Repenser “l’accueil des gens du voyage” - William ACKER

/repenser-laccueil-des-gens-du-voyage-72

  • Repenser “l’accueil des gens du voyage” - William ACKER - Medium
    https://medium.com/@Rafumab_80461/repenser-laccueil-des-gens-du-voyage-729055a691b

    « Le décisif, politiquement, n’est pas la pensée privée, mais comme Brecht l’a exprimé une fois, l’art de penser dans la tête des autres » Walter Benjamin, Essais sur Brecht

    Il y a des faits que la politique ne semble plus pouvoir s’autoriser à repenser. Indéniablement, la question de « l’accueil des gens du voyage » en est ; Plusieurs raisons à cela : la difficulté d’appréhender la question dans toutes ses acceptions, la méconnaissance des personnes visées, le parti pris des acteurs en présence mais aussi et c’est certainement le plus important : la croyance en un texte d’équilibre.
    Les lois Besson de 1990 et 2000 sont rarement remises en cause tant l’esprit de ces textes apparaît novateur, en arguant d’un équilibre entre les droits et devoirs des parties en cause. Les « voyageurs » obtiennent une certaine protection de leurs droits, par l’accès à des lieux dédiés à leur accueil. En trente ans près de 30.000 places d’accueil ont été créés : aire d’accueil permanente (pour le petit passage), aire de grand passage et terrain familial (pour les « gens du voyage sédentaires »).

    Quant aux collectivités, elles ont l’obligation de réaliser des espaces d’accueil prévus dans les schémas départementaux, et elles obtiennent en contrepartie des prérogatives élargies en matière d’expulsion des personnes installées, en situation d’illégalité.

    En pratique, cet équilibre est trompeur. Pour les « voyageurs » : peu de droits, beaucoup de devoirs dont le principal, vivre là où les gadjé le décident, sous peine d’amendes et de sanctions pénales. Du côté des collectivités, seulement 70% des lieux prévus ont été réalisés du fait de l’impopularité de ces projets dans l’opinion publique et d’un antitsiganisme bien ancré en Europe. Le cadre juridique qui encadre les devoirs des collectivités permet à ces dernières de faire jouer le temps en leur faveur, par de nombreuses dérogations, et en l’absence de contraintes pénales.

    Surtout et c’est ici que le bât blesse, les Lois Besson ont participé à la création du plus grand système d’encampement d’Europe. Expliquer tout cela en quelques lignes n’est pas simple, alors j’en appelle à l’efficace, à la dialectique aussi, aux imaginaires autorisés par la dystopie qui permettent de donner un sens aux réels.

    La communauté des gens-du-sur-place

    Imaginons donc une société où l’itinérance serait le mode de vie majoritaire, une société où la minorité qu’on appellerait « Communauté des gens-du-sur-place » serait astreinte à des lieux déterminés dans les villes pour sa résidence. Pour les plus précaires on construirait un ensemble de petites maisons en dur rassemblées dans un même lieu, que l’on appellerait « aire d’habitat des gens-du-sur-place ».
    Le racisme subi par les gens-du-sur-place induit un rejet de la société majoritaire, celle qu’ils appellent la « société itinérante ». Ces gens qui vivent autrement effraient, ils ne bougent jamais. Cette immobilité est suspecte. Ils ont des mots à eux, que l’on ne comprend pas. Dans notre société de l’itinérance qui reste néanmoins attachée à la valeur argent et la réussite collective, on a du mal à comprendre l’individualisme de ces gens.

    Malgré leur prise en compte, certes contraignante, dans une catégorie administrative force est de constater qu’après des années à tenter de les inciter au voyage, le compte n’y est pas. Si une majorité abandonne leur mode de vie, un nombre certain continue à vouloir vivre de manière sédentaire.

    Pour les « gérer » une loi les contraint à vivre regroupés, loin de nous, dans des lieux éloignés de nos lieux de vie. Des gardiens itinérants, à l’entrée de chaque « aire d’habitat » installent leurs caravanes et, à tour de rôle, sont chargés de surveiller les gens-du-sur-place et de s’occuper d’eux. Santé, éducation, travail, l’objectif est que ces gens accèdent à la civilisation moderne et s’en sortent. Des mécanismes leur permettant d’être présents dans nos instances politiques sont mis en œuvre. Bien sûr ils n’interviennent pas directement, ils sont représentés le plus souvent par des associations qui les défendent et qui sont composés à 100% d’itinérants, amis des gens-du-sur-place.

    L’expérience du réel

    La dystopie permet d’interroger le réel. Le phénomène « d’encampement » du système « d’accueil des gens du voyage » en France https://www.theses.fr/2018AIXM0650, ne peut se comprendre sans ré-interroger la narration du réel majoritaire exprimé dans les textes juridiques. L’anthropologue Michel Agier dans son ouvrage Un monde de camps, aborde « l’encampement » comme « une des formes de gouvernement du monde, une manière de gérer l’indésirable » Et c’est aussi ça « l’accueil des gens du voyage » : gouverner et gérer l’indésirable. [...]

    #accueil #gens_du_voyage