• Brésil : avec le confinement, la bourgeoisie découvre les tâches ménagères
    Chantal Rayes, Libération, le 8 mai 2020
    https://www.liberation.fr/planete/2020/05/08/bresil-avec-le-confinement-la-bourgeoisie-decouvre-les-taches-menageres_1

    Non que l’on épie le voisinage, mais il faut bien le dire, le spectacle de la bourgeoisie blanche brésilienne s’adonnant aux tâches ménagères, ça accroche le regard. Samedi soir, dans un bel immeuble en béton brut. Chiffon à la main, une jeune femme, de celles qui sont nées pour être servies, s’attaque aux vitres de la cuisine, pendant que son conjoint passe la serpillière. Ils auront résisté jusqu’au bout, avant de se résoudre, Covid-19 oblige, à se passer de l’armada de domestiques à leur service. Et c’est un choc culturel pour ces 11% de foyers qui emploient les 6,5 millions de travailleurs domestiques du Brésil. En grande majorité des travailleuses, de couleur.

    La « domestica » est si ancrée dans l’imaginaire national qu’elle a son jour à elle (le 27 avril) dans le calendrier brésilien des commémorations. Souvent, l’intéressée elle-même trouve inconcevable que madame, monsieur nettoient les WC, fussent-ils les leurs. Plus maintenant. Le confinement a radicalement changé le mode de vie. Du moins provisoirement. La bourgeoisie découvre cette pièce de la maison où elle ne mettait jamais les pieds : la buanderie. La lessive, le ménage, « ça irrite les mains », justifie Ligia Kogos, la dermato des riches de São Paulo, dont la clinique reste ouverte malgré la quarantaine. Seuls 2% des Brésiliens disposent d’un lave-vaisselle. A quoi bon, quand on a la bonne ? « Si j’avais su… » soupire D., un cadre qui termine ses journées derrière l’évier. Dans le partage des tâches (l’autre nouveauté du confinement), madame se charge du linge, mais a aboli le repassage. Maintenant qu’on s’y colle, on est moins exigeant. On s’équipe. Sur Google, les recherches sur les aspirateurs robot ont quadruplé. Et dire que Cleide trouvait la bonne trop « lente »… « Je me rends compte du temps que ça prend, les tâches domestiques », confie candidement cette pédiatre à la Folha de S. Paulo, tandis que Mayra, cadre, avoue se sentir « mal » dans son rôle de patronne, qui « semble dériver de notre passé esclavagiste ».

    Selon un sondage, 70% des foyers ayant recours au travail domestique y ont renoncé en raison de la quarantaine, mais seulement 39% d’entre eux ont maintenu la paye de la bonne (un chiffre probablement surévalué), pendant que les 30% restants ont licencié leur employée. Sans indemnités, puisque l’écrasante majorité des domesticas – mais aussi des diaristas, les femmes de ménage à la journée, encore plus précarisées – n’est pas déclarée. Reste un bon 30% de patrons qui, Covid-19 ou pas, ne se passent pas de la bonne, confinée avec eux. Telle cette domestica décédée à Rio, après avoir été infectée par sa patronne revenue d’Italie, qui n’avait pas jugé bon de la prévenir de son état de santé. L’affaire avait fait grand bruit, poussant les syndicats à appeler à « libérer la bonne ». D’autres services jugés essentiels par les riches ont été maintenus. Tel le gardiennage de leurs immeubles ultra-sécurisés ou encore ces hommes de ménage qui nettoient les parties communes et vont d’étage en étage pour retirer la poubelle…

    #coronavirus #Brésil

    • J’étais en confinement dans une famille petite-bourgeoise qui reçoit chaque semaine pendant une demi-journée une dame noire qui nettoie leur maison... Au début, toute la charge de travail s’est retrouvée sur la maman, bien sûr, et il a fallu se mettre autour d’une table pour partager les tâches. Et là les deux filles (17 et 19 ans), qui n’avaient jamais fait plus de ménage que range ta chambre, débarrasse la table et vide le lave-vaisselle, ont appris à voir les tâches domestiques et à prendre leur part (ce que le papa savait déjà faire). C’était assez classe, belle expérience pour tout le monde. Sauf que personne n’a réussi à soulager la maîtresse de maison du rangement quotidien des parties communes, qui est un truc un peu trop fin.
      #ménage #inégalités #emploi_domestique #service

      J’avais déjà lu des trucs sur cette épidémie en deux temps dans des écrits de militant·es du Brésil : classes aisées mondialisées qui ramènent le virus dans leurs valises hypermobiles puis classes populaires incapables de se confiner (logements exigus et nécessité de sortir bosser).