• Nantes. Le fameux homard géant rendu aux manifestants
    Ouest-France Thomas HENG. Publié le 01/07/2020
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    Ce homard de papier, c’est ce qu’on appelle une « prise de guerre ». Un objet lourd de symbole qui vient peser d’un côté ou de l’autre dans la balance du rapport de force. Rappelez-vous, c’était il y a moins d’un an, mi-septembre 2019. "L’acte 44", manifestation nationale du mouvement des Gilets jaunes était prévu à Nantes, le 14 septembre.

    L’invitation, comme toujours, circulait sur les réseaux sociaux. Mais aussi sur les murs de la ville, avec une énigmatique affiche de homard placardée partout. Un homard ? Quel rapport avec les luttes et contestations ? Ça demande un peu de mémoire. Il s’agissait d’un clin d’œil à l’affaire révélée par Médiapart sur les dîners fastueux de François de Rugy, député de la ville et ex-président de l’Assemblée nationale. La polémique avait fait rage tout l’été.

    Quelques jours avant cette manifestation annoncée plus que tendue (il était aussi question de Steve Maïa Caniço, le jeune homme de 24 ans mort noyé la nuit de l’intervention brutale des policiers à la Fête de la Musique), les renseignements policiers ont un "tuyau".

    En substance, des actions violentes se prépareraient. Le matin du 14, ils mènent des actions "préventives". En deux lieux, ils interpellent cinq personnes. Deux premiers, à proximité d’un stock de parapluies et artifices destinés à la manif. Trois autres – nous voilà au cœur de l’histoire –, des jeunes gens qui s’échinaient à charger un gigantesque homard de papier mâché dans un camion. Il faut dire qu’il était balèze, on raconte en coulisses qu’il mesurait dans les trois mètres. La figure carnavalesque devait animer la tête de cortège. Les trois jeunes gens du camion sont partis en garde à vue, et le homard a été embarqué lui aussi, saisi, direction le commissariat central.

    « Fiasco »

    Très vite, le procureur de Nantes a demandé qu’une enquête grand format soit confiée à un juge d’instruction. Motif ? « Association de malfaiteurs en vue de commettre des dégradations sur des bâtiments publics ». Mais ça a viré au « fiasco » selon le mot de l’époque de maître Stéphane Vallée, l’un des deux avocats des manifestants avec Pierre Huriet. « Après 48 heures de garde à vue, le juge d’instruction auquel ils ont été présentés a considéré qu’il n’y avait pas lieu de les mettre en examen pour ce motif. […] C’est dire l’importance des charges dans ce dossier ! »

    Près d’un an plus tard, le dossier ne semble toujours pas bien lourd. Il reste en cours d’enquête mais personne n’a été mis en examen pour « association de malfaiteurs ». Demeurait donc l’encombrant problème du homard géant. Encombrant à plusieurs sens du terme. Il a d’abord valu de très nombreux articles ironiques et cinglants, dans la presse française sur « l’affaire » du crustacé « de papier mâché ». Et puis, plus concrètement, la bestiole est encombrante au sens premier : elle est gardée par les policiers depuis bientôt un an.

    Qu’en faire ? La détruire ? Et sur quel fondement puisque l’enquête n’a pas démontré qu’elle allait servir à la commission d’une infraction ? Seule solution alors : la rendre aux manifestants. « J’ai fait la demande, comme Pierre Huriet, il y a environ six mois, explique Me Stéphane Vallée. Symboliquement, pour mes clients c’était très important. » Il a été entendu. Le juge vient d’ordonner la restitution du "clac-clac" comme disent les pêcheurs bretons amoureux de la finesse de sa chair.

    Autrement dit, les manifestants vont pouvoir retourner au commissariat central de Waldeck Rousseau, à Nantes, et pas en garde à vue cette fois-ci, réclamer leur dû. Ils en ressortiront avec leur homard de papier comme d’autres y récupèrent un téléphone portable ou une voiture.

    On parie, sans grand risque, qu’on pourrait croiser le symbolique crustacé au détour d’une manif prochainement. « Rien ne l’interdit, confirme l’avocat. Il n’a pas servi à une quelconque infraction. Il n’a donc rien à voir avec l’affaire. » Pas sûr que les policiers goûtent ce mouvement de balancier. François de Rugy non plus. Le député serait intéressé par la tête du groupe LREM à l’Assemblée, voire par la présidence de la région Pays de la Loire, et se passerait probablement des histoires de homard.