• Une réouverture des écoles et des collèges en trompe-l’œil depuis le déconfinement, Mattea Battaglia
    https://www.lemonde.fr/education/article/2020/05/28/une-reouverture-des-ecoles-et-des-colleges-en-trompe-l-il-depuis-le-deconfin


    Dans la cour de l’école Saint-Germain de Charonne, à Paris, le 14 mai. FRANCK FIFE / AFP

    A la veille de la deuxième phase du déconfinement, qui pourrait accroître la pression sur les établissements, 20 % des écoliers seulement ont pu reprendre le chemin de l’école.

    Ne leur parlez pas de « rentrée scolaire » . L’expression fait bondir la plupart des parents qui ne trouvent pas de place à l’école. « C’est un ersatz de rentrée , s’énerve Clara, trois enfants (de la maternelle au CM1), et aucun qui ne peut être accueilli dans leur petite école près d’Orléans. Pourquoi ne nous a-t-on pas dit, dès le départ, qu’il faudrait montrer patte blanche pour revenir en classe ? » « Parlons clair : c’est une réouverture au compte-gouttes » , témoigne aussi Philippe, papa d’une fillette en CE1 à Paris, qui confie « noyer de messages » sa directrice d’école dans l’espoir d’obtenir une place, « le Graal » .

    Avec le changement des règles d’attribution du chômage partiel, début mai, et l’annonce de la deuxième phase du déconfinement, les deux trentenaires, qui ont arrêté de travailler à la mi-mars − quand les écoles ont fermé –, voient s’approcher la « deadline du 1er juin » avec une certaine anxiété. Ils sont loin d’être les seuls.

    « La situation des parents risque de devenir explosive en juin » , affirme Rodrigo Arenas, coprésident de la FCPE, fédération de parents d’élèves dont toutes les antennes départementales sont en alerte. Clara, avec un emploi dans la vente qui l’attend, envisage de confier la fratrie aux grands-parents : « C’est la première fois qu’ils reverront les enfants. » Philippe, lui, vient d’être rappelé par son école : sa fille devrait y être accueillie lundi. Une « heureuse surprise » pour ce journaliste qui ne s’estimait pourtant pas « prioritaire » .

    « Classes charnières »

    Qui l’est ? Qui ne l’est pas ? « On s’y perd un peu » , souffle-t-on au sein de la communauté éducative. Parce que les 40 000 écoles rouvertes n’ont pas toutes repris en même temps. Parce que certaines ferment d’un jour à l’autre au moindre cas de Covid suspecté (une centaine d’écoles, de source ministérielle), quand d’autres rouvrent. Parce que les élèves y sont convoqués « par roulement » , pour respecter un protocole sanitaire qui limite le nombre d’enfants par classe à quinze en élémentaire, à dix en maternelle, et n’autorise nulle part un accueil « comme avant » .

    Seule certitude : pour l’heure, 20 % des écoliers seulement, soit 1 350 000, ont pu reprendre le chemin de l’école, et 30 % des collégiens. « Nous voudrions que certains enfants aillent à l’école et nous n’y arrivons pas » , a reconnu le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ces derniers jours. Le gouvernement avait pourtant livré une feuille de route : reviendraient en priorité les écoliers des « classes charnières » (grande section, CP et CM2) et ceux identifiés comme en difficulté sociale et scolaire. Ces derniers ne se bousculent pas dans les classes, affirment les directeurs d’école, qui continuent de battre le rappel des troupes.
    20 % d’élèves raccrochés, est-ce un plafond ? Un palier ? Pour les associations d’élus, c’est d’abord une moyenne nationale qui ne dit pas grand-chose de la disparité des situations territoriales : d’une ville à l’autre, et même parfois d’une école à l’autre au sein d’une même ville, les ratios d’enfants rescolarisés varient du simple au double. Les grandes écoles de centre-ville, exigues, font souvent moins bien que les petites écoles rurales.

    « Un peu partout, on essaie de trouver un compromis entre les règles sanitaires, les besoins des familles, le nombre d’enseignants et d’agents présents…, explique Agnès Le Brun, porte-parole de l’Association des maires de France. Mais, en dépit de tous nos efforts, on n’a jamais connu une aussi longue période où les enfants sont privés d’école. »

    « J’ai des demandes tous les jours »

    A Morlaix (Finistère), la ville dont Agnès Le Brun est la maire, 60 % des écoliers ont pu renouer avec leur classe. Un joli score rapporté à ce qu’annoncent d’autres municipalités. A Bourg-en-Bresse, les écoliers rescolarisés ne sont que 450 sur 3 500.
    A Paris, où Mairie et rectorat s’étaient préparés à prendre en charge près d’un quart des 130 000 élèves du primaire, seulement 12 % étaient en classe deux semaines après la reprise officielle, 17 % en cette troisième semaine. Il y a aussi les 450 à 500 communes qui, selon le ministère de l’éducation, ont décidé d’un report pur et simple de la rentrée à septembre. Celles qui parviennent à rouvrir les écoles élémentaires mais pas leurs maternelles…

    « Le paysage scolaire se recompose au fil des jours » , dit-on dans les écoles concernées. Mi-mai, les familles disaient « attendre de voir » . Leur posture est en train de changer, racontent les enseignants. « Depuis mardi, j’ai des demandes tous les jours, témoigne Delphine, professeure en Sologne qui a requis l’anonymat. Ce ne sont pas de nouveaux enfants qui veulent revenir, ce sont les parents qui souhaiteraient que je prenne leur enfant à plein temps au lieu d’un mi-temps. Je n’ai pas la place et ils ont du mal à l’entendre. » Sa petite école de deux classes s’est rouverte à 35 enfants depuis le déconfinement, contre 70 habituellement.
    Elle n’est pas la seule à témoigner d’une « organisation qui ne tient qu’à un fil ». « Nous allons accueillir six élèves supplémentaires mais nous touchons nos limites », note Katia Philippe, enseignante dans l’arrière-pays niçois. Sa maternelle a pu rouvrir deux classes sur trois. « Cela me désole de ne pas pouvoir accéder aux demandes des parents faute de moyens humains », dit-elle. Echos identiques à Paris, où les parents éconduits font entendre leur voix. Un peu plus d’un professeur sur deux, de source ministérielle, a recommencé à faire cours « en présentiel » .
    « Pas d’allégement du protocole à court terme »

    « Les collègues donnent tout, pour une reprise tout à fait partielle, sans réussir à satisfaire les familles et sans visibilité sur la semaine d’après » , observe Stéphane Crochet, du syndicat SE-UNSA. « Ils sont pris en étau entre les besoins des parents et un protocole sanitaire qui ne leur permet pas d’y répondre favorablement » , résume Francette Popineau, du SNUipp-FSU.

    Faut-il alors alléger ce protocole, comme le réclament déjà de nombreux édiles ? « Si les indicateurs [sanitaires] restent bien orientés, alors nous pourrons sans doute organiser une ouverture un peu plus vaste des écoles, faire en sorte que les règles sanitaires puissent s’adapter toujours avec prudence » , a déclaré Edouard Philippe, le 26 mai, à l’Assemblée. Ce même jour, sur le plateau de LCI, le ministre de l’éducation affirmait pourtant qu’il « n’y aurait pas d’allégement du protocole à court terme, pas au mois de juin » .

    « La cacophonie, on s’y est habitués ces derniers temps » , réagit-on dans les cercles enseignants, tout en espérant une clarification sur cet enjeu-là aussi, jeudi, à l’occasion du discours du premier ministre.

    #école #crise_sanitaire #trompe-l’œil