Ils ne lâcheront rien, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 5 mai 2020)

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  • Sixième opus de la série « Perspectives » de Frédéric Lordon qui reprends les thèses de Bernard Friot et affirme la nécessité de se détoxiquer de la finance et de la dette afin de redonner aux producteur·rices-salarié·es leur légitimité et le pouvoir de décider d’un avenir commun et soutenable.

    Fermer la finance, par Frédéric Lordon (Les blogs du Diplo, 4 juillet 2020)
    https://blog.mondediplo.net/fermer-la-finance

    On ne mesure pas toujours en effet le caractère absolument névralgique de la finance dans la configuration institutionnelle d’ensemble du néolibéralisme, et ses propriétés d’intensification de tous les mécanismes de la coercition capitaliste. Elle est presque à elle seule — il y a la concurrence aussi — la source du double fléau néolibéral, celui qui détruit les salariés du privé sous la contrainte de la rentabilité, celui qui détruit les services publics sous la contrainte de l’austérité. Le premier est lié au pouvoir des actionnaires formé dans le marché des droits de propriété, le second au pouvoir des créanciers formé dans les marchés obligataires.

    Pour rappel :

    Série Perspectives

    Quatre hypothèses sur la situation économique
    Frédéric Lordon 28 avril 2020
    De nombreuses personnes n’auront bientôt plus le choix qu’entre sombrer dans la misère ou bien en venir à des impayés systématiques qui, par effet de report entre agents, iront se propager n’importe où dans (...) → https://blog.mondediplo.net/quatre-hypotheses-sur-la-situation-economique

    Ils ne lâcheront rien
    F. L. 5 mai 2020
    Partout de salutaires appels, des tribunes, des textes : après devra être différent, nous ne retournerons pas à la normale, il faut ne pas redémarrer comme avant. C’est bien. L’ennui peut-être, c’est qu’on ne (...) → https://blog.mondediplo.net/ils-ne-lacheront-rien

    « En sortir » — mais de quoi et par où ?
    F. L. 10 mai 2020
    Sauf les demeurés, tout le monde comprend maintenant qu’on ne se tirera pas véritablement de la situation présente par des rustines de politique monétaire ou de report de taxes. L’origine de ce virus, son lien (...) → https://blog.mondediplo.net/en-sortir-mais-de-quoi-et-par-ou

    Problèmes de la transition
    F. L. 16 mai 2020
    Nicolas Hulot, passé à l’état de flaque de sirop, est répandu partout dans la presse. Macron laisse entendre qu’il réfléchit à un « green deal à la française ». Sur l’échelle ouverte de Richter du foutage de gueule, (...) → https://blog.mondediplo.net/problemes-de-la-transition

    Ouvertures
    F. L. 29 mai 2020
    Il n’y a pas de plan tout armé. Il n’y a que des exercices de méthode, et de conséquence. D’abord poser ce que nous tenons pour nos orientations fondamentales ou nos urgences catégoriques. Ensuite, enchaîner (...) → https://blog.mondediplo.net/ouvertures

  • Ils ne lâcheront rien | Frédéric Lordon
    Perspectives (2)
    https://blog.mondediplo.net/ils-ne-lacheront-rien

    Partout de salutaires appels, des tribunes, des textes : après devra être différent, nous ne retournerons pas à la normale, il faut ne pas redémarrer comme avant. C’est bien. L’ennui peut-être, c’est qu’on ne trouve pas la première analyse des conditions concrètes dans lesquelles ce « il faut » aura à se mouvoir. Disons-le tout de suite, elles sont adverses. En fait même : hostiles.

    Les Castors Juniors de 2022

    Des pour qui le problème n’existe même pas comme une possibilité d’inconvénient, ce sont les gens de partis « de gauche », excités comme poux dans la paille fraîche à l’idée de 2022, collés à Skype ou à Zoom pour un grand « brainstorming » sympa. Objectif : « le retour de la gauche (dont-les-idées-triomphent) ». « Les gars et les filles, voilà ce qu’on va faire : on va faire un chouette remue-méninge, tiens un Festival des idées où on se retrouvera tous, après on aura un programme, on trouvera un candidat, on sera tous unis autour de lui, du coup on va gagner les élections, et après, le monde, il sera plus comme avant ». Une vraie farandole — ils sont trop mignons.

    Sans surprise tous les organes du réformisme-démocratique poussent déjà à la roue avec le fol espoir de refaire un tas présentable avec les débris du PS, de liquider comme en 2017 la possibilité Mélenchon parce que, ça va sans dire, la gauche ne peut pas être europhobe et souverainiste, peut-être même donner la seconde chance qu’il mérite à Benoît Hamon, un ticket avec Yannick Jadot pour une belle alternative écologiste et solidaire, ou Julien Bayou, tiens, qui est jeune, ce serait formidable — une femme ce serait très bien aussi mais Sandra Regol est embêtée car « le mot “gauche” continue de [la] gêner » (c’est compréhensible). S’il le faut on ira chercher Christiane Taubira dont l’humanisme et le don de poésie ramèneront d’un coup l’union des gauches plurielles et le capitalisme à la raison...

    « Cul des ronces, sorti on n’est pas — dirait Yoda. »

    • Perspectives (1)
      Quatre hypothèses sur la situation économique
      https://blog.mondediplo.net/quatre-hypotheses-sur-la-situation-economique

      Alors c’est exact, à 25 % de taux de chômage en 2015, la société grecque n’a pas moufté non plus — manière de parler : les protestations n’avaient pas manqué. Était-ce parce que beaucoup estimaient que ce gouvernement « de gauche » ne pouvait pas être totalement mauvais, en tout cas qu’il était meilleur que les autres possibles ? Etait-ce parce que « moufter » aurait voulu dire — au moins — sortir de l’euro et que l’idée était encore trop vertigineuse ? Mais précisément : la société grecque se retapera-t-elle, tel quel, un taux de chômage à 25 % ? Car la deuxième fois n’est pas juste une deuxième première fois — surtout quand elles se suivent à si peu d’intervalle. À un moment tout de même, il y a les effets de cumul — et « la fois de trop ».

      Où en est la société française à cet égard, elle qui sort à peine des « gilets jaunes » et d’un mouvement social d’une longueur sans précédent — et ne donne donc pas d’indication d’une grosse réserve de sérénité pour encaisser un choc social supplémentaire ? Où se trouvent ses seuils à elle, ses limites de plasticité ? Quelles sont les tensions maximales qu’elle peut reprendre sans partir en morceaux ? — et quelles seront les tensions effectives qui vont lui être appliquées bientôt ?

      En réalité la question de savoir si, après, « tout sera différent » ou bien « pareil » n’a jamais eu beaucoup de sens. « Tout » sera ce que nous en ferons et rien d’autre. Évidemment, pour « en faire » quelque chose, il s’agit d’avoir l’idée de quoi — et puis après de monter les forces pour. Au moins dans la situation présente nous savons qu’il n’y a jamais eu autant sens à l’idée d’ajouter la puissance de renversement de la politique à l’impulsion renversante des choses.

      À suivre

    • L’Europe allemande frappe l’Europe latine

      Encore un mauvais coup de l’Europe allemande. La cour suprême de Karlsruhe vient d’interpeller la Banque centrale européenne. Elle lui reproche de sortir de son mandat en rachetant les dettes souveraines des États auprès des banques privées. Retenons d’abord l’essentiel. En mettant en cause cette politique du banquier central, la cour exerce une pression : elle laisse penser que ces décisions pourraient être remise en cause ou bien ne plus être possibles. Ce qui revient à pousser les agences de notation à dégrader la note des pays les plus endettés. Ce qui provoquera mécaniquement la hausse des taux d’intérêts auxquels l’argent leur est prêté par le « marché financier ».

      En pleine explosion des dettes souveraines, en pleine crise de la pandémie, c’est un énorme coup de poignard dans le dos des principaux concurrents économique de l’Allemagne en Europe. Car la France, l’Italie et l’Espagne qui seraient étranglées par cette politique sont les deuxième, troisième et quatrième économie du continent. Il est clair que l’Allemagne connait les conséquences de sa politique. On peut donc la lire soit comme une démonstration du caractère morbide de sa volonté de puissance en Europe, soit comme un acte conscient de contribution au démantèlement d’une Union européenne qui lui a désormais assez servi à restaurer sa domination pour qu’elle puisse s’en passer après détruit ses voisins.

      Un calcul nationaliste de cette sorte est naturellement désastreux à l’heure du suprême bras de fer qui se joue entre Chine et USA quand le continent européen est menacé d’être un simple terrain de jeu. Les Allemands, au contraire des Français, pensent avoir les moyens de jouer seuls leur partition dans ce jeu. Nous n’avons aucune chance dans cette partie avec des dirigeants comme nous en avons. Ni avec la « classe politique » dominante de notre pays eurobéate, incapable de lucidité ni de comprendre, fusse du point de vue de leurs objectifs, le fait national, la volonté de puissance qu’il ne comporte intrinsèquement ni le point d’appui que cela représente pour la sauvegarde de la France. La comédie va continuer : qui ne bée pas d’admiration sera classé comme nationaliste anti-européen et ainsi de suite. Comme depuis le début de l’hallucination collective et jusqu’à la disparition politique de notre pays.

      La démarche allemande est habile. Elle demande si la BCE applique les traités en pratiquant ces rachats. De cette façon, elle ne donne pas l’impression de continuer le jeu des pressions directes que son gouvernement exerçait sur le même thème. Mais il s’agit bel et bien d’une pression politique pourtant interdite par les traités. Pour la troisième fois dans l’Histoire longue, un gouvernement allemand détruit méthodiquement ses voisins et l’avenir politique du continent.

      https://melenchon.fr/2020/05/05/leurope-allemande-frappe-leurope-latine

    • Il nous faut donc aujourd’hui, de façon urgente, entamer un véritable dialogue avec l’Allemagne avec laquelle il faut parler franc. Nous avons les moyens de sortir par le haut de cette crise qui porte en elle de très graves dangers. Il faudra prendre des mesures audacieuses et faire preuve d’une grande hauteur de vue. Envisager de profonds changements dans le fonctionnement de l’euro si nous pensons qu’il doit être sauvé. Peut-être abandonner la monnaie unique pour passer à la monnaie commune afin de nous donner de véritables marges de manœuvre afin de faire vivre et de développer des économies profondément différentes.

      L’histoire s’accélère, ne la laissons pas nous échapper.

      https://www.lefigaro.fr/vox/politique/l-allemagne-veut-faire-de-l-euro-un-deutschmark-bis-20200506