• #Sinophobie et #racisme anti-asiatique au prisme de la #covid-19

    La propagation de la pandémie à l’échelle mondiale a mis au jour le racisme vis-à-vis des personnes perçues comme « Asiatiques ». Si les propos et les gestes anti-asiatiques dans les pays occidentaux proviennent en partie du vieux fantasme du « #péril_jaune », l’#hostilité à l’égard des populations chinoises, surtout en #Asie de l’Est et du Sud-Est, est un phénomène relativement récent du rejet de la #domination politique et économique de la #Chine.

    Une « minorité modèle » face au racisme

    En France et dans de nombreux pays occidentaux, les Asiatiques ont souvent été considérés comme une « minorité modèle », c’est-à-dire une minorité « bien intégrée », qui réussit économiquement et qui progresse dans l’échelle sociale à travers les générations. L’étiquette de minorité modèle a des effets pervers, notamment dans la production d’attentes sociales trop élevées et caricaturales pour les enfants asiatiques, ceux-ci grandissant avec l’idée selon laquelle il n’y aurait qu’une seule façon d’être asiatique1. D’autre part, l’impression qu’ils « s’en sortent mieux » tend à occulter ou atténuer leurs expériences de racisme. Ainsi, pendant longtemps, au moins en France, les Asiatiques ont été exclus du champ des mouvements antiracistes. Depuis la mort de couturier Zhang Chaolin en 2016 à Aubervilliers, quelques collectifs ont été fondés pour dénoncer le racisme anti-asiatique, souvent exprimé par les agressions et les vols violents. Aujourd’hui, la pandémie liée au coronavirus révèle de nouvelles dimensions du racisme anti-asiatique. Comme l’exprime le hashtag « JeNeSuisPasUnVirus », une française adoptée d’origine Corée du Sud, dont le témoignage a été publié par la cinéaste Amandine Gay le 27 janvier 2020 sur Twitter :

    https://twitter.com/OrpheoNegra/status/1221706803836280832?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E12

    Avec ce hashtag, l’auteure, avec qui nous nous sommes entretenue, voulait inciter à partager des témoignages, ce qui semble avoir fonctionné puisqu’il a été relayé par de nombreux jeunes Asiatiques sur les réseaux sociaux. Au fur et à mesure que la pandémie s’est étendue au monde entier, l’ampleur des actes contre des personnes perçues comme asiatiques s’est intensifiée à l’échelle mondiale. Dans quel sens la sinophobie (aversion pour la Chine) et le racisme anti-asiatique (racisme vis-à-vis les personnes perçues comme Asiatiques) s’alimentent-ils l’un et l’autre ? Nous proposons de décortiquer ces stéréotypes, représentations et sentiments à des échelles variées afin de comprendre ce processus de racialisation particulièrement mis en lumière par la pandémie de covid-19.
    Le « péril jaune », revitalisation d’un vieux fantasme dans l’espace médiatique

    Tout d’abord, le processus de racialisation des personnes asiatiques se fonde sur la revitalisation des stéréotypes qui créent de l’altérité à l’égard de la Chine et de la population chinoise dans la représentation médiatique. Ainsi, peu après l’annonce du confinement à Wuhan, le 26 janvier, le Courrier Picard titre en une de son journal « Coronavirus chinois : alerte jaune », et publie le même jour un éditorial intitulé « Le péril jaune ? ». Une telle évocation de ce vieux fantasme implique la racialisation des populations chinoises en France et génère de la haine et du rejet. L’embrasement médiatique a alors porté sur toutes sortes de fantasmes liés aux pratiques culinaires des Chinois, considérées comme arriérées, sinon barbares. Sur les réseaux sociaux, on assiste à un déferlement de publications sur les habitudes alimentaires des personnes chinoises ou supposées telles, créant un amalgame entre la consommation d’animaux sauvages en Chine et les restaurants des immigrés chinois à l’étranger.

    En construisant une hiérarchie entre, d’un côté, des pratiques culinaires décrites comme exotiques et archaïques et, d’un autre, les habitudes européennes, considérées comme civilisées et supérieures, ces clichés renforcent l’altérisation des personnes perçues comme asiatiques.

    Le phénomène n’est toutefois pas nouveau. Le cliché des Asiatiques qui mangeraient des animaux domestiques, par exemple, est bien connu de la population d’origine asiatique en France. En construisant une hiérarchie entre, d’un côté, des pratiques culinaires décrites comme exotiques et archaïques et, d’un autre, les habitudes européennes, considérées comme civilisées et supérieures, ces clichés renforcent l’altérisation des personnes perçues comme asiatiques. Ainsi, dans de nombreux pays (France, Angleterre, Canada, Japon…), un nombre important de restaurants chinois a été confronté à une chute dramatique de leur chiffre d’affaires à cause du rejet des consommateurs. Les commerces alimentaires chinois, et dans une moindre mesure les autres restaurants asiatiques (japonais, vietnamiens, thaïlandais, etc.) ont ainsi été les premières victimes de ce racisme basé sur des préjugés sanitaires. Le processus de racialisation et d’altérisation s’est également accompagné d’une déshumanisation des populations chinoises. Les propos du journaliste Emmanuel Lechypre, lors de la commémoration des victimes du Covid-19 en Chine le 3 avril sur BFMTV, en témoignent : « Ils enterrent les Pokémon », avait-il commenté, déclenchant des réactions immédiates parmi les populations asiatiques.

    Tout change et rien ne change. Si ces clichés essentialistes sont loin d’être nouveaux, la propagation du nouveau coronavirus a toutefois produit un contexte favorable à la diffusion de paroles et d’actes racistes envers les personnes d’origine chinoise et, plus largement, d’origine asiatique.
    Agressions racistes envers des personnes « Asiatiquetées »

    Au-delà des réseaux sociaux où les paroles racistes se libèrent et les clichés se banalisent, cette xénophobie va de la prise de distance dans l’espace public aux agressions verbales ou physiques. Notre enquête en cours avec des immigrés chinois en région parisienne révèle la diversité de ces agressions. Parmi les personnes interrogées, beaucoup soulignent leur réticence à porter un masque de crainte d’être la cible d’agressions ; une partie choisit d’y renoncer pour éviter le risque, l’autre l’utilise mais se sent mal à l’aise. Une femme témoigne d’agressions verbales telles que « corona ! » dans la rue. Des enfants asiatiques ont été également harcelés à l’école, certains ont été appelés « virus »2.

    De l’Europe à l’Amérique du Nord, les médias ont fait état d’agressions verbales voire physiques vis-à-vis non seulement de Chinois ou de personnes d’origine chinoise, mais aussi de Singapouriens, Thaïlandais, etc. En Italie, plusieurs cas d’agressions ont également été rapportés, l’un d’eux ayant conduit la victime à l’hôpital. Une élue italienne a publié des propos racistes sur son compte Twitter, désignant les Chinois comme les responsables du virus. Aux États-Unis, notamment en Californie, où résident de nombreuses communautés immigrées originaires d’Asie de l’Est, le nombre de cas d’agressions verbales et physiques racistes rapporté par semaine était de plus de 600 fin mars et a dépassé 1 400 en avril.

    Cette hausse des agressions visant les Asiatiques aux États-Unis est indéniablement une conséquence directe de la « politisation du virus ».
    La politisation du virus à l’échelle internationale

    La crise sanitaire a également provoqué une hostilité vis-à-vis de la globalisation incarnée par la Chine, ainsi que le révèle le débat autour de la dénomination de « China virus » ou « Wuhan virus ».

    En 2015, l’OMS a publié une recommandation sur la dénomination des épidémies. Dans ce guide, l’OMS déconseille clairement de nommer des maladies par le nom d’une population, d’un animal, d’une région ou d’un aliment. Ce guide des bonnes pratiques a été précisément réalisé pour éviter les actions discriminatoires et/ou stigmatisantes. Or, depuis le début de la pandémie, le président américain Donald Trump insiste pour nommer ce virus le « virus chinois ». La provocation de Trump s’inscrit dans la stratégie anti-Pékin clairement exprimée depuis son élection, qui tente de défendre la position hégémonique des États-Unis dans l’ordre international face à une puissance chinoise qui s’impose. Cela renforce également la légitimité de la guerre commerciale contre la Chine et interpelle indirectement une composante importante de son électorat : les ouvriers blancs sensibles aux revendications du « Buy American ». Néanmoins, la diabolisation de la Chine par l’appellation « China virus » catalyse également la haine contre toutes les personnes « Asiatiquetées », ce qui explique le nombre important d’agressions.

    La pandémie a non seulement incité les populations à affirmer leurs frontières géographiques et symboliques avec la Chine, mais a également redessiné les frontières internes entre les « nous » et « ils » au sein de ces sociétés qui ont des échanges intenses avec la Chine.

    Dans une moindre mesure, cette hostilité contre la Chine s’observe également en Asie de l’Est, région particulièrement liée aux influences économiques et politiques chinoises. À Taïwan et à Hong Kong, la peur de la pandémie se greffe notamment sur la tension politique avec Pékin et se traduit par un rejet des citoyens chinois. D’un côté, à Hong Kong, début février, les aide-soignants appellent à la fermeture de frontières avec la Chine en se mettant en grève ; de l’autre, à Taïwan, un vif débat sur « qui peut rentrer à Taïwan et bénéficier de la sécurité sociale » s’enflamme, excluant notamment les citoyens chinois ayant épousé des Taïwanais et leurs enfants ayant la nationalité chinoise. Autrement dit, la pandémie a non seulement incité les populations à affirmer leurs frontières géographiques et symboliques avec la Chine, mais a également redessiné les frontières internes entre les « nous » et « ils » au sein de ces sociétés qui ont des échanges intenses avec la Chine.

    Outre la haine et la peur provoquées par la pandémie, la colère contre le gouvernement chinois, perçu comme responsable de la pandémie mondiale, incite également à critiquer l’impact politique et économique de la Chine. Ainsi, en avril, sur Twitter, les jeunes internautes thaïlandais lancent le hashtag « Milk Tea Alliance » pour revendiquer une solidarité entre les jeunes en Asie. Bien que le débat ait commencé par des propos ironiques sur le patriotisme des jeunes Chinois, la discussion a rapidement convergé avec d’autres critiques à l’encontre de la Chine, notamment le projet chinois des Barrages sur le Mékong. Considérant la pandémie de la covid19 comme relevant de la responsabilité du régime chinois, ces jeunes reprennent à leur compte l’appellation du « Virus Wuhan » ou « Virus Chinois ». Au Japon, le deuxième partenaire commercial de la Chine, le gouvernement a manifesté sa volonté de freiner la dépendance économique à l’égard de la Chine en annonçant les retraits des investissements des entreprises japonaises en Chine. En somme, le covid-19 a provoqué une crainte de la mondialisation incarnée par la Chine. Il importe ainsi d’analyser si ces émotions se traduisent par un développement de l’hostilité et de la stigmatisation à l’égard des touristes et des commerçants chinois, possibles agents de cette globalisation chinoise en Hexagone.
    Des stratégies défensives « par le haut » et « par le bas »

    De cette analyse, il ressort ainsi trois mécanismes qui contribuent à la stigmatisation et à l’exclusion des personnes chinoises et/ou asiatiques (ou perçues comme telles) pendant la crise sanitaire : la construction médiatique de l’infériorité et de l’altérité à travers le fantasme du « péril jaune » ; les agressions racistes visant toutes les personnes « asiatiques » et leur assimilation à la Chine ; enfin, l’instrumentalisation de sentiments anti-Pékin au service de politiques ou de discours xénophobes. Tandis que les deux premiers phénomènes sont déjà plus ou moins connus et documentés, le troisième s’avère être un mécanisme novateur du racisme révèle par la pandémie. Ainsi, les anciennes et les plus récentes formes du racisme anti-asiatique provoquent des stratégies défensives au registre variés : d’un côté, en France comme dans d’autres pays, les personnes asiatiques s’organisent pour dénoncer les représentations racialisées, à l’instar de la mobilisation virtuelle autour du slogan « #JeNeSuisPasUnVirus ». D’un autre, depuis février, l’appareil diplomatique d’État chinois se mobilise pour promouvoir un autre récit de la pandémie dans lequel la Chine devient une puissance de l’aide humanitaire internationale et un modèle de gestion de crises sanitaires. Celle que nous traversons Covid-19 révèle à quel point la perception de la politique chinoise alimente le racisme anti-chinois et asiatique. L’enjeu à venir sera d’observer si ces deux approches « par le haut » et « par le bas » vont converger ou s’opposer, jusqu’à une réorganisation de la solidarité et des alliances entre les « Chinois », les « Asiatiques », les « Chinois d’outre-mer », les « Chinois de France », avec ou sans les autres minorités racisées.

    http://icmigrations.fr/2020/05/15/defacto-019-01
    #xénophobie #coronavirus #racisme_anti-asiatique

  • État d’urgence sanitaire : les #quartiers_populaires sous pression policière

    Avec l’instauration du #confinement et de l’#état_d’urgence_sanitaire, l’accès à l’#espace_public a été considérablement restreint. Mais son contrôle, assuré par la #police et la #gendarmerie, renforce les traitements discriminatoires et racistes vis-à-vis des populations les plus pauvres.

    La crise provoquée par l’épidémie de coronavirus fait ressortir avec éclat la #gestion_policière des quartiers populaires et ses conséquences pour leurs habitants. Les mesures de confinement puis l’état d’urgence sanitaire adopté le 24 mars 2020 ont en effet profondément reconfiguré l’accès des personnes à l’espace public, notamment par la mise en place d’une restriction des déplacements, l’une des plus sévères d’Europe occidentale. Sur l’ensemble du territoire, la police et la gendarmerie se sont donc vues assigner une mission de contrôle resserré de l’espace public et de la circulation des personnes, reposant sur les désormais fameuses « #attestations dérogatoires de déplacement ».

    Depuis la mise en place de l’état d’urgence sanitaire, le volume des contrôles des déplacements réalisés par les forces de l’ordre ainsi que le nombre d’amendes infligées par ces dernières font partie des indicateurs qui, aux yeux de l’équipe gouvernementale, témoignent de la réussite de leur action. Fait inédit en matière de contrôles policiers, le ministère de l’Intérieur communique depuis la fin du mois de mars les statistiques relatives au nombre de contrôles effectués et sur les amendes pour « non-respect du confinement » auxquelles ils ont donné lieu. Le 23 avril 2020, Christophe Castaner déclarait que « 15,5 millions de contrôles ont été faits depuis le début du confinement sur l’ensemble du territoire et 915 000 procès-verbaux dressés ». Cet autosatisfecit passe sous silence d’importantes inégalités territoriales, tant dans le nombre de contrôles conduits que dans les modes d’intervention de la police.

    Bien que lacunaires, les données et informations disponibles indiquent en effet que les zones urbaines paupérisées, où réside une proportion importante de personnes racisées, concentrent non seulement la majorité des contrôles, mais aussi des faits de brutalité et de racisme policiers. En matière de police, le contrôle des déplacements et des activités mis en place dans le contexte de l’épidémie vient ainsi renforcer des dynamiques de discrimination et de violence déjà à l’œuvre depuis des décennies dans les espaces urbains les plus pauvres.
    Contrôles, contraventions, couvre-feux

    À la différence des contrôles d’identité conduits dans le cadre de l’article 78-2 du Code de procédure pénale, les contrôles des déplacements pendant l’état d’urgence sanitaire font l’objet d’un comptage statistique rendu public lors des points presse du ministère de l’Intérieur. Il n’a fallu que quelques jours pour voir émerger de fortes disparités dans le volume des contrôles et des amendes en fonction des territoires. La Seine-Saint-Denis, par exemple, n’est pas seulement « le département plus pauvre de France », il affiche qui plus est une des plus importantes surmortalités liées au virus ainsi que le taux de verbalisation le plus élevé en Île-de-France : dès la première journée de mise en place des contrôles, le département a totalisé 10 % des PV dressés sur l’ensemble du territoire français, d’après la procureure de la République de Bobigny.

    Fin avril, les chiffres fournis par le ministre de l’Intérieur indiquent un taux de verbalisation d’environ 6% à l’échelle nationale. Si, à Paris (6,3%), ce taux est légèrement supérieur à la moyenne nationale, c’est surtout dans les départements d’Île-de-France, les plus densément peuplés, qu’il explose : 8,7% dans les Hauts-de-Seine, 13,7% dans le Val-de-Marne et 17% en Seine-Saint-Denis où le taux de verbalisation frôle le triple de la moyenne nationale. Les chiffres révèlent donc une disproportion dans la distribution des contraventions au sein d’un département où réside une population pauvre, racisée et dont les relations avec la police sont, depuis des décennies, marquées par de très fortes tensions.

    Par ailleurs, aux mesures évoquées précédemment est venue s’ajouter l’instauration de couvre-feux dans un peu moins de deux-cent communes, principalement dans le sud-est et le nord de la métropole ainsi qu’en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à Mayotte et en Polynésie française. Fin mars, environ deux millions de Français étaient concernés par ce type de mesures. Destiné à empêcher la fréquentation des plages et des espaces touristiques, le couvre-feu a parfois été appliqué plus sévèrement dans certaines zones urbaines : c’est le cas par exemple à Nice où, dans les quartiers populaires, la mesure doit être respectée à partir de 20h, contre 22h dans les autres quartiers.

    En matière de police, le contrôle des déplacements et des activités mis en place dans le contexte de l’épidémie vient ainsi renforcer des dynamiques de discrimination et de violence déjà à l’œuvre depuis des décennies dans les espaces urbains les plus pauvres.

    Ce premier constat appelle trois remarques. Tout d’abord, on soulignera que l’imprécision (qu’est-ce qu’un « achat de première nécessité » ?) et la fragilité juridique des mesures de contrôle et de verbalisation (notamment concernant la réitération) mises en place depuis le début de l’épidémie renforcent le pouvoir discrétionnaire des agents de terrain. Or ce pouvoir en matière de contrôles, déjà très important en France, a été identifié comme une des causes principales des abus et des discriminations1. Ensuite, concernant les contraventions, celles-ci viennent renforcer un phénomène mis en lumière par une recherche récente de la sociologue et juriste Aline Daillère, qui montre que les policiers utilisent depuis quelques années de manière croissante leur « pouvoir de verbalisation » pour sanctionner des adolescents et des jeunes adultes des quartiers populaires2.

    Enfin, la rapidité et l’efficacité avec laquelle a été mis en place un instrument d’enregistrement statistique des contrôles des limitations des déplacements dans le cadre de l’épidémie pourrait servir d’argument à celles et ceux qui demandent que les contrôles d’identité menés dans le cadre de l’article 78-2 du Code de procédure pénale fassent eux aussi l’objet d’évaluations chiffrées. En effet, bien que les biais (notamment raciaux) sur lesquels reposent ces contrôles aient été démontrés depuis une dizaine d’années par des enquêtes de terrain et un rapport du Défenseur des droits, le ministère de l’Intérieur refuse toujours de mettre en place un système de mesure tel que celui adopté par exemple au Royaume-Uni.
    Violences, racisme, feux d’artifice

    Des cas d’abus et de brutalités policières, dont une majorité ayant eu lieu dans des quartiers de banlieue, ont été signalés sur les réseaux sociaux dès la mise en place des mesures de confinement, à partir d’enregistrements vidéo ou des témoignages de victimes et/ou témoins. Ainsi, depuis quelques années, la police n’a plus le monopole du récit et de l’information sur les faits de brutalité. Depuis le début du confinement, ces derniers se caractérisent à la fois par leur similitude avec les violences qui ont émaillé l’histoire des quartiers populaires au cours des dernières décennies, et par l’augmentation de leur fréquence.

    La régulation de l’espace public par le biais des contrôles policiers récurrents est une histoire ancienne dans les quartiers populaires et singularise le rapport de leurs habitants à la police, par rapport au reste de la population française. Le contrôle des déplacements et des populations dans le cadre du confinement est venu renforcer la spécificité de ces espaces où, par ailleurs, l’accès à l’espace public est souvent déterminant afin de pallier les difficultés liées aux conditions de vie. Sans surprise, la multiplication des contrôles réalisés dans le cadre du confinement a amplifié les problèmes déjà connus liés aux contrôles d’identité pédestres.

    Dès le 17 mars, des témoignages et des signalements sont postés sur les réseaux sociaux rapportant une forte pression policière sur les quartiers de banlieue, des contrôles nombreux et parfois accompagnés de tensions verbales et physiques. Entre le 18 mars et le 6 mai 2020, le journaliste David Dufresne recense 24 signalements concernant des faits de verbalisations abusives ou de brutalités policières : insultes, coups de poings, de pieds et de matraque, usage de gaz lacrymogène, tir de taser et techniques d’immobilisation. Le 8 avril, un homme de 34 ans décède dans un commissariat de Béziers après son interpellation pendant le couvre-feu, et vraisemblablement après avoir fait l’objet de « techniques d’immobilisation » qui ont déjà provoqué la mort de plusieurs personnes par le passé, dont Wissam El-Yamni à Clermont-Ferrand en 2011, Adama Traoré à Persan en 2016 et, plus récemment, Cédric Chouviat à Paris début 2020. Par ailleurs, certains témoignages font état d’injures racistes : ainsi par exemple la vidéo tournée dans la nuit du 25 au 26 avril sur l’Île-Saint-Denis, où l’on voit des policiers qualifier de « bicot », une insulte issue du vocabulaire colonial, un homme qu’ils viennent de repêcher dans la Seine, avant qu’on entende des bruits de coups et des cris.

    La mise en place des mesures de confinement s’est accompagnée quasi immédiatement d’une suspicion à l’égard des quartiers populaires, révélant un processus de racialisation des jugements d’indiscipline et d’incivisme.

    Les brutalités policières ont également concerné des femmes, habituellement minoritaires parmi les personnes contrôlées et les victimes de ces brutalités. Le 19 mars, à Aubervilliers, un riverain filme le contrôle d’une jeune femme noire de 19 ans envers laquelle un groupe de policier s’adonne à une véritable « cérémonie de dégradation » : insultes sexistes, coups de matraque et tir de taser. Le 4 avril, dans le quartier de la Noé, à Chanteloup-les-Vignes, les policiers qui tentaient d’interpeller un jeune homme circulant en moto se sont vus opposer la résistance d’une partie des habitants. Au cours des échauffourées, les policiers procèdent à 14 tirs de LBD et de 9 lancers de grenades. Un de ces projectiles atteint à la tête une fillette de 5 ans qui sera ensuite transférée en réanimation à l’hôpital Necker à Paris.

    Depuis le début du confinement, on peut distinguer trois périodes dont l’enchaînement traduit un crescendo dans les violences imputables aux forces de l’ordre, dans les réponses qu’elles ont suscitées au sein des quartiers populaires et dans la réaction politique. La première période, de mi-mars à début avril, voit se succéder un ensemble de faits qui ont été portés à la connaissance du public sur les réseaux sociaux mais qui n’ont pas provoqué de réaction collective au sein des quartiers où ils se sont déroulés.

    Les évènements de Chanteloup-les-Vignes préfigurent quant à eux la deuxième phase, caractérisée par une intensification du cycle de la violence à partir du 18 avril, après qu’un homme de trente ans circulant en motocross a été grièvement blessé à la jambe suite à une collision provoquée par l’ouverture d’une portière d’un véhicule de police à Villeneuve-la-Garenne. L’incident, et l’extrême rapidité de sa médiatisation sur les réseaux sociaux, ont entraîné plusieurs nuits d’échauffourées dans différentes communes de France. Si ce contentieux trouve ses racines bien en amont du confinement, le fait que ces réactions collectives aient principalement et simultanément pris la forme de tirs de feux d’artifices en direction des forces de police poursuit également une stratégie de mise en visibilité. Les images saisissantes ainsi produites sont en effet particulièrement adaptées à leur diffusion sur les réseaux sociaux tout en s’inscrivant dans une tradition émeutière de certains quartiers de banlieue au moment du réveillon (à Strasbourg par exemple) et en présentant un simulacre guerrier : on entend ainsi le bruit des balles, sans qu’aucune arme à feu ne soit utilisée.

    Enfin, et c’est la troisième phase, on a vu apparaître quelques fissures dans le mur du déni politique et policier suite aux craintes de généralisation des révoltes ainsi qu’en raison de l’émotion suscitée par l’injure raciste proférée sur l’Île-Saint-Denis. Cette multiplication des « croche-pieds à l’éthique », pour reprendre l’euphémisme utilisé par le ministre de l’Intérieur le 13 janvier dernier à l’occasion d’une des rares prises de parole politiques sur les brutalités policières, a conduit ce dernier à parler sur Twitter d’« indignation légitime » et à préciser que « le racisme n’a pas sa place dans la police républicaine ». Le Préfet de police de Paris demande quant à lui la « suspension » des agents mis en cause. Toutefois, comme souvent, on peut s’attendre à ce que la sanction de quelques agents permette de faire l’économie d’une réflexion critique approfondie du fonctionnement de l’appareil policier dans les zones urbaines paupérisées. Cette réflexion, déjà nécessaire avant le confinement, n’en sera que plus indispensable à l’issue de la crise sanitaire.
    Violences systématisées, récits médiatisés

    La mise en place des mesures de confinement s’est accompagnée quasi immédiatement d’une suspicion d’indiscipline et d’incivisme à l’égard des habitants des quartiers populaires mêlant préjugés sociaux et raciaux. Tandis que se trouvaient mis en lumière les écarts produits par les inégalités sociales et économiques dans l’expérience du confinement, ce dernier n’a pourtant été ni plus ni moins respecté en banlieue qu’ailleurs, comme l’a reconnu le préfet de Seine-Saint-Denis lui-même.

    La gestion policière des quartiers populaires et de leurs habitants pendant la pandémie s’inscrit quant à elle dans la continuité de ce qui empoisonne la vie démocratique française depuis des décennies, sans équivalent dans les pays d’Europe occidentale. Modes d’intervention hasardeux, usage disproportionné de la force, affranchissement des règles de déontologie, surcontrôle, racisme : les faits sont trop nombreux pour qu’ils ne fassent pas « système ». D’autant que l’épidémie intervient après plusieurs mois d’une répression policière et judiciaire, sans précédent dans l’histoire récente, des mouvements sociaux des « Gilets jaunes » et de la contestation de la réforme des retraites.

    Si la dynamique des violences reste habituelle (contrôles, violences, racisme, réaction collective des jeunes habitants dirigée contre la police), l’évolution majeure durant ces dernières années tient avant tout à la médiatisation des images par le biais des réseaux sociaux : la violence sort ainsi des espaces marginalisés dans lesquelles elle s’exerce la plupart du temps et la police perd le monopole de leur mise en récit. Certes, un recul critique est nécessaire pour appréhender les images (à ce sujet, voir l’analyse d’André Gunthert). Mais ce bouleversement majeur du champ médiatique contribue au désenclavement des quartiers de banlieue par la mise en visibilité du scandale démocratique que constitue la récurrence des brutalités policières, des discriminations, des expressions décomplexées de racisme de la part d’agents de l’État, du déni politique dont elle fait l’objet et que les lois d’état d’urgence ne font que conforter.

    http://icmigrations.fr/2020/05/15/defacto-019-03

    #coronavirus #covid-19 #discriminations #pauvres #Jérémie_Gauthier #France

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  • Mortalité par Covid-19 : inégalités ethno-raciales aux États-Unis

    Aux États-Unis, les populations noires, hispaniques et amérindiennes sont les minorités ethniques et raciales1 les plus touchées par la pandémie de la Covid-19. Conditions de vie précaires, accès limité aux soins de santé et prévalence de comorbidités sont autant de facteurs d’explication liés à la pauvreté, aux inégalités et à la discrimination qui affectent ces populations au quotidien.

    http://icmigrations.fr/2020/05/15/defacto-019-04

    #mortalité #inégalités #USA #Etats-Unis #covid-19 #coronavirus #accès_aux_soins #précarité #comorbidité #pauvreté #discriminations