Destructions à Marseille : quelle différence avec l’ancienne municipalité ?

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    Il y a trois semaines, nous nous sommes rendu à Marseille afin d’enquêter sur l’effondrement de la rue d’Aubagne et les destructions prévues. Nous avons alors découvert, ce que nous ignorions, l’ampleur du problème qui ne se limite pas à la rue d’Aubagne, mais concerne plusieurs quartiers faisant pourtant partie de sites patrimoniaux remarquables, le nouveau nom des secteurs sauvegardés.

    Finalement, ce changement de nom avait un sens. S’ils sont remarquables, ils ne sont plus sauvegardés. Car entre temps, la loi Elan, voulue par Emmanuel Macron et Édouard Philippe, a été votée et promulguée. Et celle-ci a eu les effets qu’on pouvait redouter : il suffit de décréter en péril des immeubles se trouvant en secteur sauvegardé pour que l’on puisse les détruire, quel que soit l’avis de l’architecte des bâtiments de France. Un exemple saisissant est donné actuellement à Marseille, un exemple que nous avions prévu de citer dans un article plus développé mais qui devenait urgent à écrire puisque la destruction définitive est prévue demain, le 9 juillet 2020.

    Si le maire et la couleur politique ont changé, les pratiques demeurent hélas. La nouvelle municipalité - nous avons contacté en urgence le premier adjoint, Benoît Payan, qui ne nous a pas répondu - est bien dans la ligne marseillaise : de Gaston Defferre à Jean-Claude Gaudin, ses maires n’ont jamais considéré le patrimoine comme une priorité (c’est un euphémisme de le dire).


    2. Les immeubles 4, 6, 8 rue de la Butte, en juin 2020, Photo : Didier Rykner


    3. Les immeubles 4, 6, 8 rue de la Butte, 8 juillet au soir après début des démolitions Photo : S. R.

    Les maisons en question se trouvent à proximité immédiate de la porte d’Aix (ill. 1), ce qui aurait dû les protéger à un double titre. Remarquons que pour nous, qui avons connu ce quartier il y a de nombreuses années, la mairie avait pourtant fait beaucoup pour restaurer, nettoyer et embellir l’endroit qui n’était alors qu’un no man’s land absolument infréquentable (il était pratiquement impossible de s’approcher de l’arc sous lequel était un véritable cloaque). Pourquoi, dans ces conditions, détruire ces immeubles anciens qui ont un véritable intérêt, reconnu comme tel par le Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur ? On se perd en conjecture. Car contrairement à ce que prétend la ville, ces immeubles, fragilisés par des démolitions d’édifices qui les entouraient (et qui n’avaient pas d’intérêt patrimonial), menés dans le cadre du projet Euroméditerranée, sont parfaitement restaurables. Si l’on trouve toujours des experts complaisants pour justifier l’injustifiable, d’autres expertises, notamment celles demandées par la copropriété du n° 6 (le jaune, qui se trouve entre les deux autres) le démontrent. L’une d’entre elle conclut sans ambiguïté : « Nous engageons notre responsabilité à dire que ce bâtiment ne présente aucun risque d’effondrement à ce jour. Tous les éléments analysés ne peuvent démontrer un défaut grave de la structure extérieur. Les façades fissurées ont suscité une présomption de dégradation structurelle qui est malgré tout minime grâce au travaux de renforcement de plancher réaliser les années précédentes. » Il explique ensuite ce qu’il faut faire pour consolider l’immeuble.

    D’ailleurs, le soi-disant risque « imminent » d’effondrement n’était pas si imminent, puisqu’il était constaté il y a presque un an. Les bâtiments étant évacués, et leurs abords sécurisés, rien ne justifie donc leur démolition plutôt que leur restauration. On apprend d’ailleurs, en lisant l’arrêté de « déconstruction », que l’on trouve en ligne (toujours ce terme ridicule employé par des mairies car cela fait sans doute plus joli que « destruction » ou « démolition »), que l’architecte des bâtiments de France s’est opposé à ce vandalisme en préconisant : « la préservation des façades des immeubles sis 4, 6 et 8 rue de la Butte et la conservation et réemplois de tout élément de pierre taille ou de second œuvre récupérable (porte d’entrée par exemple). » Un avis simple désormais, pour lequel la Ville peut passer outre, ce qu’elle ne s’est pas privée de faire. Cela démontre parfaitement qu’une autre solution que la destruction est possible, et que celle-ci n’est rien d’autre qu’un vandalisme municipal, sur une zone d’intérêt patrimonial majeur, qui ne peut être mené que grâce à cette loi Elan. Emmanuel Macron et son ancien Premier ministre Édouard Philippe sont bien les premiers responsables.


    4. 76-80 rue Bernard Du Bois à Marseille, Immeubles menacés de destruction, Juin 2020, Photo : Didier Rykner


    5. 76-80 rue Bernard du Bois à Marseille, Immeuble menacée de destruction, Juin 2020, Photo : Didier Rykner

    Même si la destruction était prévue avant les élections municipales, rien n’interdisait la mairie récemment élue de poser un moratoire sur ce chantier afin d’y substituer une réhabilitation. Rien, d’ailleurs, ne s’y oppose encore, à l’heure où nous écrivons cet article, l’irrémédiable n’étant pas encore accompli (ill. 3). Nous ne sommes d’ailleurs pas seul dans ce combat. L’association Sites & Monuments nous a prévenu (voir son article), et Stéphane Bern, que nous avons joint, est également scandalisé par ces démolitions en cours : « c’est le cœur historique de Marseille qu’on détruit avec ces maisons du XVIIIe siècle. Maintenant, quand on veut détruire, on n’entretient plus et on dit qu’elles vont tomber. » Ceci est d’autant plus vrai que d’autres démolitions sont prévues dans les prochaines semaines ou les prochains mois, ailleurs dans Marseille, mais tout autant dans des secteurs sauvegardés. Aux 76-80 rue Bernard du Bois, pas très loin non plus de la porte d’Aix, mais plus à l’est, plusieurs maisons, des propriétés municipales et à l’abandon depuis plusieurs années, sont également gravement menacées, sans doute de manière « imminente », l’état de péril datant de 2014 (ill. 4 et 5). Comme le dit Stéphane Bern : on n’entretient plus, on décrète un péril, et on démolit. Tout cela est bien pratique.


    7. Plan de sauvegarde et de mise en valeur avec la portion de la rue d’Aubagne concernée (nous avons rajouté les numéros). Les immeubles en orange sont théoriquement « à conserver »

    Et il y a bien sûr aussi la rue d’Aubagne (ill. 6) où, après avoir laissé s’écrouler deux immeubles avec les conséquences humaines que l’on connaît (huit morts), on s’apprête encore à en détruire deux autres, les numéros 69 et 71. Or, une consultation du plan de sauvegarde (ill. 7) et une comparaison avec Google Map pour y situer les numéros montre quelque chose de très curieux [1] : l’arrêté de déconstruction des n° 69 et 71 ne cite à aucun moment l’avis de l’architecte des bâtiments de France, alors que le numéro 71 est à conserver [2]. Or, si celui-ci, en cas de péril, est désormais un avis simple, il reste qu’il doit être demandé. Tel qu’il est rédigé, cet arrêté est donc irrégulier. Mais qu’importe après tout : on est à Marseille, et le maire est Jean-Claude Gaudin. Ah non ? C’est désormais Michèle Rubirola. Aucune différence semble-t’il.

    Didier Rykner

    Notes

    [1] Note parue après la mise en ligne de notre article : nous avions dans un premier temps confondu le 69 avec le 67. Or, le 67 a été détruit juste après l’effondrement.

    [2] Remarquons par parenthèse que la pertinence de certains Plans de sauvegarde n’est pas évidente : pourquoi indiquer comme à conserver le n° 71 et pas le 69 qui est comparable ?

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