi-chemin entre la rentrée des classes et les vacances. Au lieu de déconfiner l’école, en 54 pages de recommandations difficilement tenables, qui instaurent de nouvelles contraintes de confinement, ouvrons-la sur le dehors, c’est-à-dire sur la société. Et, quand c’est possible, sur la nature. Refusons d’enfermer !

    Changeons de rythme, inventons !

    Les enfants méritent mieux que d’être parqués dans des lieux clos. Les professeurs, les instituteurs, méritent mieux que de faire de la garderie et du flicage. Au lieu d’accueillir à grand-peine quelque 15 % des effectifs dans des locaux réaménagés à la hâte, ouvrons à tous les enfants les lieux de culture et les espaces de liberté, aujourd’hui inutiles et vidés de leur sens. Dans le strict respect des règles sanitaires, ouvrons pour eux les bibliothèques, les universités, les musées, les théâtres, les salles de cinéma, les parcs et les jardins, les complexes sportifs, les plages, avec les personnels et les professionnels qui sont aujourd’hui au chômage partiel. Tous ceux qui savent et peuvent travailler avec les enfants, des assistants maternels aux enseignants et aux bibliothécaires, des éducateurs sportifs aux moniteurs et aux animateurs de centre aéré, des gardiens de parc et de musée aux intermittents du spectacle, faisons-les tous participer à ce grand projet.

    Les élèves décrocheurs, ceux qui sont sortis des radars virtuels, auront l’occasion de voir et d’aimer ce qu’ils n’ont peut-être encore jamais vu. La culture pour tous, c’est le moment ! Prônons un déconfinement par l’ouverture totale de ce qui leur est si souvent fermé. Faire ainsi accéder au monde, c’est réduire les inégalités sociales. Les parents éduquent et l’école instruit ? Peut-être. Mais, pendant cette crise, oublions l’évaluation et la compétition, mélangeons les cartes. Proposons une réponse collective. Vacances ou pas vacances, changeons de rythme, inventons ! Que l’école ouverte pour tous commence. Et, à la fin de cet épisode de pandémie, nous aurons marqué les esprits.

    A la question « que faire des enfants ? », une réponse : ouvrons-leur le monde. On parle du monde d’après, mais c’est aujourd’hui demain !

    Barbara Cassin, philologue, philosophe et médaille d’or du CNRS, a été élue en 2018 à l’Académie française. Elle a notamment écrit « Eloge de la traduction. Compliquer l’universel » (Fayard, 2016) et « Quand dire, c’est vraiment faire : Homère, Gorgias et le peuple arc-en-ciel » (Fayard, 2018).
    Victor Legendre enseigne à l’université Nice-Sophia-Antipolis, il est également entrepreneur.

    #école #école_hors_les_murs

  • « La médecine des personnes âgées ne peut pas tourner indéfiniment le dos à la liberté et à la mort », Philippe Bataille sociologue (EHESS) et président de l’association Vieux et chez soi
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/14/la-medecine-des-personnes-agees-ne-peut-pas-tourner-indefiniment-le-dos-a-la

    La crise sanitaire qui a touché les Ephad doit permettre de construire un autre projet de société qui tienne compte de ce que souhaitent nos aînés pour eux-mêmes, estime dans une tribune au « Monde » le sociologue Philippe Bataille.

    Tribune. Pensons à cette femme de 102 ans qui est hospitalisée. Elle dit ne plus vouloir vivre. Elle réclame sa mort sans jamais avoir perdu la tête. L’euthanasie se fera, mais pas maintenant ni ici. La dame était si tenace qu’elle a choqué le service de long séjour. Ses soignants n’ont pas admis sa demande. Plus tard, ses proches l’ont emmené en Belgique pour qu’un médecin réalise son projet d’une mort douce entourée des siens.

    Qu’en dire aujourd’hui ? Tant de métiers interviennent au bout de la vie. La longévité qui tient à des personnalités exceptionnelles est aussi une question de médecine, d’argent, d’administration et de formation des professionnels qui entrent dans la vie des vieillards. Vivre plus de cent ans repose sur des épaules autres que les siennes.

    Bien que très vulnérable, la dame s’appuyait sur ses fragilités pour nommer l’échéance de son existence. Sa revendication n’était ni individualiste, ni utilitariste, ni même égoïste. La centenaire ne voulait pas attendre la mort plus longtemps. Or, il n’est pas rare que des vieillards demandent à mourir. Combien de résidents en Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] se laissent glisser chaque année ? Combien de temps cela leur prend-il ? Dans quelles conditions ? Qui les accompagne humainement ? Activement ? Nul ne connaît ces chiffres.

    Vivre vieux est un choix personnel

    Rencontrons cette autre femme qui a également 102 ans. La dame ne me serre pas la main au moment où nous nous croisons. Elle précise ne pas vouloir me parler de manière rapprochée. Le matin, elle m’avait interdit l’accès à sa chambre le temps d’une conversation que j’avais sollicitée. Elle s’explique au sortir de la salle de restaurant puisque le règlement intérieur de son établissement de vieillesse impose qu’elle s’y rende midi et soir faisant que tout le bâtiment est entièrement brassé dans ces moments de convivialité imposée.
    A ce jour, la vieille dame est intacte alors que le Covid-19 a sévèrement contaminé le tiers des résidents avec de nombreux décès.

    A posteriori, je comprends qu’elle a eu des gestes élémentaires de prudence sanitaire dont je n’avais pas mesuré toute l’importance. Son refus d’une visite supplémentaire à celles, déjà nombreuses, qu’on lui imposait quotidiennement m’apparaît aujourd’hui être la meilleure réponse aux questions que je m’apprêtais à lui poser.

    La longévité tient à celui qui en fait l’expérience. Vivre très vieux relève d’un choix personnel auquel tous les âgés ne consentent pas toujours sans qu’ils décident de l’interrompre pour autant. De même que vivre vieux ne s’oppose pas à son strict inverse qui peut être une volonté de mourir en étant dignement accompagné.

    Encourir des risques

    Entendons cette autre femme de 103 ans qui vit chez elle en n’étant jamais seule. Mais cela lui est devenu insupportable. Elle est gardée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Son dispositif de garde et de soins nécessite plus d’argent qu’un Ehpad qu’elle a toujours refusé de rejoindre. La surveiller jour et nuit mobilise trois emplois à temps plein. Longtemps, elle y a consenti, mais elle souhaite changer la formule.
    Sans tout remettre en cause ni réclamer mourir, elle entend disposer d’une plage horaire suffisamment longue pour demeurer seule dans son appartement parisien qu’elle aménage selon ses goûts, il est vrai sans tenir compte de l’avis de ses aidants ni des précautions que sa famille lui rappelle en permanence.

    Elle a bien conscience que sa demande d’être seule l’expose à de multiples dangers, mais elle dit aussi qu’elle se sent prête à encourir des risques que sa fille unique de plus de 70 ans intègre péniblement. Au moment d’interroger la vieille dame sur ses motivations de réduire sa garde, elle répond : « Ça s’appelle la Liberté ! »

    La centenaire réclamait son droit fondamental d’être à l’image de son existence, par exemple en ayant été une des premières femmes alpinistes après avoir traversé l’Europe avec son bébé pour fuir ensemble les dictatures qu’elles subissaient. La dame revendiquait son besoin de se sentir vivante à elle-même dégagée du souci que les autres ont pour elle. Sans quoi vivre perdait du sens à ses yeux et coûtait bien trop d’argent de son point de vue.

    Impréparation institutionnelle à la mort des vieillards

    Vivre librement au bout de l’âge avancé fait se rapprocher ces trois femmes dont la vieillesse diffère. Toutes trois disent une même chose. L’une en voulant mourir, l’autre en voulant vivre et leur aînée en s’émancipant du principe de précaution qui vide son existence de son sens.

    La médecine du vieux (Aidé ou bien abandonné, plus ou moins soutenu par des aidants) en institution et à domicile ne peut pas tourner indéfiniment le dos à la liberté et à la mort.

    Mourir très âgé tient à des anticipations qui ne sont pas que des précautions, mais aussi à des compétences en soins palliatifs et à de la formation professionnelle, aux directions d’établissements et à des produits pharmaceutiques, dont l’oxygène qui améliore le confort d’un départ. Précisément tout ce qui a cruellement manqué dans l’hécatombe de Covid-19 qui a saigné la génération des anciens qui ont entre 80 et 100 ans aujourd’hui.

    L’épidémie mortelle met à jour de manière sidérante l’impréparation institutionnelle à la mort des vieillards. Apprenons du drame collectif d’aujourd’hui que le temps est venu de construire un autre projet de société en rapport avec ce que chaque vieux réclame pour lui-même, parfois en changeant d’avis ou d’opinion et s’il fait le choix de mourir en n’acceptant plus sa longévité. Ne répétons pas les erreurs qui nous ont conduits à la mort en cascade de tant de vieillards qui revendiquent leur liberté de penser et d’agir.

    #longévité #mourir #veillardes

  • Covid-19 : Boris Johnson, le contre-exemple
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/13/covid-19-boris-johnson-le-contre-exemple_6039529_3232.html

    Editorial. Alors que Royaume-Uni enregistre la pire mortalité d’Europe, le premier ministre britannique jouit toujours d’une insolente popularité. Un paradoxe qui met en lumière la singularité de nos voisins d’outre-Manche.

    … et c’est là que tu trouves, écrit noir sur blanc, dans un édito du Monde : faire pire que la France, c’est dire !

    Pour les Britanniques, cela ne fait pas de doute : leur gouvernement a géré la crise plus mal que tous les gouvernements européens, France comprise, c’est dire. Seul les cousins américains ont fait pire.

  • « Dans un monde confiné, près de 280 millions de travailleurs migrants ne savent plus où est leur pays »
    #Covid-19#migrant#migration#Monde#coincé

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/12/dans-un-monde-confine-pres-de-280-millions-de-travailleurs-migrants-ne-saven

    Les pays dans lesquels ils ont arrêté de travailler veulent les renvoyer chez eux ; ceux dont ils sont originaires n’ont pas toujours les moyens, ni la volonté, de les rapatrier, explique le journaliste du « Monde » Julien Bouissou.

  • « Dans un monde confiné, près de 280 millions de travailleurs migrants ne savent plus où est leur pays »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/12/dans-un-monde-confine-pres-de-280-millions-de-travailleurs-migrants-ne-saven

    Dans un monde confiné et retranché derrière ses frontières pour faire face à la menace de la pandémie, près de 280 millions de travailleurs migrants ne savent plus où est leur pays.Ceux dans lesquels ils travaillent veulent les renvoyer chez eux ; ceux dont ils sont originaires n’ont pas toujours les moyens, ni la volonté, de les rapatrier. On les tolérait lorsqu’ils construisaient les gratte-ciel dans les pays du Golfe ou travaillaient dans les usines électroniques en Asie du Sud-est. Depuis qu’ils ont arrêté de travailler, et doivent être nourris, voire soignés, ils sont devenus encombrants. La célèbre actrice koweïtienne Hayat Al-Fahad a ainsi suggéré que tous les migrants du pays soient envoyés dans le désert pour libérer des lits dans les hôpitaux. Début avril, l’Arabie saoudite a rapatrié des milliers d’Ethiopiens chez eux, sans test de dépistage du Covid-19. Les avions qui les transportaient à Addis-Abeba revenaient chargés de bétail à Riyad. Les Nations unies se sont inquiétées de cette « déportation de masse » qui, d’un « point de vue sanitaire » tombait au mauvais moment. L’Ethiopie n’avait pas les ressources pour placer en quarantaine tous ces migrants

    #Covid-19#migrant#migration#santé#frontières#rapatriement#déportation#vulnérabilité