Tutos partout, santé publique nulle part !

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    • Un triptyque classique. Trois tableaux.
      Premier tableau . Le gouvernement a édicté une sorte de tuto. de 64 pages (ramené à 54 après sa parution initiale) qui édicte les règles d’un cadre sanitaire de reprise laissant chacun des acteurs concernés pantois devant l’inanité, l’absurdité ou le manque de « sens » de ces mesures tutorielles. _
      Deuxième tableau. Dans le même temps il laisse chacun face à sa responsabilité individuelle de « parent choisissant » (le fameux « volontariat ») et de « salarié sans le choix » (la reprise économique doit se faire) avec le poids moral de cette contradiction impossible à supporter.
      Troisième tableau . Il rappelle opportunément qu’il ne faudra pas demander des comptes ni aux directeurs d’école, d’établissements scolaires, maires et préfets (qui pourraient donc être immunisés contre tout recours) ni à l’état lui-même (qui a donc délivré son tuto de 64 pages).

      Démerdez-vous braves gens. La société des tutos. La rhétorique du pipeau. La politique des idiots.

      Apologue à l’épilogue.

      Ma plus grande crainte en ce moment n’est pas celle de ma propre reprise (je suis enseignant à la fac, et les facs, elles, ne reprendront qu’en septembre, autre inconséquence, autre incompréhensible ...), ni même celle de la reprise de mes enfants (même si pour deux d’entre eux la question se posera mais ma position sociale privilégiée me permettra d’assumer chacun de mes choix - et des leurs - quels qu’ils soient).

      Ce qui me terrifie littéralement en ce moment c’est la phrase que je cite souvent de Hannah Arendt.

      « Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez. »

      Voilà ce que le climat d’irresponsabilité politique actuelle dessine et forge, voilà ce que dessinent et forgent ces mensonges et ces va-et-vient permanents, ces atermoiements brusquement suivis de décisions impérieuses que rien ne semble étayer sinon l’arbitraire de la volonté d’un seul homme, ces calendriers improbables, ces coloriages mouvants de zones rouges un jour et vertes le lendemain, ces périmètres distanciels aléatoires ne renvoyant à aucune forme de réalité sociale, « un kilomètre autour de chez soi » puis « 100 kilomètres en dehors de sa zone », ces mesures résolues sitôt ramenées à l’irrésolu du volontariat des uns (celles et ceux qui le peuvent) et à l’insolvable de la misère des autres (qui ne peuvent rien d’autre que d’être volontaires) ... Et toujours ces putains de tutoriels.

      Personne, personne ne sait ce que sera le monde d’après. Mais tout le monde, tout le monde comprend qu’il sera politique. Cette crise est pour certains l’occasion de faire de la citation d’Hannah Arendt un programme politique, une finalité, une ambition, un projet. Leur projet. Comme pour mieux tétaniser les prochains rendez-vous électoraux présidentiels. C’est un risque considérable. Une folie déjà presque palpable. Plus personne ne croira plus rien. La capacité d’agir se limitera aux tutoriels autorisés corrélés à la misère du fin du mois qui toujours pour les mêmes, viendra toujours trop tôt. Quand à pouvoir juger et penser ... que nous reste-t-il à juger et penser dans un monde au chaque décision comme chaque indécision s’accompagne de son exact inverse, de sa vérité feinte ou de son mensonge révélé ?

      "Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce que vous voulez."