/33751867658-d5ac1317e4-z-5ee32b7d10022.

  • Domaine public, droit d’auteur : la bibliothèque Gutenberg sanctionnée en Italie
    https://www.actualitte.com/article/lecture-numerique/domaine-public-droit-d-auteur-la-bibliotheque-gutenberg-sanctionnee-en-italie/101207

    L’affaire prend tout de même une étrange tournure : le Projet Gutenberg, plateforme hébergée sur le territoire américain, propose depuis des années des ouvrages du domaine public numérisé. Or, fin mai, le tribunal de Rome demandait aux opérateurs de couper les accès aux citoyens d’Italie. La plus grande bibliothèque numérique, bannie de la toile italienne ?

    Incompréhensible – sauf à envisager que le procureur de Rome ne soit allé un peu vite en besogne. Depuis quelques semaines, le site Gutenberg.com, ressource précieuse aux 60.000 titres numérisés, relevant du domaine public, est inaccessible en Italie. Et tout part en effet d’une enquête menée par le procureur sur la diffusion numérique de contenus piratés.

    Une procédure rondement menée

    Ainsi que nous l’évoquions, 28 sites ont été pointés du doigt, et inscrits sur une liste noire dans le cadre de l’enquête préliminaire. Et ils ont fini par se retrouver inaccessibles depuis le territoire italien, reconnus coupables de mise à disposition d’oeuvres protégées par le droit d’auteur. Or, le Projet Gutenberg est connu de tous pour ne contenir que des ouvrages anciens, dont les auteurs sont morts depuis suffisamment longtemps pour que leurs textes soient mis en partage – sans contrevenir à aucune législation.

    Démarré en 1971 par Michael Hart, l’idée a toujours été de constituer une bibliothèque numérique d’ebooks pour « briser les barrières de l’ignorance et de l’analphabétisme ». Pas de vocation lucrative, une action menée et soutenue par des bénévoles : incompréhensible, la suite.

    Or, plusieurs questions restent en suspens : la Guardia di Finanza n’a d’autorité que sur le sol du Bel Paese. Or, les serveurs de Gutenberg sont aux États-Unis, et il n’existe pas de filiale italienne qui pourrait être confrontée. Retrouver aux côtés de sites pirates, comme downmagaz.com et pdfmagazines.club, la grande bibliothèque d’ebooks fait froid dans le dos.

    La France s’était elle-même pris les pieds dans le tapis en accusant Internet Archive de référencer de la propagande terroriste. Or, il s’avérait qu’une vidéo portant sur l’interprétation du Coran avait été prise pour cible. Regrettable, donc, et d’autant plus que les textes de Gutenberg ne sont plus protégés. Dans le cas d’Internet Archive, 550 pages avaient ainsi été désignées comme coupables – avec l’exigence d’un retrait.

    Droit d’auteur ici, domaine public là

    Dans une récente intervention, le président de l’Associazione italiana editori souligne le travail de la Guardia di Finanza « dans son action contre la diffusion non autorisée d’oeuvres sous droit ». Car l’autre option concernerait une vilaine affaire de géolocalisation : des oeuvres sous droit en Italie peuvent avoir accédé au domaine public aux États-Unis.

    On comprendrait mieux la position des éditeurs italiens – nous avons sollicité l’AIE sur plusieurs points – en prenant en compte des disparités légales sur le domaine public. De fait, à l’instar du Petit Prince, gratuit sur tous les territoires francophones, sauf la France, l’oeuvre de Saint-Exupery s’achète, en numérique : en Belgique, au Québec, ou ailleurs, elle se télécharge sans retenue.

    Et les plateformes qui proposent l’oeuvre soulignent la plupart du temps qu’il importe de vérifier si la législation locale autorise ce téléchargement – autrement dit, on peut être dans la légalité outre-Quiévrain, et pirate à Marseille… La théorie se retrouve dans La Reppublica, qui cite Maurizio Codogno, porte-parole de Wikimedia Italia.

    Selon lui, les autres plateformes mises en cause par le procureur de Rome – même Telegram – finiront par trouver un autre nom et s’en sortiront : Gutenberg, en revanche, finirait par être seul à subir les conséquences de cette situation – d’autant que tous les autres ont un intérêt réel, parce qu’économique, à partager des contenus piratés.

    “Une mesure disproportionnée”

    En Italie comme en France, le domaine public intervient 70 ans après la mort de l’auteur : en parcourant la liste des titres de Gutenberg, on retrouve Aldo Palazzeschi, mort en 1974. Or, en vertu du droit américain, son oeuvre est dans le domaine public, quand elle n’y entrera qu’en 2044 pour les Italiens. Et ainsi de suite, plusieurs exemples montrent que la réalité légale est complexe.

    Or, Gutenberg connaît bien ce problème : en 2018, il fut condamné en Allemagne à bloquer tout accès à son site, suite à un procès intenté par un éditeur en 2015. Il s’agissait du téléchargement autorisé de 18 oeuvres de Thomas Mann, empêtré dans la même tempête juridique de droits ou de domaine public.

    Sauf que le cas italien est encore plus complexe : il n’y a ni plainte ni doléance de la part d’éditeurs. Et les titres qui entreraient en violation du DA n’ont pas même été identifiés. Giovanni Battista Gallus, avocat spécialisé en droit de la propriété intellectuelle, le souligne : « Rendre l’ensemble du site totalement inaccessible, pour une violation présumée, est une mesure disproportionnée. »

    Les commentaires du président de l’AIE confirmeraient d’ailleurs ce malentendu global : « Les règles européennes sur le droit d’auteur sont de nature à offrir des garanties à toutes les parties concernées. La loi existe, elle doit être respectée. Cela vaut également pour un site connu et apprécié comme Gutenberg.org. »

    Car il suffirait en effet d’introduire quelques restrictions géolocalisées, pour ne plus avoir à se plaindre. Si tant est qu’il y ait une plainte.

    #Domaine_public #Projet_Gutenberg #Italie #Copyright_madness