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  • Travailler en #Chine au temps du Covid-19
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    À quel prix et dans quelles conditions une partie de l’activité économique a-t-elle été maintenue lors du confinement en Chine ? Cet article met en lumière la mobilisation des médias par le régime, coexistant avec des logiques politiques et marchandes spécifiques de la Chine.

    #International #santé #travail #épidémie
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    • À partir de la fin janvier 2020, pour stopper la diffusion du Covid-19, la Chine met à l’arrêt ses usines, ses bureaux, ses commerces et ses transports ; la population reste strictement cloîtrée chez elle pendant de longues semaines. Pourtant, en Chine comme ailleurs dans le monde confiné, l’arrêt n’est pas total. À Wuhan, où l’épidémie débute, 12 % des actifs continuent à travailler. Une enquête nationale indique que 10 % des salariés sont à leur poste à la fin janvier pendant le Nouvel An chinois, 36 % reprennent le travail en février et 28 % en mars. À quel prix et dans quelles conditions une partie de l’activité économique a-t-elle été maintenue ? Telle est l’ambition de ce texte consacré à celles et ceux qui sont restés à leur poste de travail pendant les semaines de confinement.

      Examiner dans quelles conditions certains ont continué à travailler permet de mieux comprendre comment l’économie chinoise va redémarrer et préfigure peut-être ce qui attend de nombreux autres pays. La question est d’autant plus cruciale en Chine que l’emploi est un enjeu majeur pour le régime qui fonde sa légitimité sur la stabilité sociale. « L’emploi est la priorité absolue pour stabiliser l’économie », a récemment fait valoir le premier ministre Li Keqiang. Le pays est d’ores et déjà confronté à une dégradation sans précédent du marché du travail. La situation est d’autant plus complexe à résoudre que les services représentent aujourd’hui 54 % du PNB et contribuent à 60 % de la croissance. Le gouvernement ne pourra donc pas avoir recours à des investissements massifs dans les infrastructures de transport et la construction, outils de relance mobilisés dans le passé. Pour éviter une crise sociale, il faudrait à la fois que les travailleurs migrants d’origine rurale retrouvent leurs emplois industriels et dans les services urbains, souvent informels, et que les jeunes diplômés parviennent à s’insérer. Le défi est immense.

      Une lecture extensive de la presse chinoise de ces derniers mois livre à la fois des témoignages de travailleurs, le point de vue officiel et révèle aussi en creux les questions passées sous silence. La presse est donc prise comme une source d’informations à la fois sur la réalité du travail et sur sa mise en scène par le pouvoir politique.

      La mise en avant des invisibles

      En Chine comme ailleurs, les travailleurs mobilisés pendant la pandémie sont des personnels quasi invisibles en temps normal. Il s’agit en particulier de femmes occupant des emplois modestes, célébrées à l’occasion du 8 mars. Ce jour-là, sur son compte Weibo, le Quotidien du Peuple publie une série de photos (voir ci-dessus) accompagnées du texte suivant :

      Elle est policière et assure la sécurité du pays. Elle est agent de nettoyage toujours en activité. Elle est soignante envoyée à Wuhan la veille du Nouvel An. Elle est architecte à l’origine de la construction d’un hôpital… Elles sont au premier rang pour combattre l’épidémie ; elles assument de lourdes responsabilités sur leurs épaules. Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée de la femme, envoyons-leur un message pour leur rendre hommage !
      Au 29 mars, ce message a été vu plus de 30 millions de fois, et provoqué plus de 20 000 commentaires d’internautes. Cette publication est l’un des points culminants des opérations de visibilisation et de reconnaissance des travailleurs au temps du Covid-19.

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      Portraits de femmes mobilisées
      https://ln.qq.com/a/20200316/040317.htm
      Les personnels de santé, désignés par l’expression « les anges habillés de blanc » (白衣天使), déjà abondamment utilisée lors de la crise du Sras en 2003, sont sur la première ligne dans la lutte contre l’épidémie. En 2018, Wuhan est médicalement bien équipée (9 lits d’hôpital pour 1 000 habitants) ; elle compte 110 000 professionnels de santé, dont 40 000 médecins praticiens et 54 434 infirmiers. À la fin janvier, des renforts sont néanmoins envoyés de tout le pays (voir la carte ci-dessous) ; 42 000 nouveaux soignants arrivent dans la province du Hubei, dont 35 000 dans la seule ville de Wuhan. Ils demeurent sur place entre 18 et 50 jours. C’est sur la base du volontariat que les soignants sont mobilisés, et l’offre est tellement nombreuse que certains membres du Parti regrettent de ne pas être sélectionnés. Dans la province du Fujian, une infirmière décrit les difficultés rencontrées ; « Je suis membre du Parti, laissez-moi m’y rendre ! » s’exclame-t-elle. De nombreux soignants non encore membres soumettent des demandes d’adhésion avant de partir au Hubei, utilisant l’expression « joindre le Parti sur la ligne de feu » (火线入党). La province du Guangxi envoie ainsi 962 soignants au Hubei, dont 884 membres du Parti, parmi lesquels 474 sont de nouveaux membres. Le Parti communiste se saisit donc de la crise sanitaire comme une opportunité pour grossir ses rangs.

      Les deux tiers des personnels envoyés sont des femmes. Alors que leur visage disparaît derrière lunettes et masque, et que leur corps est dissimulé par des vêtements de protection, la presse célèbre leur « beauté » (美) pour mieux exalter le sacrifice de leurs rôles sociaux d’épouses et de mères. Force est de constater que la « beauté » des soignantes est surtout symbolique et sociale, comme si leur contribution à la lutte contre le Covid-19 ne pouvait être reconnue que lorsqu’elles sont prêtes à sacrifier leur beauté. 18 infirmières originaires de Jianyang (Sichuan) ont par exemple décidé de « couper collectivement leurs cheveux longs bien-aimés ». De longs passages sont consacrés à décrire leur tristesse : « bien que j’aime beaucoup mes cheveux longs, je pense qu’en tant que professionnel de santé, c’est un moment où nous sommes nécessaires et ne devons pas hésiter à ‘nous alléger pour aller au combat’ pour mieux lutter contre l’épidémie ». La reconnaissance témoignée aux personnels féminins de santé passe par le sacrifice de leur féminité, comme le suggère également une photo de l’équipe médicale de la province du Gansu : 14 femmes au crâne rasé et un seul homme conservant ses cheveux (voir ci-dessous).