• En France, les salaires les plus élevés sont au plus haut depuis 50 ans, Romaric Godin
    https://www.mediapart.fr/journal/france/280520/en-france-les-salaires-les-plus-eleves-sont-au-plus-haut-depuis-50-ans

    L’Insee publie une étude sur les plus hauts salaires en 2017. Les 0,1 % les mieux payés captent la plus grande part de la masse salariale depuis un demi-siècle. Ceux qui en profitent sont des hommes, parisiens et âgés.

    Le confinement, on s’en souvient, avait posé avec acuité la question de la valorisation relative des métiers au regard de leur utilité. Ce jeudi 28 mai, l’Insee a publié une étude sur les hauts salaires qui permet de prendre conscience des métiers qui sont le plus récompensés par le marché du travail et de l’évolution relative des salaires.

    Cette étude permet d’abord de quantifier les montants et la population des plus hauts salaires. Les 1 % les mieux payés des salariés du secteur privé touchaient en 2017 une rémunération de plus de 8 680 euros net par mois, soit 4,5 fois le salaire médian et 7,5 fois le salaire minimum.

    Ces 1 % représentent 163 000 salariés et ils sont à 23 % soit des cadres administratifs et commerciaux, soit des ingénieurs et des cadres techniques. Ces 46 % des 1 % ne représentent que 14 % de l’ensemble des salariés du secteur privé. Viennent ensuite les dirigeants salariés des entreprises, comme les présidents, les directeurs généraux ou les gérants (17 % des 1 % les mieux payés, contre 2 % de l’ensemble des salariés) et les cadres financiers (12 % des 1 % les mieux payés, contre 2 % de l’ensemble des salariés du privé).

    Globalement, et sans surprise, on voit donc que ce sont les fonctions permettant l’organisation globale de la production qui sont le mieux valorisées par les salaires. C’est une situation relativement classique. Mais la situation évolue à mesure que l’on monte dans la hiérarchie des salaires. Or, l’Insee développe cette hiérarchie en donnant les chiffres pour les 0,1 % les mieux payés et même pour les 1 000 plus hauts salaires du secteur privé en France. Les premiers sont en moyenne payés plus de 22 860 euros net par mois, les seconds, les 1 000 premiers de la hiérarchie salariale, sont payés plus que 89 530 euros par mois.


    Salaires planchers des hauts salaires en 2017. © Insee

    Or, au fur et à mesure que l’on monte dans cette hiérarchie, la part des cadres « opérationnels » diminue au profit des fonctions administratives et financières. Les dirigeants salariés sont les plus représentés dans les deux catégories, avec 24 % du « top 0,1 % » et 29 % du « top 1 000 ». Les « cadres d’état-major » des grandes entreprises de plus de 500 salariés, autrement dit l’échelon directement inférieur à celui des dirigeants, ne représentent que 9 % de l’ensemble des 1 % les mieux payés, mais 15 % du « top 0,1 % » et 16 % du « top 1 000 ». Leur part dans l’ensemble de la population des salariés du privé est pourtant négligeable.

    Pour l’anecdote, on remarquera également que les sportifs professionnels, qui ne représentent que 1 % des 1 % les mieux payés, représentent en revanche 11 % du « top 1 000 », soit autant que les cadres de la banque et de la finance.

    En termes de secteur, la situation est la même : plus on avance dans la hiérarchie des salaires, plus on quitte l’économie réelle. L’industrie est ainsi le premier secteur d’activité des 1 % les mieux payés, avec 18 %, mais elle ne représente plus que 7 % des personnes présentes dans le « top 1 000 ». En revanche, les activités des sièges sociaux et les activités financières, qui emploient les unes comme les autres 13 % des salariés du « top 1 % », emploient respectivement 29 % et 22 % des 1 000 personnes les plus payées du secteur privé en France. Ensemble, ces deux secteurs regroupent donc plus de la moitié de ce « top 1 000 ».

    Autrement dit, plus on monte dans la hiérarchie des salaires, plus ce sont les fonctions financières et administratives qui sont récompensées. Les très hauts salaires récompensent moins stricto sensu les capacités d’amélioration de la productivité que la valorisation du capital. Cela est finalement assez cohérent avec un système qui fait de cette valorisation sa seule finalité, mais on est également assez loin de l’image classique de la réussite au sein des entreprises où l’on récompenserait « avec justice » les améliorations du système productif. Pour les mieux payés, la production n’est finalement, pour reprendre les mots de Marx, qu’un « mal nécessaire » qu’il ne convient pas de payer à la même hauteur que la valorisation financière ou juridique des profits.

    Part des femmes dans les plus hauts salaires. © Insee

    Structurellement, ce type de choix favorise une population bien précise. Des hommes âgés, résidant dans deux départements, Paris et les Hauts-de-Seine. Là encore, cette tendance s’accentue avec la hiérarchie des salaires. Les hommes sont 82 % de l’ensemble des salariés du « top 1 % » et 91 % du « top 1 000 », alors même que ces derniers ne représentent que 58 % de l’ensemble des salariés du secteur privé. Cette quasi-absence de femmes à ces niveaux de salaire accentue de 4,4 points l’ensemble de l’écart salarial entre les sexes, souligne l’Insee. Hors « top 1 % », cet écart est de 12,4 % ; en incluant ces 1 % les mieux payés, il passe à 16,8 %.

    Sur le plan de l’âge, il peut être logique que les plus âgés soient aussi les mieux payés, mais les chiffres sont là aussi impressionnants. Les plus de 51 ans représentent 25 % des salariés du privé, mais 53 % du « top 1 % » et 60 % du « top 1 000 ». Pas de mise à la retraite anticipée pour les plus riches. Les plus de 60 ans ne représentent que 3 % des salariés du privé, mais 19 % du « top 1 000 ». Autrement dit, les salariés les mieux payés restent plus longtemps en poste…

    Enfin, géographiquement, Paris et les Hauts-de-Seine, qui regroupent 13,1 % des salariés du privé, sont les lieux de travail de 49,8 % du « top 1 % » et de 73,7 % du « top 1 000 ». C’est là encore fort logique, puisque c’est dans ces régions que se regroupent les activités de sièges sociaux et de finance.

    Une évolution favorable des plus hauts salaires

    Comme les mieux payés le sont pour leur capacité de valorisation du capital et se trouvent ainsi fortement liés aux intérêts de ce même capital, leur part dans l’ensemble des salaires n’a pu que progresser fortement au cours des 40 dernières années qui ont fait basculer la balance du pouvoir progressivement vers ces intérêts. C’est ce que confirme l’Insee, qui publie l’évolution de cette part pour chacune des trois catégories depuis 1967, autrement dit au cours des cinq dernières décennies.

    La part réservée aux plus hauts salaires a reculé jusque dans les années 1990, puis elle n’a cessé de remonter. En 2017, la part du « top 1 % » est de 8 % de l’ensemble des salaires versés. Autrement dit, 8 % de la masse salariale du privé est réservée à 1 % des salariés. Ce niveau est du jamais vu depuis 1969 et il est supérieur de 1,2 point au niveau le plus faible de ces 50 dernières années, enregistré en 1996.

    Part des 1 % les plus élevés, des 0,1 % et des 1 % sans les 0,1 % dans la masse salariale totale. © Insee

    Là encore, ce sont les plus riches d’entre les plus riches qui ont davantage tiré leur épingle du jeu. Le « top 0,1 % » capte en 2017 2,3 % de l’ensemble de la masse salariale versée dans le privé, soit 23 fois son poids numérique. Un tel niveau, atteint en 2016, est inédit au cours du précédent demi-siècle, à l’exception de 2007, juste avant la crise financière. En 1967, ils ne captaient que 1,9 % de la masse salariale et ce chiffre est même tombé à 1,3 % en 1980.

    Cette étude est donc intéressante à plus d’un titre. D’abord, elle permet de montrer que le néolibéralisme n’a pas que creusé les écarts entre les salariés et les détenteurs du capital, mais il a aussi creusé l’écart entre les salariés. Au reste, cet écart s’est d’autant plus élargi que les salaires rémunéraient des fonctions « utiles » au capital. D’une certaine façon, cela explique aussi la présence d’un certain nombre de sportifs professionnels dans ce « top 1 000 », dans la mesure où la valeur salariale de ces derniers est directement liée à la valorisation capitalistique des entreprises qui les embauchent puisqu’ils en sont les actifs principaux, non pas tant en tant que joueurs proprement dits qu’en tant que « porteurs d’image ». C’est en effet cette image qui est ensuite à la base de la rentabilité des entreprises qui l’exploitent.

    Dans ce cadre, il convient toujours de relativiser la pression exercée sur les salaires au nom de la « compétitivité ». Comme le montre cette étude, cette pression ne s’exerce que sur la partie basse de la hiérarchie salariale. La partie haute, celle qui rémunère ceux qui sont précisément chargés, directement ou indirectement, d’organiser cette course à la compétitivité-prix, est très largement bénéficiaire de cette politique.

    Pour corriger ces divergences a posteriori , la fiscalité demeure un des moyens les plus efficaces. Si la France a maintenu un niveau d’imposition important sur les hauts revenus, ce dernier est nettement moins progressif que dans les années 1980. À l’époque, le taux marginal d’imposition sur le revenu était de 65 %. Il est aujourd’hui proche, mais en prenant en compte la CSG, qui est un impôt proportionnel payé par l’ensemble des salariés. Autrement dit, l’impôt est bien moins proportionnel aujourd’hui que voilà trente ans. Cela conduit encore une fois à s’interroger sur les choix de l’actuel gouvernement de supprimer l’ISF, un impôt (légèrement) correcteur et sur l’établissement d’une « flat tax » (le PFU) de 30 % sur les revenus du capital, qui constitue un véritable appel d’air pour se faire rémunérer en revenus du capital plutôt qu’en revenus du travail pour les dirigeants, autrement dit pour les plus hauts salaires.

    La hausse des versements de dividendes en 2018 semble confirmer cette situation. Et le choix de baisser l’impôt sur le revenu pour les deux premières tranches apparaît in fine comme une petite compensation de cette opportunité pour les plus riches.

    Mais la question qu’a posée le confinement est bien celle de la correction a priori de ces inégalités. Les données de l’Insee viennent prouver que ce qui est récompensé n’est pas l’utilité sociale des métiers, mais leur utilité pour le capital. Le désarmement de la masse des salariés par les « réformes structurelles », la sous-traitance et le chômage a conduit à réduire la valeur relative de ces salaires et a favorisé celle des cadres les plus importants des entreprises. C’est donc globalement en retrouvant une capacité de peser que ces métiers pourront récupérer la part des salaires qui est allée aux plus hauts revenus. Bref, c’est bien en inversant les politiques en faveur du capital que l’on corrigera cette logique qui favorise une certaine catégorie de citoyens et de métiers au détriment du plus grand nombre et des métiers utiles pour la société.

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