comment le confinement a fait basculer psychologiquement certains étudiants

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  • Isolement, précarité, perte de repères : comment le confinement a fait basculer psychologiquement certains étudiants
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    De jeunes adultes ont été particulièrement fragilisés par la disparition de leur vie d’avant. Les professionnels redoutent une vague de maladies psychiatriques.

    Pour Edmond, 27 ans, le confinement a été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ». « Sans préavis, on m’a coupé de tous mes liens sociaux. On m’a plongé dans un isolement physique mais aussi émotionnel, faisant remonter toutes mes difficultés passées », raconte cet étudiant gabonais en master d’économie à l’université de Bordeaux. « Abandonné » très tôt par ses parents à Libreville (Gabon), puis par son meilleur ami, décédé en 2013, il a vécu l’annonce du gouvernement comme un « nouvel abandon ». Du jour au lendemain, il a dû faire une croix sur sa paie de commis dans un restaurant asiatique, et s’en remettre aux banques alimentaires déployées dans sa cité universitaire.

    Attaques de panique, altération du sommeil, ruminations anxieuses, idées noires… Après une dizaine de jours d’enfermement dans sa chambre du Crous de 13 m2, Edmond craque et avale un cocktail dangereux de médicaments. « J’étais prêt à dire oui à la mort si elle venait », assume-t-il. Le 30 mars, il est admis dans l’un des services psychiatriques du centre hospitalier Charles-Perrens à Bordeaux, pour entamer ce qu’il nomme aujourd’hui son « retour d’outre-tombe ».
    Si la tentative de suicide constitue l’un des pires scénarios, les professionnels de santé mentale font valoir leur inquiétude quant à l’impact du confinement sur le bien-être de milliers d’autres étudiants. Isolement, précarité financière, perte de repères : cumulée à de multiples facteurs d’anxiété et de stress, la crise liée à l’épidémie due au coronavirus a déstabilisé une population déjà psychiquement vulnérable.

    Les étudiants davantage touchés

    Pendant le confinement, la Nightline – un service nocturne d’écoute géré par des étudiants, pour des étudiants – est arrivée à saturation des demandes de soutien par tchat. « On a retrouvé les thématiques habituelles : exacerbation du sentiment de solitude, angoisse de l’avenir, difficulté à trouver un espace intime rassurant, pensées suicidaires… Mais ces difficultés semblent clairement aggravées par la crise », constate le président de l’association, Florian Tirana.

    Plusieurs enquêtes en cours devraient permettre de mesurer l’ampleur du phénomène et d’anticiper une possible vague de maladies psychiatriques, redoutée par les professionnels. « Il va falloir être très vigilant. Selon nos premiers chiffres, la catégorie des 16-29 ans est celle pour qui le score de bien-être a le plus nettement baissé pendant le confinement, avance Nicolas Franck, professeur de psychiatrie à l’université Lyon-I et chef de pôle au centre hospitalier Le Vinatier, coauteur d’une étude en ligne sur l’impact du confinement sur la santé mentale des Français. Leur confiance en eux et leur sentiment d’utilité ont été fragilisés. »

    Plus ancrés dans la durée, les résultats préliminaires de l’enquête « Confins » sont également éloquents. « Sur la santé psychique, les étudiants ont systématiquement des scores plus inquiétants que les non-étudiants », analyse le médecin neurologue Christophe Tzourio, professeur d’épidémiologie à l’université de Bordeaux. Les premiers chiffres varient souvent du simple au double : 27 % des étudiants se déclarent tristes, déprimés ou désespérés « plus de la moitié du temps voire tous les jours », contre 16 % chez les non-étudiants ; 40 % se sentent fatigués ou sans énergie, contre 21 % chez les non-étudiants ; 30 % se voient comme des « perdants », contre 15 % chez les non-étudiants ; 27 % se déclarent « en permanence inquiets, de façon excessive », contre 16 % pour les non-étudiants…

    « Une année universitaire hors-norme »

    Reste à comprendre pourquoi les étudiants présentent une plus grande fragilité que le reste de la population. « Il faut commencer par mettre en perspective cette année universitaire hors-norme. Les grèves de l’hiver avaient déjà perturbé le premier semestre et miné certains jeunes, qui sont finalement très peu allés en cours, rappelle Christophe Ferveur, psychologue de la Fondation santé des étudiants de France et président du Réseau de soins psychiatriques et psychologiques pour les étudiants (Resppet). Mis bout à bout, les différents éléments de la chaîne peuvent faire entrer le jeune adulte dans une clinique du découragement, du laisser-tomber, voire du désespoir. »

    Puisque les trois quarts des premiers épisodes de troubles psychiatriques surgissent avant 24 ans, la période étudiante représente l’âge de tous les dangers, dans un contexte si particulier. « Le confinement aura une fonction traumatique pour l’ensemble de la population, et d’autant plus pour des jeunes encore en construction, alerte Claude Vedeilhie, psychiatre au bureau d’aide psychologique universitaire de Rennes et président de l’Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (Anpaa) Bretagne. Pour certains, c’est un coup d’arrêt à un processus d’autonomisation. »

    Pour Tatiana, étudiante de 22 ans, on peut même parler d’un coup de massue. « Pendant le discours du président, le 16 mars, j’entendais les gens partir à toute vitesse de ma résidence. Ils dévalaient les escaliers, se remémore-t-elle. Mes parents m’ont appelée : ma demi-sœur allait venir me chercher. J’ai eu une heure pour tout préparer, je ne pouvais pas m’arrêter de pleurer. Pleurer pour mes examens, pour mes amis. Pleurer de dépendre encore une fois de ma mère et de son compagnon : il y a toujours eu des tensions, et le seul souvenir de la maison me faisait peur. » Le choc émotionnel est tel que la jeune femme développe, quelques jours après, un douloureux zona sur l’épaule droite. « Ça faisait trois ans qu’on travaillait sur un projet : notre licence. Il a fallu mettre de côté tous nos sacrifices et tenter de réussir à distance. C’était horriblement stressant et frustrant. »
    Un « effet de régression »

    Si l’isolement reste un facteur aggravant, le retour à la vie de famille a pu réveiller des blessures cachées et réactualiser certains conflits. « Le propre de cette période étudiante, c’est de s’éloigner de sa famille pour construire sa vie. Pour une partie des patients, il a été très difficile de revivre l’emprise parentale dont ils essayaient de se départir », note Claude Vedeilhie, qui a par ailleurs remarqué une augmentation des comportements addictifs. Pour beaucoup de jeunes – en formation à la fois psychique et universitaire –, il y a eu un « effet de régression », selon les termes de Christophe Ferveur : « On leur a coupé les ailes en plein envol. »

    De retour dans sa famille, Memet a d’ailleurs craint « de ne pas pouvoir faire face ». Entré cette année en master à Sciences Po Paris après une licence à l’université de Nanterre, ce garçon de 23 ans a ce qu’il appelle lui-même « le syndrome de l’imposteur ». « Malgré la bienveillance de l’administration, je me suis toujours senti étranger à cette institution. En même temps, j’ai toujours vu l’école comme un lieu d’épanouissement et là, on me l’a enlevé, dit-il. Le décalage entre le 27, rue Saint-Guillaume et la banlieue de mes parents, dans l’Essonne, a été très dur à gérer. » D’origine kurde, ses parents ont fui la Turquie. En raison d’un contexte familial parfois éprouvant, il est contraint de retourner dans ses 20 m2 parisiens : « Je suis parti quelques jours en serrant les dents pour terminer un exposé sur la dette publique… J’ai eu très peur de craquer, de tout arrêter. Je sais aujourd’hui que ça va laisser des traces. »

    Happés par leurs cours, révisions et autres petits boulots, certains étudiants ont tendance à enfouir leurs émotions dans une forme d’hyperactivité. « C’est un suivi très particulier, admet la psychiatre Marion Lenoir-Roy, qui donne des consultations à l’espace santé étudiants de l’université de Bordeaux. Ces jeunes n’ont jamais le temps d’aller mal. Le confinement a pu être un déclencheur de troubles anxieux pour ceux qui transportaient déjà de grosses valises. »

    « Un retard potentiel de l’accès aux soins »

    Plus que jamais, psychiatres et psychologues ont dû assurer la continuité des soins tout en répondant à de nouvelles demandes. Téléconsultations, porte-à-porte dans les résidences Crous, ateliers via Skype de méditation, sophrologie ou rigologie (une sorte de yoga par le rire) : « Il a fallu faire preuve d’inventivité ! », admet Christian Régnier, directeur du service universitaire de médecine préventive de Sorbonne-Université, qui compte 75 000 étudiants.

    En temps normal, seul un quart des jeunes présentant les signes d’un épisode dépressif déclarent avoir consulté un professionnel de santé mentale dans l’année. « Une douleur morale n’est peut-être pas la même douleur qu’une rage de dents, mais plus on décale la prise en charge, plus on prend le risque que cela s’aggrave, martèle le psychologue Yannick Morvan, membre de l’Observatoire de la vie étudiante (OVE). Avec la crise sanitaire, on est face à une nouvelle inquiétude quant à un retard potentiel de l’accès aux soins et de ses conséquences éventuelles. »

    Raison de plus pour prendre les devants en termes de prévention et pour tenter de dédramatiser le recours à un professionnel. Très souvent, il y a déni, rejet, voire stigmatisation de l’entourage. « Ceux qui osent demander de l’aide forment la partie émergée de l’iceberg », souligne l’épidémiologiste Christophe Tzourio. « C’est le moment de prendre soin de soi et de développer des compétences en termes de bonne santé mentale. C’est un réflexe à prendre, pour que le mal-être ne s’enkyste pas », suggère Fanny Sauvade, psychologue et codirectrice de l’association Apsytude.

    Mais le déconfinement ne désigne pas non plus le bout du tunnel. Au contraire. La crise sanitaire renforce l’incertitude et l’inquiétude quant à l’avenir. A quoi bon ce diplôme ? A quoi bon ce futur travail ? Les contrecoups seront durables. « On dit aux jeunes que le monde va s’effondrer mais aussi que c’est à eux de bâtir le monde d’après ! Le climat actuel est très anxiogène pour cette génération, déplore Christophe Ferveur. Quand les cours et examens à distance s’arrêteront, il ne faudra surtout pas lâcher les étudiants. Comme la lumière des étoiles, l’étendue des dommages nous arrivera avec un temps de retard. » Après la continuité pédagogique du printemps, il s’agira, cet été, d’assurer une continuité psychologique.

    Pas mal de bêtises (...) mais aussi un contrepoint au constat que les psychiatrisés ont (auraient ?) dans l’ensemble mieux tenus le choc que ... les soignants en psychiatrie (et pas seulement sur le plan épidémiologique).
    Guerre, révolution, pandémie, autant de moments d’un commun qui s’impose et qui tendent à mettre la maladie mentale au second plan. Le vital, la singularité sont (pour partie) ailleurs, déplacés, remaniés. Si ce n’est, peut-être (?), pour certains entrants dans la carrière, si ton en croit cet article.
    Une particularité de la pandémie et des mesures qui l’accompagnent au prétexte de la juguler/diminuer : comment « s’en sortir sans sortir » (de chez soi, avec d’autres) quand ce qui relie est la séparation ?
    J’ai pas vu grand chose chez des praticiens, de la souffrance psychique en première personne ou/et du soin (si ce n’est des intervention salubres sur l’état de la psychiatrie confinée, à la façon, trop rare, de #Mathieu_Bellahsen).

    Par ailleurs, là encore, la #psychiatrie est nodale : c’est avec elle il me semble que la notion de santé a du s’assortir de celle de #maladie_chronique qui la contredit, et que l’on a retrouvé ensuite (?) avec de nombreuses pathologies (asthme, diabète, etc.) comme catégorie médicale.

    #étudiants