Toute l’actualité en continu avec l’OBS

/20200606.OBS29782

  • Trump, la mafia et la Maison-Blanche
    https://www.nouvelobs.com/monde/20200606.OBS29782/trump-la-mafia-et-la-maison-blanche.html

    Dans une enquête formidable titrée « Un parrain à la Maison-Blanche », le journaliste d’investigation Fabrizio Calvi raconte les liens entre la mafia et le milliardaire devenu président des Etats-Unis.

    • Jamais, dans l’histoire des États-Unis, un chef de l’Etat n’a été aussi véreux. Compromis avec l’extrême-droite, mouillé avec les Russes, en affaire avec les Saoudiens, Donald Trump brise toutes les conventions, les garde-fous et les habitudes de la fonction : de plus, comme le révèle le journaliste d’investigation Fabrizio Calvi dans son livre passionnant, « Un parrain à la Maison Blanche » (Albin Michel), Trump a toujours traité avec le crime organisé. Constructions édifiées avec l’aide de la mafia italienne, prêts consentis par des banques louches ou carrément dévoyés, flux d’argent en provenance de la délinquance moscovite… Au fil des pages, on découvre un aigrefin toujours prêt à vendre ses proches et à optimiser ses avantages financiers. Fabrizio Calvi, au cours d’une enquête formidable, a rassemblé témoignages et dossiers. Il brosse le portrait d’un homme sans scrupule qui a réussi à échapper à la justice depuis cinquante ans. Parvenu au sommet du pouvoir, peut-il rester impuni ? S’il est élu en novembre 2020, il sera hors d’atteinte. Perdant, il risque de finir sa vie en prison. L’enjeu ? L’Amérique.

      Les relations de Donald Trump avec la mafia sont anciennes, semble-t-il.

      Oui. Ce sont des relations familiales. Le grand-père de Donald Trump, Frederick Trump, travaillait avec la criminalité organisée, il avait des bordels à l’époque de la ruée vers l’or, à la fin du XIXe siècle. Le père Trump, Fred, s’est associé avec des mafieux proches de Lucky Luciano, afin de construire certains de ses immeubles. Donald, lui, est resté dans cette tradition, notamment grâce à son avocat et mentor, Roy Cohn, lequel était aussi l’avocat de McCarthy et de la mafia. Cohn était un être éminemment maléfique. La première affaire de Donald Trump, en 1976, lui a été apportée par Roy Cohn : Trump devait servir d’homme de paille pour racheter l’un des hôtels de la mafia − le « Fontainebleau » − à Miami. En fait, Cohn agissait pour le compte d’un parrain, Meyer Lansky, l’un des fondateurs de la mafia américaine. Lansky a servi de modèle à Coppola, qui le représente sous le nom de Hyman Roth dans « Le Parrain 2 », et qui le filme à Cuba, avec tous les chefs des familles mafieuses, et lui fait dire : « Maintenant, nous sommes plus puissants que General Motors. » J’ai retrouvé un agent du FBI qui a enquêté sur Trump dans ces années-là, et qui a interrogé Trump sur cette relation. Que Trump n’a pas niée.

      Mais cette affaire ne s’est pas faite. En revanche, Trump est carrément mouillé par la suite ?

      Son implication avec la mafia italienne va se préciser à New York, car c’est une ville où il est impossible de construire sans avoir recours à la mafia. Roy Cohn met Trump en contact avec Fat Tony Salerno, qui est un sous-chef de la famille Genovese, et qui contrôle les syndicats d’ouvriers du bâtiment. Pour construire la Trump Tower, Donald Trump utilise du béton préfabriqué. Or, à New York, on ne peut rien entreposer en ville, il faut tout amener. Le béton liquide est donc acheminé dans des bétonnières qui tournent, et doivent arriver à une heure précise. S’il y a du retard, le béton fige dans les camions. Or, les syndicats peuvent décider d’arrêter tout. Les Teamsters, justement, viennent de lancer un vaste mouvement de grève. Du coup, Trump passe un accord avec John Cody, l’un des dirigeants des Teamsters, en lui faisant cadeau de trois appartements de la tour, en échange de la paix sociale. Valeur : 10 millions de dollars (soit cinq fois plus en dollars 2020)… De plus, les sociétés de béton sont toutes contrôlées par Fat Tony Salerno, lequel a fini par être condamné en 1987 à 100 ans de détention, et il est mort en prison. J’ai retrouvé la maîtresse de Cody, Verina Hickson, qui coule des jours heureux en Suisse… C’est elle qui a acheté les trois appartements de la Trump Tower, pour le compte de Cody. Quand ce dernier a été condamné, Trump a attaqué Verina Hickson mais on ne sait pas qui a récupéré ces appartements. Dans la Trump Tower, tout est très obscur… Il y a 1 300 ventes suspectes dans cet immeuble, c’est dire. On pense que ce sont des opérations de blanchiment de la mafia italienne ou de la mafia russe.

      Mêmes opérations à Atlantic City, avec les casinos ?

      C’est encore plus flagrant. Donald Trump engage alors un syndicaliste mafieux, Daniel Sullivan. Lequel est un informateur du FBI. Trump, par son intermédiaire, va voir le FBI et explique qu’il compte s’installer à Atlantic City, ville entièrement contrôlée par la mafia. Il propose une opération d’infiltration, et le FBI accepte. Trump n’achète pas de terrain pour la construction de son premier casino, mais le fait acheter par la mafia, et s’installe en location. Parmi les mafieux qui lui servent d’intermédiaires, il y a Daniel Sullivan. Trump achète cependant un parking à côté, propriété qui sera mise au nom de la secrétaire de son avocat. Le Plaza, son premier casino, voit ainsi le jour, avec la bénédiction du FBI. Trump aura par la suite plusieurs casinos qui finalement feront tous faillite.

      C’est alors que la famille Colombo intervient ?

      On sait que Trump travaille alors avec la famille Genovese, de façon privilégiée. Mais il a des contacts avec la famille Gambino, et avec les Colombo, qui contrôlent certains syndicats. C’est ainsi qu’il entre en contact avec Vito Pitta, président du conseil des métiers de l’hôtellerie. Et on remarque que, lors des grèves qui paralysent souvent Atlantic City, les casinos Trump sont toujours épargnés. Les deals passés avec les Colombo ont été payés au prix fort… avec l’argent des banques.

      A quel moment Trump est-il passé de la mafia italienne à la mafia russe ?

      En 1986. À ce moment-là, Trump arrête de construire, car il est trop endetté. Plus personne ne veut lui avancer de l’argent. Atlantic City est un gouffre financier insensé, à la fois à cause des sommes versées au crime organisé, et aussi à cause de la folie des grandeurs de Trump, qui veut toujours faire les plus beaux, les plus grands casinos. Il a désespérément besoin d’argent. C’est le moment où les Russes débarquent à Brooklyn, avec des milliards à blanchir. Qui vont-ils trouver comme interlocuteur privilégié ? Donald Trump. Un modeste commerçant de fournitures électroniques, Semyon Kislin, qui compte parmi ses clients des membres du Politburo, vend des centaines de téléviseurs pour l’un des hôtels de Trump. On le soupçonne de travailler pour le KGB et, aussi, pour la mafia. Tout naturellement, l’un des appartements de la Trump Tower sera vendu à David Bogatin, l’un des envoyés spéciaux du parrain des parrains russes, Semion Mogilevich.

      Quel est le rapport avec la Deutsche Bank, la banque privilégiée de Trump ?

      Trump a une idée géniale : il franchise son nom. Il va trouver des promoteurs qui achètent, construisent, et qui, en échange du nom de Trump, vont céder 20 ou 30 %. Toutes les grandes banques américaines refusent de travailler avec lui. Un seul établissement, la Deutsche Bank, qui vient de débarquer sur le marché américain, accepte ce client. Cette banque est divisée en plusieurs branches qui ne communiquent pas entre elles, industrie, immobilier, titres, etc. Trump profite de cet éparpillement. Il commence par un prêt immobilier pour un immeuble à Greenwich Village, puis demande un deuxième prêt pour un casino − sauf qu’on s’apercevra plus tard que la signature est falsifiée. On le blackboule, alors. Il passe alors au secteur des titres, et a l’idée de créer des junk bonds sur ses immeubles. Mais ces bonds ont du mal à être vendus. Pour stimuler les traders de la Deutsche Bank, Trump leur promet un séjour d’une semaine dans son club à Mar-a-Lago. Les traders finiront par lever 200 millions de dollars. Deux ans plus tard, Trump a fait défaut. Les junk bonds n’ont jamais été remboursés. Trump passe à un autre secteur de la Deutsche Bank, et obtient un nouveau prêt. On s’est interrogé sur l’apparente incompétence de cette banque… Au final, quand Trump arrivera à la Maison Blanche, il aura une dette de l’ordre de deux milliards de dollars. On s’aperçoit que la plupart des emprunts consentis à Trump sont issus d’une banque russe liée à Poutine, qui traite avec la Deutsche Bank. Derrière le circuit financier qui mène à Trump, se profilent les ombres du FSB et de Poutine.

      Donc, Trump serait un pion russe ?

      C’est ce que disent les anciens directeurs du FBI et de la CIA, qui qualifient Trump d’« asset » russe. Est-il un asset volontaire on involontaire ? La question se pose, au vu de la politique étrangère de Trump. Il est quand même arrivé à faire revenir les Russes en Amérique Latine, notamment au Venezuela. Il a même communiqué aux Russes des informations très secrètes, fournies par les Israéliens.

      Comment un personnage comme Félix Sater entre-t-il en scène ?

      Sater est un personnage qui a plusieurs vies. Il est l’un des acteurs de Wall Street, il travaille pour la CIA et le FBI, il fréquente des types louches, dont des tueurs de la famille Bonnano et des soldats de la famille Genovese. À la suite d’une bagarre dans un bar, il manque d’égorger un homme, il va en prison, il passe dans des sociétés véreuses, il repart à Moscou, il prend contact avec les services secrets, est recruté par les Américains pour lesquels il rachète les missiles Stinger en Afghanistan. Il travaille pour Trump, se fait imprimer des cartes de visite « Conseiller principal de Donald Trump » et est en relation avec l’avocat Michael Cohen. Il organise les voyages des enfants Trump à Moscou et participe à des négociations avec l’Ukraine. C’est donc l’un des principaux acteurs dans la saga Trump-Poutine.

      En entrant à la Maison Blanche, Trump a-t-il rompu ses contacts avec la mafia ?

      Le Parrain est à la Maison Blanche. Trump fait des affaires, certes, mais il aime qu’il y ait un bonus. Ce bonus, c’est qu’il faut qu’il ait l’impression de voler quelque chose. Le FBI, aujourd’hui, s’est en partie retourné contre lui. On a vu l’affrontement entre les pro-Trump et les anti-Trump lors de l’enquête de Robert Mueller… Dans ces conditions, il est difficile de rester en contact avec des mafieux, pour Trump lui-même. Son organisation industrielle s’en charge. Celle-ci est toujours en rapport avec La Deutsche Bank et avec les Russes… Les affaires continuent.

      Qu’est ce qui explique son impunité ?

      Il est malin. À partir d’un certain moment, Trump a su trouver les protections nécessaires. Quand Roy Cohn est mort du Sida en 1986, il s’est tourné vers l’un des hommes les plus puissants, Rudy Giuliani, procureur du district Sud de Manhattan. C’était le paladin de la lutte anti-mafia, alors. On s’est aperçu qu’en fait, alors qu’il inculpait Fat Tony Salerno, Giuliani protégeait Trump. Notamment dans l’affaire de la fausse signature avec la Deutsche Bank. Giuliani a laissé tomber ce dossier, en échange de quoi Trump l’a soutenu à l’élection de la mairie de New York… D’un autre côté, il y a le FBI. Certains agents m’ont assuré que Trump était l’un des informateurs privilégiés de l’un des anciens directeurs du FBI, James Kallstrom. Aujourd’hui, passé au privé, ce dernier est l’un des défenseurs les plus fervents de Trump. Tout cela explique l’impunité.

      Pourquoi le rapport Mueller n’a pas eu plus d’effet ?

      Le rapport est dévastateur pour Trump. Mais le président et son ministre de la justice, Barr, ont su parfaitement riposter. Ils ont refusé de publier le rapport en totalité, puis l’ont étouffé, d’une certaine manière. Je l’ai lu, et c’est accablant. Trump ne sera pas toujours président, et là, il est permis de penser que la justice le rattrapera. Mais la plupart des affaires sont prescrites et l’une d’entre elles, cependant, risque d’émerger.

      Laquelle ?

      Lors de la construction de la Trump Tower, des équipes de Polonais clandestins ont été employées. Ces employés ont désamianté à mains nues le bâtiment précédent. L’amiante a été transporté dans des camions non bâchés, la nuit, qui versaient tout dans l’Hudson ou dans des décharges sauvages. Le Clean Air Act ne prescrit pas ces actions. Trump peut donc être attaqué sur ces types d’affaires, mais encore faut-il qu’il y ait une volonté d’attaquer… Car, ne l’oublions pas, en cinquante ans, Trump n’a jamais été déféré devant la justice.

      Vous imaginez qu’il soit réélu ?

      Allez savoir. Son électorat est stable. Le danger, c’est la violence. À la tête de l’État, vous avez cet homme qui a d’énormes sympathies pour l’extrême-droite, et certains de ses conseillers sont issus de cette mouvance. Tout va se jouer sur les swing states, et les Russes ont déjà lancé une opération en faveur de Trump. Tout est possible, mais on va probablement vivre une période de tension très forte. Pour Trump, la politique, comme les affaires, c’est la guerre. Il est prêt à aller jusqu’au bout.

      François Forestier

      Dans une enquête formidable titrée « Un parrain à la Maison-Blanche », le journaliste d’investigation Fabrizio Calvi raconte les liens entre la mafia et le milliardaire devenu président des Etats-Unis.