• Vienne : en plein confinement, de jeunes migrants isolés priés de quitter le territoire - France 3 Nouvelle-Aquitaine

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    Les bénévoles de l’association Min’ de Rien sont catastrophés. Parmi les dossiers rejetés récemment par la préfecture de la Vienne, figurent plusieurs jeunes qui allaient signer des contrats de travail. Les patrons ne comprennent pas non plus.

    Je suis déçu ! Mais je garde toujours le moral, j’ai des personnes de bonne volonté autour de moi...
    - Moussa, 19 ans et demi

    Arrivé dans la Vienne il y a trois ans, ce jeune Ivoirien a reçu son courrier en recommandé ce lundi 27 avril. Sa première demande de titre de séjour est refusée. Un rejet accompagné d’une Obligation de Quitter le Territoire Français.
    Scolarisé dans un lycée de Poitiers, il s’apprête à valider un CAP de peintre en bâtiment. Il poursuit d’ailleurs ses cours en ligne, l’examen final est remplacé par le contrôle continu.

    La DIRECCTE (Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi) avait rendu un avis favorable à son embauche par une entreprise locale. Un projet stoppé par l’arbitrage préfectoral.
    Addition de traumatismes
    Pour la co-présidente de l’association Min’de Rien, Chantal Bernard, c’est une pure logique administrative qui s’applique. Au début de son parcours dans la Vienne, Moussa a été évalué comme étant majeur par le département (en charge de l’Aide Sociale à l’Enfance), sur des doutes liés à son apparence, son discours. « C’est une décision très rarement contredite. On le considère maintenant comme quelqu’un d’entré illégalement, c’est ce qui motive le refus. Le doute, au lieu de lui bénéficier, se retourne contre lui. »
    Elle nous explique le parcours de Moussa, parti de Côte d’Ivoire. Les routes de l’exil le conduisent en Lybie, où il raconte avoir été torturé. Puis il y a la traversée de la Méditerranée.

    Il y a déjà le traumatisme de la maltraitance et le traumatisme de ne pas être cru. Sauf que, par la suite, les journalistes ont confirmé les tortures des migrants en Lybie. Je ne comprends pas ce rejet ! C’est très déstabilisant pour ces jeunes et les gens autour d’eux. Ça donne une image de la France et de l’administration lamentable. C’est comme si on voulait les pousser à la délinquance...
    - Chantal Bernard, co-présidente de l’association Min’de Rien

    Ces exemples récents ne sont pas les premiers, ni les derniers. Les membres de l’association observent que la politique s’est nettement durcie depuis la loi asile et immigration de septembre 2018. Seuls sont reçus désormais les ressortissants de pays en guerre.
    Quels recours ?
    Avec le soutien de l’association, et de son avocat, Moussa va saisir le tribunal administratif. Ré-expliquer son cas. Min’ de Rien l’avait déjà aidé à récupérer des documents d’identité ivoiriens. Il a reçu en 2019 un passeport, authentifié par l’ambassade de la Côte d’Ivoire. Mais « la brigade des fraudes n’a pas vraiment statué. Elle a émis des doutes mais sans dire formellement que ces papiers étaient faux ! On nous oppose le test osseux, mais ce procédé fait polémique, ce n’est pas fiable à 100% » nous précise Chantal Bernard, co-présidente de l’asssociation poitevine.
    Cette démarche judiciaire va prendre plusieurs mois. Une nouvelle demande de titre de séjour est aussi possible.

    En attendant, Moussa vit chez Sophie depuis bientôt deux ans. Á la retraite, elle l’a accueillie naturellement. « J’ai une grande maison, ça me fait mal au cœur en tant que maman de savoir qu’il y a des enfants qui dorment dehors. » Ce refus de titre de séjour par la préfecture la choque.

    C’est profondément injuste, et n’importe quoi au niveau du raisonnement ! Décider une OQTF parce qu’il ne serait pas mineur à son arrivée ? Alors que c’est un garçon intégré, il a une promesse d’embauche, l’accord de la DIRECCTE depuis mi-novembre ! Tant qu’il n’est pas sorti d’affaire, je le garde, je ne me suis pas posée la question.
    - Sophie, famille d’accueil pour Moussa

    Emplois non pourvus
    Même situation pour Mamady, un jeune Guinéen de 18 ans, hébergé par une autre famille de Poitiers. L’évaluation de l’Aide Sociale à l’Enfance de la Vienne était négative. Son titre de séjour vient de lui être refusé aussi alors que son patron l’attend depuis des mois.

    Ce couvreur-charpentier installé dans le Sud Vienne s’interroge. En tant que patron du jeune homme, il aurait d’ailleurs aimé donner son avis à l’administration. « C’est un jeune que j’ai logé gratuitement pendant trois mois. Il est bosseur, on ne lui laisse pas sa chance ! ». Mamady a passé 14 semaines en stage dans son entreprise, il lui a raconté son voyage. L’artisan ne veut pas juger mais il aurait aimé pouvoir lui offrir de bonnes conditions, être solidaire.

    Mon souci, ce n’est pas la nationalité des gens. Depuis quatre, cinq ans, on cherche régulièrement à embaucher, on ne trouve personne ! J’emploie six salariés. Récemment, j’ai dû recourir à de l’intérim polonais pour combler les besoins de mon entreprise. Mamady a envie de travailler, il est poli, c’aurait été possible de le réinsérer assez vite. Je l’avais pré-inscrit au CFA (Centre de Formation des Apprentis) pour qu’il ait une formation scolaire et qualifiante. Quel dommage...
    - Un entrepreneur du Sud Vienne, patron de Mamady

    Pour lui, les difficultés économiques, conséquences du coronavirus, vont accentuer ces phénomènes de rejet des migrants économiques. « Mais c’est pas pour ça que ces secteurs vont réussir à embaucher d’autres personnes. On repousse le problème, au lieu d’avoir un jeune heureux, intégré, qui participe à la société, il va prendre un train, rejoindre une grande ville, se mettre dans l’illégalité, devenir un clandestin, un SDF... »

    Une soixantaine de familles de la Vienne accompagnent, aident ces jeunes sans solution, à travers l’association Min’de Rien 86.

    Dans le contexte de la pandémie de coronavirus, le Défenseur des droits, Jacques Toubon a réclamé la fermeture immédiate des centres de rétention administrative et la libération des personnes qui y sont retenues. Pour lui, les conditions sanitaires ne sont pas réunies pour assurer leur sécurité, ni celle des professionnels qui y interviennent.

    De nombreuses associations demandent des régularisations face au nombre croissant de sans papiers vivant une extrême précarité, à l’image de ce qui s’est mis en place au Portugal par exemple, comme l’explique cet article de nos confrères de RFI, intulé Le Portugal régularise ses immigrés pour les protéger du coronavirus.

    De son côté, la France a prorogé de six mois tous les titres de séjour en cours de validité et le Conseil d’État a rejeté la requête de Jacques Toubon.

    Sollicitée, la préfecture de la Vienne n’a, pour l’instant, pas donné suite à notre demande.