• Pierre Charbonnier : « L’écologie ne nous rassemble pas, elle nous divise »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/14/pierre-charbonnier-l-ecologie-ne-nous-rassemble-pas-elle-nous-divise_6039590

    La stratégie de la communion universelle est assez ancienne dans la mouvance environnementaliste, mais aujourd’hui elle crée le malaise, en particulier dans les rangs écologistes les plus conséquents, car l’unanimité dont elle se prévaut est feinte, incantatoire, et inefficace.

    On peut même craindre que cette stratégie soit contre-productive. Et s’il en va ainsi, c’est parce qu’elle occulte une vérité un peu plus inconfortable : l’écologie, c’est-à-dire la volonté de rendre la reproduction d’une société des égaux et la reproduction du milieu compatibles à long terme, nous divise bien plus qu’elle nous rassemble.

    #Pierre_Charbonnier #écologie_politique #écologie

  • « Au lieu de déconfiner l’école, ouvrons-la sur le dehors, sur la société », Barbara Cassin, Victor Legendre
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/14/au-lieu-de-deconfiner-l-ecole-ouvrons-la-sur-le-dehors-sur-la-societe_603958


    Dans une école primaire de La Grand-Croix (Loire), le 12 mai. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

    La philosophe Barbara Cassin et son fils, l’anthropologue Victor Legendre, proposent, dans une tribune au « Monde », que l’école du déconfinement soit une école de la découverte, dans le strict respect des règles sanitaires, des lieux de culture et des espaces de liberté, aujourd’hui fermés.

    Tribune. Que veut le gouvernement en rouvrant les écoles le 11 mai ? Eviter l’écroulement de la nation en remettant un maximum de Français au travail. Pourquoi ça risque de ne pas marcher ? Parce que les enfants ne sont pas les variables d’ajustement d’une politique volontariste.
    Placer la santé et le bien-être des enfants avant l’économie, quoi qu’il en coûte ? Chiche ! Alors inventons et soyons généreux.

    Refusons cette double logique d’enfermement : d’abord confinés à la maison pendant deux mois, puis maintenant gardés à l’école jusqu’à l’été. Refusons cette injonction perverse : la reprise des enfants se fera sur la base du volontariat, mais les parents qui refuseront de mettre leur enfant à l’école perdront leur droit au chômage partiel. A moins que le chef d’établissement ne leur fasse un mot d’excuse en reconnaissant qu’il est incapable de faire son devoir d’accueil !

    Une autre solution est possible : proposer une école ouverte, à mi-chemin entre la rentrée des classes et les vacances. Au lieu de déconfiner l’école, en 54 pages de recommandations difficilement tenables, qui instaurent de nouvelles contraintes de confinement, ouvrons-la sur le dehors, c’est-à-dire sur la société. Et, quand c’est possible, sur la nature. Refusons d’enfermer !

    Changeons de rythme, inventons !

    Les enfants méritent mieux que d’être parqués dans des lieux clos. Les professeurs, les instituteurs, méritent mieux que de faire de la garderie et du flicage. Au lieu d’accueillir à grand-peine quelque 15 % des effectifs dans des locaux réaménagés à la hâte, ouvrons à tous les enfants les lieux de culture et les espaces de liberté, aujourd’hui inutiles et vidés de leur sens. Dans le strict respect des règles sanitaires, ouvrons pour eux les bibliothèques, les universités, les musées, les théâtres, les salles de cinéma, les parcs et les jardins, les complexes sportifs, les plages, avec les personnels et les professionnels qui sont aujourd’hui au chômage partiel. Tous ceux qui savent et peuvent travailler avec les enfants, des assistants maternels aux enseignants et aux bibliothécaires, des éducateurs sportifs aux moniteurs et aux animateurs de centre aéré, des gardiens de parc et de musée aux intermittents du spectacle, faisons-les tous participer à ce grand projet.

    Les élèves décrocheurs, ceux qui sont sortis des radars virtuels, auront l’occasion de voir et d’aimer ce qu’ils n’ont peut-être encore jamais vu. La culture pour tous, c’est le moment ! Prônons un déconfinement par l’ouverture totale de ce qui leur est si souvent fermé. Faire ainsi accéder au monde, c’est réduire les inégalités sociales. Les parents éduquent et l’école instruit ? Peut-être. Mais, pendant cette crise, oublions l’évaluation et la compétition, mélangeons les cartes. Proposons une réponse collective. Vacances ou pas vacances, changeons de rythme, inventons ! Que l’école ouverte pour tous commence. Et, à la fin de cet épisode de pandémie, nous aurons marqué les esprits.

    A la question « que faire des enfants ? », une réponse : ouvrons-leur le monde. On parle du monde d’après, mais c’est aujourd’hui demain !

    Barbara Cassin, philologue, philosophe et médaille d’or du CNRS, a été élue en 2018 à l’Académie française. Elle a notamment écrit « Eloge de la traduction. Compliquer l’universel » (Fayard, 2016) et « Quand dire, c’est vraiment faire : Homère, Gorgias et le peuple arc-en-ciel » (Fayard, 2018).
    Victor Legendre enseigne à l’université Nice-Sophia-Antipolis, il est également entrepreneur.

    #école #école_hors_les_murs

  • « La médecine des personnes âgées ne peut pas tourner indéfiniment le dos à la liberté et à la mort », Philippe Bataille sociologue (EHESS) et président de l’association Vieux et chez soi
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/05/14/la-medecine-des-personnes-agees-ne-peut-pas-tourner-indefiniment-le-dos-a-la

    La crise sanitaire qui a touché les Ephad doit permettre de construire un autre projet de société qui tienne compte de ce que souhaitent nos aînés pour eux-mêmes, estime dans une tribune au « Monde » le sociologue Philippe Bataille.

    Tribune. Pensons à cette femme de 102 ans qui est hospitalisée. Elle dit ne plus vouloir vivre. Elle réclame sa mort sans jamais avoir perdu la tête. L’euthanasie se fera, mais pas maintenant ni ici. La dame était si tenace qu’elle a choqué le service de long séjour. Ses soignants n’ont pas admis sa demande. Plus tard, ses proches l’ont emmené en Belgique pour qu’un médecin réalise son projet d’une mort douce entourée des siens.

    Qu’en dire aujourd’hui ? Tant de métiers interviennent au bout de la vie. La longévité qui tient à des personnalités exceptionnelles est aussi une question de médecine, d’argent, d’administration et de formation des professionnels qui entrent dans la vie des vieillards. Vivre plus de cent ans repose sur des épaules autres que les siennes.

    Bien que très vulnérable, la dame s’appuyait sur ses fragilités pour nommer l’échéance de son existence. Sa revendication n’était ni individualiste, ni utilitariste, ni même égoïste. La centenaire ne voulait pas attendre la mort plus longtemps. Or, il n’est pas rare que des vieillards demandent à mourir. Combien de résidents en Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] se laissent glisser chaque année ? Combien de temps cela leur prend-il ? Dans quelles conditions ? Qui les accompagne humainement ? Activement ? Nul ne connaît ces chiffres.

    Vivre vieux est un choix personnel

    Rencontrons cette autre femme qui a également 102 ans. La dame ne me serre pas la main au moment où nous nous croisons. Elle précise ne pas vouloir me parler de manière rapprochée. Le matin, elle m’avait interdit l’accès à sa chambre le temps d’une conversation que j’avais sollicitée. Elle s’explique au sortir de la salle de restaurant puisque le règlement intérieur de son établissement de vieillesse impose qu’elle s’y rende midi et soir faisant que tout le bâtiment est entièrement brassé dans ces moments de convivialité imposée.
    A ce jour, la vieille dame est intacte alors que le Covid-19 a sévèrement contaminé le tiers des résidents avec de nombreux décès.

    A posteriori, je comprends qu’elle a eu des gestes élémentaires de prudence sanitaire dont je n’avais pas mesuré toute l’importance. Son refus d’une visite supplémentaire à celles, déjà nombreuses, qu’on lui imposait quotidiennement m’apparaît aujourd’hui être la meilleure réponse aux questions que je m’apprêtais à lui poser.

    La longévité tient à celui qui en fait l’expérience. Vivre très vieux relève d’un choix personnel auquel tous les âgés ne consentent pas toujours sans qu’ils décident de l’interrompre pour autant. De même que vivre vieux ne s’oppose pas à son strict inverse qui peut être une volonté de mourir en étant dignement accompagné.

    Encourir des risques

    Entendons cette autre femme de 103 ans qui vit chez elle en n’étant jamais seule. Mais cela lui est devenu insupportable. Elle est gardée vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Son dispositif de garde et de soins nécessite plus d’argent qu’un Ehpad qu’elle a toujours refusé de rejoindre. La surveiller jour et nuit mobilise trois emplois à temps plein. Longtemps, elle y a consenti, mais elle souhaite changer la formule.
    Sans tout remettre en cause ni réclamer mourir, elle entend disposer d’une plage horaire suffisamment longue pour demeurer seule dans son appartement parisien qu’elle aménage selon ses goûts, il est vrai sans tenir compte de l’avis de ses aidants ni des précautions que sa famille lui rappelle en permanence.

    Elle a bien conscience que sa demande d’être seule l’expose à de multiples dangers, mais elle dit aussi qu’elle se sent prête à encourir des risques que sa fille unique de plus de 70 ans intègre péniblement. Au moment d’interroger la vieille dame sur ses motivations de réduire sa garde, elle répond : « Ça s’appelle la Liberté ! »

    La centenaire réclamait son droit fondamental d’être à l’image de son existence, par exemple en ayant été une des premières femmes alpinistes après avoir traversé l’Europe avec son bébé pour fuir ensemble les dictatures qu’elles subissaient. La dame revendiquait son besoin de se sentir vivante à elle-même dégagée du souci que les autres ont pour elle. Sans quoi vivre perdait du sens à ses yeux et coûtait bien trop d’argent de son point de vue.

    Impréparation institutionnelle à la mort des vieillards

    Vivre librement au bout de l’âge avancé fait se rapprocher ces trois femmes dont la vieillesse diffère. Toutes trois disent une même chose. L’une en voulant mourir, l’autre en voulant vivre et leur aînée en s’émancipant du principe de précaution qui vide son existence de son sens.

    La médecine du vieux (Aidé ou bien abandonné, plus ou moins soutenu par des aidants) en institution et à domicile ne peut pas tourner indéfiniment le dos à la liberté et à la mort.

    Mourir très âgé tient à des anticipations qui ne sont pas que des précautions, mais aussi à des compétences en soins palliatifs et à de la formation professionnelle, aux directions d’établissements et à des produits pharmaceutiques, dont l’oxygène qui améliore le confort d’un départ. Précisément tout ce qui a cruellement manqué dans l’hécatombe de Covid-19 qui a saigné la génération des anciens qui ont entre 80 et 100 ans aujourd’hui.

    L’épidémie mortelle met à jour de manière sidérante l’impréparation institutionnelle à la mort des vieillards. Apprenons du drame collectif d’aujourd’hui que le temps est venu de construire un autre projet de société en rapport avec ce que chaque vieux réclame pour lui-même, parfois en changeant d’avis ou d’opinion et s’il fait le choix de mourir en n’acceptant plus sa longévité. Ne répétons pas les erreurs qui nous ont conduits à la mort en cascade de tant de vieillards qui revendiquent leur liberté de penser et d’agir.

    #longévité #mourir #veillardes