Notre-Dame de Paris : la flèche du consensus

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  • Notre-Dame de Paris : la flèche du consensus
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    Editorial. Sur son projet de concours pour la flèche, le président Macron était seul contre tous ou presque. La remise d’un rapport prônant une reconstruction de la toiture de la cathédrale à l’identique lui a permis de dire qu’il fait « confiance aux experts ». Et de s’autocorriger.

    Editorial du « Monde ». Faut-il y voir une sorte de parabole ? Au moment d’entamer la dernière partie de son quinquennat, Emmanuel Macron a renoncé à toute forme de disruption s’agissant de ce monument national qu’est Notre-Dame de Paris. Deux jours à peine après l’incendie qui a ravagé la cathédrale, en avril 2019, le président de la République, à la surprise générale, sans même consulter les experts, en appelait à un « geste contemporain » pour remplacer la flèche qui la coiffait. Quinze mois plus tard, il vient de renoncer, demandant une reconstruction à l’identique de la toiture, de sa charpente en bois, et donc de la flèche, imaginée et ajoutée par Viollet-le-Duc en 1859, qui culminait à 96 mètres avec, tout en haut, son coq de plomb.

    Emmanuel Macron a changé d’avis car il n’avait pas le choix. Sur son projet de concours pour la flèche, Il était seul contre tous ou presque. Les partisans de Viollet-le-Duc étaient si nombreux qu’il n’y a même pas eu de bataille entre anciens et modernes. Si le président de la République avait persisté, il aurait dû affronter l’architecte chargé de Notre-Dame, de nombreux parlementaires, des architectes comme Jean Nouvel, des historiens de l’architecture, la majeure partie des cadres de la culture, Stéphane Bern (son « M. Patrimoine »), l’Eglise, la maire de Paris, Anne Hidalgo. Ou encore l’Unesco, qui veille sur les monuments protégés, et des associations qui auraient multiplié les recours devant les tribunaux. Et, surtout, la majorité des Français qui, selon des sondages, ne voulaient pas de changement.

    Restaurer à l’identique la flèche de Viollet-le-Duc relève du bon sens. C’est l’option la plus simple, la plus rapide – l’objet sculpté est très bien documenté – et la moins coûteuse, autrement dit la plus adaptée à la situation quand on a pour objectif de rouvrir la cathédrale au public dès 2024. La flèche a aussi un côté intemporel, elle s’intègre naturellement à l’édifice, au point que la plupart des visiteurs la remarquaient à peine, quand d’autres pensaient qu’elle était d’origine, à savoir du XIIe siècle. Avec ses résonances médiévales et gothiques, elle s’inscrit dans le roman national. Elle marque enfin la signature de Viollet-le-Duc, architecte et artiste de talent qui, par ses multiples interventions, sauva alors un bâtiment qui menaçait de tomber en ruine.

    Pas besoin de tensions supplémentaires
    Les défenseurs d’un geste contemporain disent que, si on a pu planter une pyramide de verre au cœur du Louvre, avec le succès que l’on connaît, on doit pouvoir imaginer un geste similaire à Notre-Dame. La comparaison est incertaine : la pyramide de Pei n’est pas en « contact » avec le musée proprement dit. Elle est par ailleurs fonctionnelle – une porte d’entrée – alors qu’une flèche contemporaine coifferait l’église, qui plus est avec une visée strictement décorative. Mieux vaut réserver un « geste actuel » au large parvis de la cathédrale, qui, avant l’incendie, accueillait jusqu’à 13 millions de visiteurs annuels dans un désordre parfois problématique.

    Dans le contexte politique actuel, Emmanuel Macron n’a pas besoin de tensions supplémentaires, et encore moins de passer pour un pharaon, alors qu’il essaie de corriger son image « jupitérienne ». Le renoncement au « geste contemporain » était prévu depuis longtemps. La remise d’un rapport prônant une reconstruction de la toiture à l’identique lui a permis de dire qu’il fait « confiance aux experts ». Et de s’autocorriger. C’est heureux, car les énergies devraient pouvoir désormais se concentrer sur l’essentiel : la restauration de Notre-Dame.