• POINT DE VUE. « Pourquoi de jeunes adolescents partent d’Afrique subsaharienne ? »

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    « On constate une augmentation croissante des mineurs non accompagnés arrivés en France. Les raisons de leur migration conjuguent une perte d’affiliation et une stratégie du désespoir.

    L’augmentation importante du nombre de jeunes migrants non accompagnés suivis par les conseils départementaux ces dix dernières années interroge autant citoyens, politiques et chercheurs. En majorité des garçons, âgés de 15 à 18 ans, les jeunes migrants sont issus de divers pays, dont l’Afrique subsaharienne. Pour comprendre les motifs de leur départ, nous avons mené une étude dans un centre de consultation pédopsychiatrique d’Île-de-France auprès de jeunes originaires de Côte d’Ivoire, de Guinée et du Tchad suite à divers troubles somatiques (états anxieux, insomnies, addictions). Cette étude, dont les résultats détaillés seront publiés dans le Journal des Africanistes, révèle que la décision de rejoindre l’Europe résulte d’un processus de désaffiliation familiale et sociale consécutifs à de graves crises familiales.

    Conflits, pauvreté, épidémie… l’espoir d’un avenir

    La mort du père ou sa disparition du foyer conjugal est un événement auquel la famille peine à faire face. L’histoire de Mamadou en témoigne. Son père, opposant politique en Afrique centrale, disparaît suite à une arrestation, À 14 ans, Mamadou se retrouve seul et sa famille ne le soutient pas par crainte de représailles. Dans d’autres cas, les jeunes refusent des pratiques familiales anciennes : châtiments corporels, travail familial, ou encore placement au sein d’écoles coraniques. Enfin, la peur de la sorcellerie, dans le contexte de conflits familiaux peut être aussi à l’origine d’une volonté de partir. C’est ce qui arrive à Moussa, jeune ghanéen, en conflit avec son père qui voulait en faire un talibè (élève au service d’un marabout).

    Dans tous les cas, la « grande famille », qui remplit normalement une fonction éducative de substitution, a été rudement éprouvée par les conflits armés, les épidémies et l’extrême pauvreté. La déscolarisation, fréquente, amplifie le risque de décrochage social et de désaffiliation de ces enfants. Dans ce contexte, la plupart ne voient pas comment se projeter dans l’avenir. Reste la solution d’un départ vers la ville, une autre région ou un autre pays. C’est ainsi que Mamadou se procure un passeport et paie un passeur qui l’accompagne en avion jusqu’en France.

    L’espoir d’une qualité de vie et d’un statut social

    Parfois, les mères s’impliquent directement dans le départ de leur enfant. L’exil de Moussa est organisé par sa mère et un camarade qui l’accompagne jusqu’au Niger. Arrivé en France, Moussa apprend la séparation de ses parents, laissant sa mère en grande difficulté. Cette histoire en dit long sur les difficultés des mères. Nombre d’entre elles veulent s’émanciper des contraintes coutumières (mariage non consenti, tutelle des beaux-parents…), mais ne peuvent assurer leur autonomie, faute d’éducation, d’emploi et de protection sociale. En poussant leurs enfants à partir, elles espèrent qu’ils bénéficieront d’une qualité de vie et d’un statut social qu’elles ne peuvent leur procurer.

    Dans ce contexte social et économique, les femmes et les jeunes développent des stratégies d’émancipation par rapport aux groupes familiaux, sans avoir, pour autant, les moyens d’y parvenir. Le départ des jeunes vers l’Europe permet d’envisager d’autres formes d’affiliation : une scolarisation garantie, la protection de l’enfance, la sécurité sociale, l’emploi. Encore faut-il qu’ils puissent être reconnus en tant que mineurs à leur arrivée. »